Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Comme on a adoré recevoir vos nombreuses suggestions la semaine dernière pour votre moment marquant du Super Bowl 1, nous recommençons l’exercice cette semaine. Tous nos journalistes se sont prononcés sur l’épineuse question de déterminer qui était le plus grand athlète de tous les temps. Dites-nous qui vous a le mieux convaincu de sa candidature, et profitez-en pour nous dire quel serait votre choix.

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Mathias Brunet

Aucun athlète n’a autant transcendé le sport. Muhammad Ali a émergé dans la boxe à une époque où les États-Unis puaient encore plus le racisme. Il a combattu pour l’égalité raciale. Militant de la paix, il a refusé de participer à la guerre du Viêtnam, à laquelle il s’opposait. En ont découlé une longue bataille judiciaire, la menace de croupir en prison et un bannissement de la boxe dans la force de l’âge, entre 25 et 29 ans. Malgré tout, Cassius Clay, de son nom de naissance, a remporté 56 combats en carrière. Il est devenu le premier boxeur à mettre la main sur le titre mondial à trois reprises et a aussi gagné une médaille d’or olympique à Rome en 1960. Ali a régné sur les poids lourds de la boxe à une époque où la compétition était féroce. Fort en gueule, aussi violent qu’élégant, il a surpris le champion mondial Sonny Liston en 1964 à l’âge de 22 ans seulement, contre lequel il était sous-estimé à 7 contre 1 selon les preneurs aux livres. Sa popularité n’avait aucune frontière. Il était glorifié aux États-Unis comme au Japon et en Papouasie. Son combat au Zaïre, au cœur de l’Afrique, contre George Foreman en 1974, devant 60 000 spectateurs, demeure à ce jour l’un des plus grands évènements sportifs de l’histoire, sinon le plus grand.

Miguel Bujold

PHOTO MIKE EHRMANN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Tom Brady remporte (avec son équipe) le Super Bowl LV le 7 février à Tampa, en Floride.

Contrairement à ce que pensent certains lecteurs, je ne suis pas un partisan des Patriots de la Nouvelle-Angleterre ni de Tom Brady. Les gens de mon entourage pourraient d’ailleurs vous le confirmer… Je sais, aussi, qu’Henri Richard et Bill Russell ont gagné plus de championnats que Brady. À mes yeux, quatre sportifs ressortent du lot : Muhammad Ali, Michael Jordan, Serena Williams et Brady. Lewis Hamilton est-il vraiment supérieur aux coureurs qu’étaient Ayrton Senna et Michael Schumacher ? Roger Federer est incroyable, mais deux autres joueurs, Rafael Nadal et Novak Djokovic, ont connu des carrières qui s’approchent de la sienne… à la même époque. Mais Ali, Jordan, Williams et Brady ont clairement été les meilleurs de l’histoire dans leur sport respectif, du moins, ça ne fait aucun doute à mes yeux. Athlétiquement, Brady est le moins bon des quatre, on s’entendra. Mais je le choisis en grande partie pour sa longévité dans un sport où les années sur le terrain ne pardonnent généralement pas. En plus de ses sept championnats et de tous ses records, Brady est l’ultime leader. Et le football est l’ultime sport d’équipe, ce n’est pas un cliché ou une phrase vide. Non seulement Brady occupe la position la plus importante de son équipe – sans contredit l’une des plus exigeantes du monde du sport –, mais il doit faire preuve d’un grand leadership, un aspect qui n’est d’ailleurs aucunement un facteur dans les sports individuels.

Simon Drouin

PHOTO SIMON BRUTY, SPORTS ILLUSTRATED

Michael Phelps pose pour la première fois avec l’ensemble de ses 23 médailles d’or et de ses 28 médailles au total récoltées au fil de son illustre carrière olympique.

