Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence

Richard Labbé

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

D’un point de vue strictement technique, ma première affectation s’est déroulée tard le soir dans un bar gothique, avec des gens qui se prenaient pour des vampires, mais bon, ça ne compte pas vraiment parce que c’était mon idée (je sais). Parlons donc plutôt de la première fois qu’un patron m’a demandé de partir sur le terrain en mission pour le bien collectif de la province. Cette fois-là, on m’a demandé d’aller rencontrer les Spice Girls. Les cinq en même temps. Je n’étais pas un fan, mais quand j’ai mis les pieds dans leur immense suite d’un hôtel du Vieux-Montréal, je le suis devenu assez vite. D’abord parce qu’elles étaient sympathiques et ensuite parce qu’elles étaient en train de déjeuner et que l’une d’elles, Victoria pour ne pas la nommer, m’a gentiment offert des fraises avec son charmant accent britannique. On m’a ensuite affecté à la couverture des Alouettes et je me souviens d’avoir trouvé ça un peu moins stimulant.

Simon-Olivier Lorange

IMAGE ARCHIVES LA TRIBUNE

Début mai 2007. À la toute première journée de mon stage au quotidien La Tribune, à Sherbrooke, j’apprends l’existence de la rubrique « religion », cachée au milieu des petites annonces du samedi. Ce rendez-vous hebdomadaire, désuet au possible, était prisé par notre lectorat âgé. Avec toute la fougue de mes presque 22 ans, je suis donc allé rencontrer une dame qui m’a parlé en long et en large des camps estivaux du mouvement ACLE – accueillir, célébrer, libérer, engager… À mon retour au bureau, on m’a expliqué, le plus sérieusement du monde, que je devais livrer un article de 800 mots, ce qui est plutôt long pour un tabloïd. Dans les archives du journal, on retrouve donc, sous mon nom, un bijou de 777 mots intitulé « La vie liturgique au goût du jour ». Ce que je ne savais pas, c’est que mes collègues s’étaient payé ma tête, car d’ordinaire, on consacrait au maximum la moitié de cet espace à cette rubrique que les membres de la rédaction abhorraient. Un grand baptême, donc. Le stage estival a toutefois été formidable.

Frédérick Duchesneau

IMAGE ARCHIVES LA VOIX DE L’EST

J’ai honte. J’ai même envisagé de mentir. Mais voici. À La Voix de l’Est, quand j’y ai atterri, fin 2004, il y avait un vox pop quotidien. Évidemment, au moment de trouver un volontaire, tout le monde avait un coup de fil à passer ou une envie soudaine de café. Peu importe l’heure. J’espère ne pas avoir été payé longtemps 14,30 $ l’heure pour en accoucher, mais toujours est-il que je n’ai pas trouvé mieux que ceci : « Avez-vous l’habitude de surveiller les éclipses lunaires ? » Mais oui, il y aurait une éclipse lunaire le lendemain. Incroyable, non ? Un phénomène rarement très spectaculaire et qui peut arriver jusqu’à cinq fois par année… À mon retour de la rue, la secrétaire de la salle m’a demandé quelle avait été ma question. Nul besoin d’être physionomiste pour déceler l’expression sur son visage : le jugement. Sans retenue ! Bizarrement, il y a deux mois, je n’ai pas fait mention de cette première affectation lors de mon entrevue pour me joindre à l’équipe des Sports…

Michel Marois

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

Je suis entré à La Presse à l’automne 1988 après avoir signé une série d’articles sur le dopage quelques jours avant que Ben Johnson ne soit disqualifié en finale du 100 mètres aux Jeux de Séoul. On m’avait dit que je travaillerais surtout au bureau et ce n’est que l’été suivant que j’ai eu ma première affectation à l’extérieur. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que c’était pour couvrir les travaux de la commission d’enquête sur l’usage des drogues dans le sport amateur présidée par le juge Charles Dubin, à Toronto en mai 1989, alors que le tour était venu d’entendre Johnson, son entraîneur Charlie Francis et le « docteur » Jamie Astaphan. Une grosse affaire qui avait attiré des dizaines de journalistes du monde entier. On a eu droit à un grand déballage, les trois principaux acteurs du scandale ne niant pas leur culpabilité, mais j’ai surtout retenu de ces journées l’hypocrisie des dirigeants du sport canadien et de cette parodie d’enquête. À la fin du témoignage de Johnson, le juge Dubin lui a rappelé qu’il avait promis de ne plus jamais tricher. L’athlète déchu a répondu : « Oui, Monsieur. » Drôle de voir à quel point rien n’a vraiment changé, plus de 40 ans plus tard.

