Dans mon enregistreur numérique, je conserve un documentaire sur le Tournoi des Maîtres de 1986, remporté par Jack Nicklaus, alors âgé de 46 ans. Un exploit considérable, qui couronnait la carrière du meilleur golfeur de l’histoire (oui, oui, devant Tiger Woods). Les tours de magie du « Golden Bear » durant la dernière ronde font partie de la légende sportive.

Nicklaus a toujours été un de mes favoris. Sa capacité à briller sous pression, sa détermination et sa classe exceptionnelle sont impressionnantes.

Ai-je déjà pensé aux convictions politiques de Nicklaus ? Non, jamais. Mais dans le cas contraire, je l’aurais associé aux républicains. Les joueurs américains de la PGA, selon des enquêtes des magazines de golf, appuient en majorité ce parti associé aux baisses d’impôts. Plus on est riche, plus il s’agit d’un enjeu crucial, semble-t-il…

Que Nicklaus soutienne les républicains est tout à fait légitime. Dans le passé, s’il s’était prononcé en faveur de Bob Dole, George W. Bush, John McCain ou Mitt Romney, tous d’anciens candidats de ce parti à la présidence, je n’aurais pas sourcillé. Mais Donald Trump ? Alors là, j’ai été secoué.

Dans un message publié mercredi dernier, Nicklaus invite ses fans à voter en faveur de Trump, seule façon, écrit-il, de garder en vie le « rêve américain » et d’éviter que l’Amérique ne devienne « socialiste » avec un gouvernement qui dirigera « votre vie ».

PHOTO JONATHAN ERNST, ARCHIVES REUTERS

Jack Nicklaus

Non, Nicklaus ne fait pas dans la nuance ! Si les politiques proposées par Joe Biden sont « socialistes », j’ose à peine imaginer le jugement de Nicklaus sur le Canada et notre système de santé public. Heureusement que l’argent n’a pas d’odeur, car il aurait dû se pincer le nez lorsque son entreprise a empoché de grosses sommes pour dessiner des parcours de notre côté de la frontière, dont le célèbre Glen Abbey.

Les anciens quarts-arrières de la NFL Brett Favre et Jay Cutler soutiennent aussi Trump. Tout comme une légende canadienne, le grand Bobby Orr.

Le meilleur défenseur de l’histoire de la LNH a acheté une page de publicité dans un quotidien du New Hampshire pour faire partager ses craintes face à l’avenir des États-Unis, « un pays que j’ai appris à aimer profondément ». Selon lui, la réélection de Trump permettra à l’Amérique de demeurer un endroit de « patriotisme et d’opportunité ».

Nicklaus et Orr mettent aussi leurs fans en garde : n’accordez pas trop d’importance aux messages de Trump sur Twitter ou à la manière dont il dit les choses. Il faut aller au-delà, conseille Nicklaus, qui évoque aussi le « patriotisme ». Orr ajoute : « Il [Trump] est le genre de coéquipier que je veux. »

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Beaucoup d’amateurs souhaiteraient que les athlètes ne participent pas aux débats publics polarisants. Qu’ils se contentent de nous divertir sur les surfaces de jeu.

Si l’immense majorité des sportifs affiche de la discrétion à ce propos, les plus engagés livrent le fond de leur pensée. LeBron James donne le ton depuis longtemps. Des entraîneurs et d’autres joueurs de l’Association nationale de basketball (NBA) tiennent aussi des propos percutants. Et le cran de Colin Kaepernick a marqué le monde du sport.

De jeunes vedettes marchent dans leurs pas, faisant ainsi de 2020 une année marquante dans cette délicate intersection sport-politique. Au premier rang, on retrouve Naomi Osaka, qui a affiché ses opinions durant les derniers Internationaux de tennis des États-Unis. Au football, Patrick Mahomes, quart-arrière des Chiefs de Kansas City, défend aussi la justice sociale.

Leur prise de parole leur vaut les reproches de beaucoup de gens. Sur les réseaux sociaux, Osaka répond avec vigueur aux gens lui conseillant de s’en tenir au sport. Elle a bien raison.

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Osaka, Mahomes et leurs camarades m’impressionnent. J’aime qu’ils utilisent leur tribune pour exprimer leur vision du monde. Je ne reprocherai donc pas à Nicklaus et Orr de les imiter. Mais je tire aussi des conclusions de leur prise de position.

Trump n’est pas un républicain comme les autres. Il refuse de condamner l’extrême droite, attaque la liberté de la presse, tient des propos racistes et misogynes. Il se moque de l’apparence physique de ses adversaires politiques, insulte des soldats américains et ridiculise des héros comme John McCain, longtemps prisonnier au Viêtnam.

Ce n’est pas tout : Trump montre du mépris pour des leaders de pays traditionnellement alliés des États-Unis comme le Canada, la France et l’Allemagne, et ne cache pas son respect pour des dirigeants autocrates. Il souhaite la mise en accusation de leaders du Parti démocrate comme Hillary Clinton, Barack Obama et Joe Biden.

Sur tous ces plans, Trump n’a rien en commun avec ceux qui ont porté l’étendard républicain avant lui. Peu importe notre opinion sur les idées de McCain ou de Romney lors des élections de 2008 et 2012, ils imposaient le respect en campagne électorale.

Si Donald Trump est un candidat qui plaît à Jack Nicklaus et à Bobby Orr, s’ils sont fiers de s’associer à lui, grand bien leur fasse. Ils révèlent ainsi un aspect de leur personnalité qu’ils nous ont soigneusement caché. Cela fait désormais partie de leur héritage. Ils sont des « trumpistes ».

Cette réalité diminue-t-elle la valeur de leurs exploits sportifs ? Bien sûr que non ! Nicklaus reste Nicklaus, Orr reste Orr, des athlètes fabuleux à tous égards.

Je m’émerveillerai encore des formidables coups de Nicklaus sous pression en regardant le documentaire sur le Tournoi des Maîtres de 1986. Et je serai toujours touché par la grâce de Bobby Orr en observant cette photo historique, où on le voit en plein vol après son but donnant aux Bruins de Boston la Coupe Stanley en 1970.

Mais j’ai perdu beaucoup de respect pour eux. Dans ma tête, ils ne sont plus les champions de jadis. Ils soutiennent des politiques de division et appuient avec enthousiasme un homme dont les valeurs, souvent odieuses, menacent la démocratie.

Compte tenu de l’influence des États-Unis sur notre monde et le Canada en particulier, j’ai certainement le droit de m’en inquiéter, même si je ne suis pas américain.

Nicklaus et Orr ont choisi leur camp. Je choisis le mien : ne plus les admirer.