Michael Phelps, qui d’autre ? Au-delà du nombre de médailles olympiques, le plus impressionnant est leur répartition : 23 médailles d’or, 3 d’argent et 2 de bronze. Difficile d’être plus dominant. Son pire résultat ? Cinquième à ses premiers JO à Sydney en 2000. Il avait 15 ans. J’ai eu l’énorme privilège de voir la majorité de ses victoires. Étrangement, je me souviens presque davantage de sa défaite face à Chad le Clos à Londres alors qu’il était sur le bord de la dépression. Cela a rendu son « retour » à Rio encore plus impressionnant. Les épreuves de natation sont nombreuses ? C’est vrai. Voyons voir les suivants sur la liste : Jenny Thompson, Dara Torres et Ryan Lochte avec 12. Mark Spitz, celui à qui on pourrait le comparer, en a gagné 11, dont sept d’or à Munich en 1972. Qui a oublié les huit de Phelps à Pékin ? Il a battu des spécialistes du sprint comme Crocker et Cavic au 100 m papillon et des as du demi-fond comme Laszlo Cseh au 400 m quatre nages. Si c’était si simple, d’autres l’auraient fait. Le règne d’Usain Bolt a été aussi impressionnant, mais je donne un léger avantage au nageur américain pour la durée. Phelps, donc, le plus grand de tous les temps ? Bah, je n’ai pas vu Eddy Merckx, Jesse Owens, Paavo Nurmi, ni même Carl Lewis. Le plus grand de mon temps en tout cas.

Frédérick Duchesneau

PHOTO LIONEL BONAVENTURE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le Français Kevin Mayer en compétition lors des Championnats de France d’athlétisme de 2020, en septembre dernier

Mon interprétation : « plus grand athlète » implique « athlète le plus complet ». Ce qui exclut, par exemple, Usain Bolt, bien qu’il soit le meilleur sprinteur de tous les temps. Pour les mêmes raisons, mettons de côté les cyclistes du Tour de France et les ultramarathoniens. Puis, parce qu’ils combinent trois disciplines, et ce de façon extrême, j’ai instinctivement pensé aux professionnels du circuit Ironman. Des efforts inqualifiables qui repoussent les limites du corps humain d’un point de vue cardiovasculaire. Mais trois distances, justement, basées sur le cardio. Pas de lancer, pas de saut, pas de sprint… Ce qui m’a nécessairement conduit au décathlon : 100 m, saut en longueur, lancer du poids, saut en hauteur, 400 m, 110 m haies, lancer du disque, saut à la perche, lancer du javelot, 1500 m. Défaut de celui-ci, l’inverse du triathlon. On n’est pas dans l’endurance. Je serais capable de faire un décathlon. Risible, mais je pourrais. Un Ironman ? Je ne vois pas ça arriver… Dans un monde idéal, on remplacerait le 1500 m du décathlon par un marathon. Mais pour être cohérent avec l’argument sur la diversité des aptitudes, allons-y tout de même avec le recordman mondial du décathlon : le Français Kevin Mayer. Et la détentrice du record mondial en heptathlon, l’Américaine Jackie Joyner-Kersee. Deux noms, je l’admets, que je ne connaissais pas avant d’écrire ceci.

Richard Labbé

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Michael Jordan, des Bulls de Chicago, joue contre le Jazz de l’Utah, lors des finales de la NBA, le 5 juin 1998.

Épineuse question s’il en est. Le plus grand athlète ? La question vient automatiquement disqualifier n’importe quel golfeur, puisque le golf, si on enlève les bâtons, ça devient juste de la marche. On oublie aussi tout coureur automobile, et le minigolf également, avec toutes mes excuses à Carl Carmoni, un grand dans son domaine. Non, vraiment, pour arriver à ce statut, ça prend un joueur qui a dominé son propre sport, mais aussi un joueur dont la domination se sera étendue au-delà de toutes les frontières, ce qui exclut donc à mon avis Tom Brady, trop cantonné sur notre continent, comme Wayne Gretzky avant lui. Alors je ne vois qu’un seul prétendant logique à ce titre : Michael Jordan. Non seulement grâce à ses six bagues, mais avant tout pour son impact sur la planète sport au grand complet. A-t-on déjà vu quelqu’un d’autre avec une portée aussi large, sur tous les continents à la fois ? Je ne pense pas. Et puis, surtout, contrairement à bien d’autres grands, le déclin de Jordan (parce qu’il y en a toujours un) n’a pas été si énorme, aussi évident que celui de certains autres, Ali par exemple. Jordan a été plus grand que son sport, que lui-même, et plus grand que tout. On ne reverra peut-être plus jamais ça.