Mathias Brunet

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

Avant d’obtenir un poste permanent aux Sports, en 1994, je m’étais trouvé moi-même une niche comme spécialiste du domaine des personnes handicapées malgré mon statut encore précaire de collaborateur à La Presse. J’ai tenu ce rôle pendant presque un an, parallèlement à mes études en histoire à l’Université du Québec à Montréal (concentration en histoire des États-Unis du XXsiècle). L’un de mes premiers reportages sur le terrain, dans un hôpital psychiatrique de l’ouest de Montréal, en 1992, m’a plongé dans une scène digne du film Vol au-dessus d’un nid de coucou. J’y visitais une aile encore plus perturbante que celle où se trouvait le personnage de McMurphy, brillamment interprété par Jack Nicholson. L’un des premiers pensionnaires croisés lors de cette visite portait un casque de football et une véritable armure parce qu’il se faisait violence depuis des années contre le mur de ciment. J’y avais vu de nombreuses camisoles de force, des Argentino suits, accrochées au mur. J’y ai rapporté des cas de roulement de personnel, de surmédication, de mauvais soins. Le syndicat de l’établissement avait fait parvenir une lettre à mes supérieurs pour dénoncer le manque de professionnalisme de ce « journaliste pigiste » dans un texte qu’il qualifiait de tendancieux et vulgaire, et exiger une rétractation. À mon grand soulagement, le directeur de l’information de l’époque, Marcel Desjardins, allait poliment les envoyer paître. Vingt-huit ans plus tard, j’y suis toujours. Et même si le hockey est devenu ma spécialité, je rigole toujours un peu quand des lecteurs sur Twitter me suggèrent de me limiter au sport lorsque je sors à l’occasion des sentiers battus.

Miguel Bujold

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

J’avais déjà eu quelques affectations pour un autre média, mais la première fois que je me suis retrouvé sur le terrain à La Presse, c’était lors d’un match de l’Impact en 2003. Je travaillais en soirée et en arrivant au bureau le vendredi après-midi, Alexandre Pratt, qui était notre chef d’équipe aux Sports à cette époque, m’avait annoncé que je prenais la direction du centre Claude-Robillard ; c’était bien avant le stade Saputo et la MLS… Je ne déteste pas le soccer. J’ai pratiqué ce sport durant mon enfance et mon fils y joue depuis plusieurs années déjà. Je suis toujours le Mondial et l’Euro de près et j’assiste occasionnellement à des matchs de l’Impact au stade Saputo. Mais je suis loin d’être un expert, alors je voulais m’en tenir à un résumé de match des plus classiques pour cette première affectation à La Presse. Sauf que je suis tombé sur un match à bas pointage, 1-0 pour l’Impact. Il y avait donc beaucoup de citations de joueurs dans mon texte… Le fait saillant de ma soirée a été l’arrivée en milieu de match de l’un des autres journalistes qui devaient couvrir la partie. Il avait été pris dans un bouchon de circulation. Le pauvre avait ensuite eu des problèmes d’ordinateur durant le reste du match. Il demandait constamment aux autres journalistes de lui raconter ce qui s’était déroulé sur le terrain. Pas grand-chose, mon vieux.

Alexandre Pratt

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

Au milieu des années 90, chaque dimanche, La Presse publiait La Jeune Presse. Une page d’articles écrits par et pour des étudiants. En gros, on rapportait les actualités de notre école. Pour jazzer le contenu, le responsable de la page, Alain de Repentigny, avait conclu une entente avec MusiquePlus. Ça nous permettait d’interviewer les artistes de passage dans leurs studios. Coooooooool. Première affectation : une entrevue avec le chanteur d’Everclear, auteur du succès Santa Monica. Marijuana à 9 ans. Cocaïne et héroïne à 12 ans. Son frère est mort d’une surdose. Sa copine s’est suicidée. « Je ne suis pas un modèle à suivre », m’avait-il confié. L’air de dire : kid, couvrir des assemblées étudiantes, c’est ben correct…

Simon Drouin

IMAGE ARCHIVES LA PRESSE

J’ai dû retourner dans les archives pour retrouver cette première affectation sur le terrain pour La Presse à l’été 1999. Vingt-trois ans, les cheveux mi-longs, je n’avais que pour seule expérience mes deux ans à Impact Campus, le journal étudiant de l’Université Laval. Heureusement, Michèle Ouimet et Agnès Gruda, mes savantes directrices de stage, étaient là pour me guider. Grosso modo, je devais « enquêter » sur de mystérieux graffitis haineux tracés sur le mur arrière d’un grossiste en charcuterie cachère du Plateau Mont-Royal. Curieusement, je me souviens surtout m’être retrouvé dans un restaurant végétalien de l’autre côté de la rue. Un dirigeant de la charcuterie m’avait dit que des slogans anti-carnivores avaient déjà été dessinés, suspectant le resto voisin ou ses clients d’en être les auteurs. L’enquête n’avait pas abouti bien loin, mais j’étais rentré au bureau en ayant appris comment distinguer le végétalisme et le végétarisme.

Guillaume Lefrançois

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le skieur Erik Guay à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, en décembre 2013

La mission : attendre Erik Guay à l’aéroport pour recueillir ses commentaires à son retour d’Europe. Pas de reportage à faire. Il fallait simplement rapporter des extraits pour les plateformes de Radio-Canada. Je pars donc avec une camérawoman, Josianne, qui devait bien sentir que je m’en faisais pour rien. En route vers Dorval, elle me lance tout bonnement : « C’est pas compliqué : moi, je tiens le Kodak et toi, tu tiens le micro ! » Le regard que je lui ai fait devrait être en photo dans le dictionnaire, à côté du mot détresse. Le Kodak ? J’ai compris, une fois à l’aéroport, que c’était la caméra vidéo, et non pas un appareil photo. Que voulez-vous, ce n’est pas dans les cours d’histoire qu’on apprenait le jargon de la télévision… Une partie du stress s’en va. Encore fallait-il trouver Erik Guay dans ce fichu aéroport ! Finalement, j’ai paniqué pour rien. Il ne s’est jamais présenté pour la simple et bonne raison qu’il n’était pas sur le vol qu’on nous avait indiqué. Tout ça pour ça ! Au moins, la glace était (à demi) brisée.