Le documentaire Rising Phoenix illustre les pas de géant du mouvement paralympique. On discute de l’œuvre et de l’impact des Jeux paralympiques avec Joëlle Rivard, ex-athlète aujourd’hui à l’emploi de Parasports Québec.

L’une a dû se faire amputer une jambe juste après son troisième anniversaire à cause d’une forme rare de cancer. Une autre a vu sa vie chamboulée par une méningite à l’aube de l’adolescence. L’un s’est fait couper une jambe à la machette pendant la guerre civile au Burundi. Un autre est né sans bras.

Le documentaire Rising Phoenix (en français, Comme des phénix : l’esprit paralympique), paru en août sur Netflix, raconte l’histoire de plusieurs paralympiens. Et aussi celle du mouvement paralympique et de l’essor majeur qu’il a connu au cours des trois derniers Jeux d'été, à Pékin, Londres et Rio de Janeiro.

« Après les Jeux de 2008, la population chinoise a changé d’attitude vis-à-vis des handicapés, révèle l’haltérophile Cui Zhe. Ma vie et celle de ma famille sont devenues bien meilleures. »

Cette évolution quant à la perception ne s’est toutefois pas traduite par une accessibilité accrue.

« À Pékin, il y a eu de gros efforts, mais après, ils ont tout enlevé, rappelle Joëlle Rivard, coordonnatrice sportive chez Parasports Québec. Donc, l’héritage d’accessibilité, la population de la Chine n’en a pas profité. »

À Londres, en 2012, le virage populaire entamé à Pékin a atteint des sommets jusqu’alors jamais vus. Les stades étaient pleins. Au 100 m, le favori local Jonnie Peacock a couru devant 80 000 spectateurs contre son idole d’alors, Oscar Pistorius. Il a même dû demander à la foule de se taire alors qu’elle scandait son nom dans les blocs de départ. Il a raflé l’or, Pistorius terminant cette fois au pied du podium.

PHOTO ED CLAYTON, TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Jonnie Peacock lors de sa victoire au 100 m aux JO de Londres

Dans son offensive publicitaire, l’organisation londonienne avait planté un jalon important, et presque insolent, envers les Jeux « réguliers ». Quelques jours avant la fin des JO avaient été installés dans la capitale anglaise des panneaux avec le message suivant : « Merci pour l’échauffement ».

En d’autres mots : les vrais Jeux s’en viennent bientôt !

« Londres a été très audacieux dans sa campagne publicitaire et je pense que ça va inspirer ce qui s’en vient, les autres organisations, à être un peu plus baveux, croit Mme Rivard. À avoir le droit de dire : “OK, les athlètes olympiques, tassez-vous, le vrai monde s’en vient !’’ »

PHOTO FOURNIE PAR JOËLLE RIVARD

Joëlle Rivard, ex-athlète paralympienne et coordonnatrice sportive chez Parasports Québec

C’est une belle carte à jouer parce que quelque part, c’est vrai. Au-delà du fait que ce sont des athlètes qui sont persévérants, ce sont des gens qui ont eu des claques sur la gueule très visibles dans la vie et qui ont été capables de faire quelque chose avec ça.

Joëlle Rivard, coordonnatrice sportive chez Parasports Québec

Les Jeux paralympiques sont un important véhicule d’émancipation pour les personnes en situation de handicap, indique Joëlle Rivard, qui a participé comme nageuse aux Jeux paralympiques d’Atlanta, en 1996. Les paralympiens « utilisent le sport pour faire changer les mentalités », affirme, dans le même ordre d’idées, l’une des athlètes dans le documentaire.

« Les athlètes en général, qu’on parle de handicaps ou non, sont des porteurs de messages », dit Mme Rivard, évoquant en guise d’exemple le mouvement Black Lives Matter.

Superhéros

Les premiers Jeux paralympiques ont eu lieu à Rome, en 1960. Racontée dans le documentaire, l’histoire de celui qui en est l’instigateur, le DLudwig Guttman, est passionnante.

Inclure le sport dans la réhabilitation de ses patients est l’une des meilleures idées qu’il ait eues au cours de sa pratique médicale, se félicite celui dont la famille a fui l’Allemagne dans les années 1930, après la prise de pouvoir par les nazis.

« Il n’y a rien de mieux dans la vie pour vous tirer de l’abîme que le sport », dira-t-il.

Les nombreuses histoires d’athlètes sont également captivantes.