Guillaume Lefrançois

PHOTO WIKIMEDIA COMMONS

Muhammad Ali dans la fleur de l’âge

C’est ici qu’il est tentant d’y aller avec « Nature Boy » Ric Flair, mais bon, on vit actuellement sous le coup d’un moratoire auto-imposé sur la lutte. Restons donc entre les câbles et rallions-nous à Mathias. Quand il est question des plus grands de tous les temps, il importe que l’athlète en question ait non seulement dominé son sport, mais qu’il ait aussi laissé un legs à la société. Et par « legs », on ne parle pas de trucs superficiels comme une collection de chaussures. C’est ici que Muhammad Ali s’impose. Ali a montré une fiche de 55-2 jusqu’à l’âge de 35 ans, à une période considérée par plusieurs comme l’âge d’or des poids lourds. Avant de faire carrière chez les pros, il a remporté une médaille d’or olympique. Mais là où Ali s’est le plus démarqué, c’est en sacrifiant les meilleures années de sa carrière (de 25 à 28 ans) au profit de ses convictions, principalement son opposition à la conscription pour la guerre du Viêtnam.

Simon-Olivier Lorange

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le Jamaïcain Usain Bolt remporte la médaille d’or au 100 m aux Jeux olympiques de Londres de 2012.

Usain Bolt est-il un être humain ? La réponse (positive) nous a été fournie par sa carrière infructueuse au soccer. Mais avant cela, ce n’était pas clair. Je ne réussis pas à trouver d’athlète qui m’est davantage apparu comme un surhomme, ni avant ni après la présence de Bolt sur les pistes. Comme bien des gens, je suis agacé par les sportifs qui dominent sans partage leur discipline. Le sport, ça prend un peu de suspense, de surprise. Mais je ne me suis jamais donné la peine de combattre ma curiosité par rapport au Jamaïcain. On avait beau savoir qu’il gagnerait, on voulait savoir comment. Et par combien de centièmes de seconde il battrait son record du monde. J’étais fasciné et le suis encore.

Michel Marois

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Jesse Owens en pleine course le 14 août 1936 lors du 200 m aux Jeux de Berlin

Tom Brady, Tiger Woods, Roger Federer… plus grand athlète de tous les temps ? Le débat a été relancé par la performance du premier, dimanche dernier, au Super Bowl, mais je ne crois pas qu’on puisse régler la question un jour. J’aimerais toutefois suggérer qu’on prenne un peu de recul historique, car ce n’est qu’avec les années, les décennies, qu’on peut vraiment apprécier l’impact d’une personnalité sur son époque. Un « plus grand de tous les temps », que ce soit un sportif, un artiste ou toute autre personnalité, doit justement transcender son secteur d’activité et s’imposer de façon exceptionnelle dans l’ensemble de la société. Dans cette perspective, je crois qu’un champion comme Jesse Owens possède vraiment les attributs pour être considéré. Sur le plan purement sportif, il a établi de nombreux records qui n’ont été battus qu’après plusieurs années, ses quatre médailles d’or des Jeux de Berlin, notamment. Et le contexte historique de cette performance, devant Adolf Hitler dans l’Allemagne nazie de 1936, a fait d’Owens l’un des premiers et des plus grands de tous les champions de la lutte contre le racisme. Encore aujourd’hui, 85 ans après ses exploits, 40 ans après sa mort, il continue d’inspirer des sportifs comme Serena Williams, Lewis Hamilton et Naomi Osaka. Attendons un peu avant de lui comparer nos champions actuels.

Alexandre Pratt

PHOTO NATIONAL PORTRAIT GALLERY

Mildred « Babe » Didrikson en septembre 1956 alors qu’elle est une grande vedette du golf

Le palmarès de Mildred « Babe » Didrikson est unique. Aux Jeux de 1932, elle bat le record du monde au 80 m haies, gagne l’or au javelot et l’argent au saut en hauteur. Elle reste la seule personne à avoir remporté des médailles olympiques à la course, aux lancers et aux sauts. Après les JO, elle agit comme lanceuse de baseball dans des matchs hors concours des Cardinals de St. Louis et des Athletics de Philadelphie. Mais c’est comme golfeuse, à partir de 1940, qu’elle devient une grande vedette, en gagnant 10 tournois majeurs. Le dernier, seulement un mois après une opération pour soigner un cancer du côlon. Associated Press l’a nommée athlète féminine du XXsiècle et six fois athlète féminine de l’année. Un palmarès unique, vous disais-je…

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