Pensez Ali-Frazier. Gretzky-Lemieux. Karpov-Kasparov. Federer-Nadal.

Pensez à une rencontre au sommet, dans un match ultime. Deux des plus grands coureurs de fond de l’histoire, deux rivaux depuis presque 20 ans sur la piste, au cross country, puis sur la route.

Le Kényan Eliud Kipchoge, recordman du marathon, roi de la discipline, contre l’Éthiopien Kenenisa Bekele, recordman du 10 000 m depuis 16 ans.

Kipchoge : 2 h 1 min 39 s à Berlin en 2018.

Bekele : 2 h 1 min 41 s à Berlin l’an dernier.

En fait, non, oubliez ça, n’y pensez plus.

Ils avaient rendez-vous au marathon de Londres en avril. L’évènement a été reporté au 4 octobre et ouvert seulement à une super-élite.

Les coureurs sont déjà en Angleterre, dans leur bulle, en dehors de Londres, dans un lieu tenu secret. La conférence de presse rituelle avait eu lieu jeudi. Kipchoge, toujours pénétré de cette sorte d’optimisme lumineux. Bekele, plus mystérieux, parlant d’un entraînement pas optimal…

Puis, vendredi matin, heure de Montréal, Bekele fait savoir qu’une blessure au mollet gauche l’empêcherait de courir. Il a imputé la blessure à deux entraînements de vitesse trop rapprochés. Il croyait sauver la mise avec ses traitements. Et 48 heures avant le coup de fusil de Sebastian Coe, bang, forfait.

À 38 ans, avec un long historique de blessures depuis une dizaine d’années, Bekele n’aura peut-être jamais l’occasion de remettre ça en 2021 – à Londres, comme il l’a dit, ou à Tokyo, si des Jeux olympiques ont lieu…

C’est inédit, une rivalité sur une aussi longue durée entre deux coureurs de si haut calibre. Mais c’est peut-être la fin, justement.

Dès la saison 2003, les deux se sont frottés l’un à l’autre. Au Championnat du monde d’athlétisme à Paris, sur 5000 m, Kipchoge, à 18 ans, avait battu Bekele et le grand Hicham El Guerrouj (toujours recordman du 1500 m).

Ce même trio s’est retrouvé sur le podium aux Jeux d’Athènes en 2004, quand El Guerrouj a pris l’or, Bekele l’argent et Kipchoge le bronze.

Mais tant sur piste qu’au cross-country, Kenenisa Bekele a dominé largement Eliud Kipchoge. L’Éthiopien a détrôné Haile Gebreselassie ces années-là et laissait les autres loin derrière. Il a établi le record du monde du 5000 m (12:37,35) et du 10 000 m (26:17,53). Celui du 10 000 m tient encore, 15 ans plus tard, et celui du 5000 m n’a été battu que cet été à Monaco par Joshua Cheptegei (12:35,36).

  • Eliud Kipchoge, marathonien kényan

    PHOTO BOB MARTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Eliud Kipchoge, marathonien kényan

  • Kenenisa Bekele, marathonien éthiopien, recordman du 10 000 m depuis 16 ans.

    PHOTO BOB MARTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

    Kenenisa Bekele, marathonien éthiopien, recordman du 10 000 m depuis 16 ans.

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En plus de l’or au 10 000 m à Athènes, Bekele a réalisé le doublé à Pékin (or aux 5000 et 10 000) et remporté cinq titres aux championnats du monde.

La suite a été plus difficile pour lui, plusieurs blessures, des saisons ratées, et une cruelle quatrième place (derrière son frère) à Londres au 10 000 m.

Kipchoge, entre-temps, est passé à la course sur route. Et il n’a pas mis de temps à s’imposer. Sans la moindre contre-performance, ce qui est exceptionnel dans cette discipline pleine d’imprévus. Des 13 marathons auxquels il a participé, Kipchoge en a remporté 12 – y compris les quatre où Bekele l’a affronté. Et généralement par des marges énormes. Kipchoge a couru le fameux marathon sous les deux heures (1 h 59 min 40 s) qui, même s’il n’a pas été homologué, a marqué les esprits – et le commerce de souliers.

Malgré quelques bons résultats ici et là, Bekele de son côté ne semblait plus capable de l’approcher au marathon – il a fini huitième, à plus de quatre minutes de Kipchoge, à Londres en 2018.

Puis, énorme revirement de situation l’an dernier : Bekele retourne au sommet en septembre 2019, quand il passe à deux secondes du record de Kipchoge à Berlin – le Kényan n’y était pas, se préparant pour son marathon de moins de deux heures à Vienne.

Les deux sont maintenant chaussés par Nike, qui a révolutionné le soulier de course sur route il y a quatre ans, avec des chaussures à mousse ultralégère munies d’une plaque de carbone comme un ressort, soulier qui a connu plusieurs évolutions et hausses de prix…

Même si les autres équipementiers ont répliqué avec leur version « à plaque », le vainqueur, seul en avant, est bien Nike. Témoin tous les détenteurs des meilleurs temps des dernières saisons, ou presque, dont la nouvelle détentrice du record du monde, la Kenyane Brigid Kosgei (2 : 14 : 04). Elle sera de la course des femmes, très relevée aussi.

Le match n’aura donc pas lieu dimanche. Ni peut-être jamais.

Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de spectacle. À part Kipchoge, grand favori à 35 ans, trois Éthiopiens ayant des chronos sous les 2 h 4 min seront présents, dont Mosinet Geremew, 28 ans, auteur du quatrième temps historique (2 h 2 min 37 s). Ils auront parmi leurs lièvres, pour imposer l’allure, nul autre que Sir Mo Farah.

Cam Levins, 31 ans, détenteur du record canadien (2 h 9 min 25 s, en 2018), sera parmi la quarantaine de coureurs qui feront 19,6 tours du parc St. James, une boucle de 2,1 km, pour finir dans le « Mall », devant Buckingham Palace, sans le moindre spectateur, sauf peut-être la reine, si elle passe une petite laine et va voir ça sur son balcon…

Rectificatif :
En raison d’un problème technique, certains des temps records mentionnés dans la chronique d’Yves Boisvert parue samedi étaient erronés. Le texte aurait dû se lire ainsi : « Mais tant sur piste qu’au cross-country, Kenenisa Bekele a dominé largement Eliud Kipchoge. L’Éthiopien a détrôné Haile Gebreselassie ces années-là et laissait les autres loin derrière. Il a établi le record du monde du 5000 m (12:37,35) et du 10 000 m (26:17,53). Celui du 10 000 m tient encore, 15 ans plus tard, et celui du 5000 m n’a été battu que cet été à Monaco par Joshua Cheptegei (12:35,36). » Nos excuses.