« Chaque athlète paralympique s’est vu répéter encore et encore que la vie serait trop compliquée pour lui », note la nageuse australienne Ellie Cole dans les premières minutes.

Règle générale, Joëlle Rivard n’est pas amatrice de ces films sur les athlètes et les personnes en situation de handicap.

« Quand j’ai su que ce documentaire s’en venait, j’avais peur que ça aille beaucoup dans l’image du superhéros », indique-t-elle.

Mais c’est exactement sur cette note que ça commence, non ?

« Oui, mais ils nous amènent complètement ailleurs aussi. C’est cet angle-là que j’ai beaucoup aimé. Que le parasport, ça sert à quelque chose, au-delà d’inspirer les gens. Que ça laisse un héritage d’accessibilité où ça passe », fait valoir la coordonnatrice de Parasports Québec.

Et pourquoi n’aime-t-elle pas généralement les documentaires sur l’univers paralympique ?

Souvent, les personnes handicapées, on nous met sur un piédestal. Quand on est dégourdis un peu, on se fait dire qu’on est inspirants. Tu deviens un modèle et c’est l’fun. Mais tu ne veux pas être un modèle juste parce qu’il te manque des bouts.

Joëlle Rivard, coordonnatrice sportive chez Parasports Québec

Les Jeux miracles

À Rio, en 2016, les Jeux paralympiques ont failli ne jamais avoir lieu. L’organisation avait utilisé les fonds dévolus aux Paralympiques pour combler le déficit des Jeux réguliers. Le documentaire raconte les actions du trio à la tête des Paralympiques, qui a brillamment – héroïquement – sauvé les Jeux in extremis. Leur annulation aurait été catastrophique. Elle aurait signé la mort du mouvement, selon les trois hommes.

« Ça revenait à dire aux 24 millions de personnes vivant en situation de handicap au Brésil : “Vous n’êtes pas importants. Vous n’en valez pas la peine’’ », lance l’un d’eux.

Une fois démarrés, ces Jeux ont connu un immense succès de foule.

PHOTO LIANNE MILTON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Deux escrimeurs s'affrontent lors des Jeux paralympiques de Rio de Janeiro, en 2016.

« Ça ne m’a pas surprise que ce soit populaire. C’est un peu dans la culture, au Brésil. Les personnes handicapées ont une place différente d’ici », souligne Joëlle Rivard, se rappelant la taille imposante des équipes nationales paralympiques brésiliennes dans les années 1990.

Les installations au Québec

En 1996, l’organisation des Jeux paralympiques d’Atlanta avait été « un désastre ». « Le comité a tout bonnement décidé de ne pas organiser les Jeux paralympiques », affirme-t-on dans Rising Phoenix.

« Effectivement, c’était le bordel. Mais c’est encore un peu la réalité aujourd’hui. Quand on arrive en rencontres avec les autres fédérations, le parasport est le parent pauvre », signale Mme Rivard, traçant un parallèle avec le Québec.

Les personnes atteintes d’une forme de déficience physique représentent 15 % de la population, rapporte-t-elle. Pourtant, l’un de ses principaux défis à Parasports Québec est de trouver des installations adéquates.

Heureusement, le Code du bâtiment fait que toute nouvelle construction est accessible.

« On a gagné ça, applaudit-elle. Mais la règle du plus bas soumissionnaire fait qu’il n’y a plus de plancher de bois. On va prendre des planchers plus mous. Pour nous, c’est vraiment problématique. »

Problématique parce que le basket et le rugby en fauteuil sont parmi les parasports les plus populaires. Et, pour la pratique de ces activités, les planchers mous causent « de sérieuses difficultés ».

Donc, oui, les bâtiments sont davantage accessibles… mais ce sont maintenant les terrains qui constituent l’embûche. Pas toujours, mais souvent.

« Reste ça aussi à améliorer au Québec, explique Joëlle Rivard. Aller consulter les populations concernées du début à la fin du processus. »

Les Jeux paralympiques, souligne le documentaire, font grandement évoluer le sort des personnes en situation de handicap. Grâce à eux, ici comme ailleurs, une partie du chemin a été parcourue. Mais seulement une partie.

Rising Phoenix, d’Ian Bonhôte et Peter Ettedgui, 1 h 45 min, offert sur Netflix

IMAGE TIRÉE DE NETFLIX

Rising Phoenix, d'Ian Bonhôte et Peter Ettedgui