Même si sa saison ne s’est résumée qu’à deux épreuves, la coureuse Maïté Bouchard garde toujours le cap sur les Jeux olympiques de Tokyo. Entre deux stages cliniques pour son doctorat en médecine.

Entre ses stages cliniques en chirurgie, un examen à préparer et ses entraînements, Maïté Bouchard avait peu de temps pour l’entrevue. Qui s’est donc déroulée entre deux bouchées pendant son dîner à l’hôpital Fleurimont du CHU de Sherbrooke.

La coureuse de 25 ans n’a pas choisi le chemin le plus simple pour aller aux Jeux olympiques. Travailler 60 heures par semaine, parfois plus, ce n’est pas exactement l’ordinaire d’un athlète rêvant de Tokyo l’été prochain.

« Ma vie est un peu plate pour les deux prochaines semaines ! constate-t-elle en riant. C’est pas mal stage, études, entraînement, dodo. »

Maïté Bouchard, donc. Étudiante en médecine — elle achève son externat — et spécialiste du 800 m, où elle figure parmi les cinq ou six meilleures Canadiennes.

Son entraîneur Simon Croteau, directeur d’une école secondaire de jour, nous avait écrit à la fin de février pour signaler les bonnes performances de sa protégée. Elle avait conclu sa saison au Last Chance Invitational de l’Université de Boston avec une victoire devant sa compatriote Melissa Bishop-Nriagu, quatrième aux JO de Rio, et l’Américaine Ce’Aira Brown, finaliste aux derniers Mondiaux.

Son chrono de 2:00,93 était un troisième record personnel de suite en salle. Il la classait parmi les 10 meilleures mondiales et lui valait le quatrième rang canadien de tous les temps. Sur une piste rapide, certes, mais les temps à l’intérieur sont généralement plus lents à cause des virages plus serrés.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Maïté Bouchard aux Championnats canadiens d’athlétisme tenus en juillet 2019 au Centre Claude-Robillard de Montréal

Après une fin de saison 2019 difficile, marquée par une chute et une commotion aux Jeux panaméricains de Lima, Bouchard amorçait donc la dernière ligne droite vers une qualification pour les JO de Tokyo avec un bel élan.

Pour se donner toutes les chances, elle avait mis ses études sur pause jusqu’en septembre. Elle s’apprêtait à partir pour un stage en Arizona avec une coureuse britannique, Lynsey Sharp, sixième à Rio, qu’elle avait « rencontrée » un peu par hasard sur Instagram. Son calendrier de compétitions en France, en Suisse et en Italie était déjà établi.

Elle devait d’abord se rendre aux Mondiaux en salle de Nanjing, en Chine. Ce fut le premier événement sportif repoussé par le nouveau coronavirus, qui n’avait infecté que 6000 personnes et causé 132 morts dans le monde à la fin de janvier…

Quand les Jeux de Tokyo ont été reportés d’un an, deux mois plus tard, Maïté Bouchard le sentait venir. Comme la majorité de ses collègues, elle est passée par des épisodes de déception et de frustration. Ce fut ensuite l’acceptation, considérant la situation sanitaire mondiale.

« Après ça, je me suis dit que les athlètes qui sortiraient gagnants de cette situation sont ceux qui en profiteront pour s’entraîner plus, se souvient-elle. Je n’avais jamais eu une phase comme ça d’entraînement sans compétitions. Mon coach et moi, on a essayé de voir les choses comme ça. Honnêtement, j’ai été surprise, mais ça a fait en sorte que ma motivation est restée vraiment bonne. »

Faute de pistes ouvertes, ils ont tourné leur attention vers la course sur route. L’année précédente, le duo avait déjà eu à vivre avec la fermeture de la piste de l’Université de Sherbrooke, en rénovation. L’ancienne représentante du Vert et Or, convertie sur le tard à l’athlétisme, a bien composé avec cette restriction.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Maïté Bouchard

Avec mon parcours un peu atypique, on est habitués à devoir s’adapter, de changer les choses, de ne pas toujours être dans des situations dites idéales. Ça a quand même bien été. Je me suis trouvée chanceuse que mon sport soit encore accessible pendant le confinement. Pauvres athlètes de natation qui ont dû trouver ça pas mal plus difficile.

Maïté Bouchard

La faculté de médecine lui a permis de remodifier son calendrier, si bien qu’elle a poursuivi ses stages, dont celui-ci en chirurgie générale. L’horaire n’est pas commode, avec des gardes de soir et de fin de semaine. Elle s’entraîne le soir avec son entraîneur, qui l’accompagne parfois à la course. « Sinon, des gars viennent m’aider dans des trainings. Ça fait deux ans que je m’entraîne toute seule et ça va quand même bien. Ça travaille autre chose, beaucoup le mental. »

Elle a couru deux fois le mois dernier, ses deux seules épreuves à l’extérieur, à Sainte-Thérèse et à Sherbrooke, où la nouvelle piste était inaugurée. Elle avait fait venir Lindsey Butterworth et Lucia Stafford, deux rivales canadiennes qu’elle a hébergées chez son père et chez elle à Sherbrooke.

Compte tenu des conditions — les coureuses devaient rester dans leur couloir jusqu’à la ligne des 300 m avant de se rabattre, plutôt qu’après 100 m —, Bouchard était satisfaite de ses deux temps : 2:02,21 et 2:01,91, son deuxième à vie (2:01,25 en 2018). Butterworth l’a battue chaque fois.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Maïté Bouchard à l’entraînement, le printemps dernier, sur la piste de l’Université de Sherbrooke

Si elle regrette de ne pas avoir eu l’occasion de tirer profit de sa bonne forme du printemps, la demi-fondeuse n’a pas le sentiment d’une saison perdue.

« Dans le fond, c’est peut-être à mon avantage que les Jeux sont décalés d’un an. Je vais avoir une année d’entraînement de plus derrière la cravate. Ça fera en sorte que je serai une meilleure athlète l’an prochain. »

Après avoir vécu ses contre-performances de 2019 « comme une claque au visage », elle a retrouvé sa motivation après avoir fait un bilan avec son entraîneur.

« Au lieu d’avoir pour objectif de dépasser mes limites, de m’améliorer et de me mettre au défi, c’était de me classer dans une équipe, de battre mon temps. On dirait que j’avais perdu la raison intrinsèque pour laquelle j’aime l’athlétisme. J’ai l’impression que je suis vraiment revenue pour les bonnes raisons. Parce que j’aime ça, courir. »

Bouchard prévoit terminer son doctorat en janvier. Elle aura alors tout son temps pour se consacrer à la course à pied avant de songer à la résidence, probablement en médecine familiale avec une formation complémentaire en médecine d’urgence. Si les choses ne changent pas encore d’ici là.