Cette colère profonde, ce sentiment douloureux d’injustice et cette certitude de ne pas être écoutés, des millions d’Américains les ressentent dans leur cœur et leur âme.

Comment pourrait-il en être autrement ? Après le meurtre de George Floyd en mai dernier au Minnesota, survenu après d’autres tragédies du même ordre, ils ont espéré que leurs voix seraient entendues. Et que les services policiers prendraient des mesures pour freiner la violence à l’endroit des Afro-Américains.

Ce qui s’est produit dimanche dernier au Wisconsin a démontré que rien n’avait changé. Sous les yeux de ses enfants, Jacob Blake a reçu plusieurs balles dans le dos, tirées à bout portant par un membre des forces de l’ordre. La scène est à glacer le sang. Oui, les joueurs de la NBA ont eu raison de lancer ce mouvement de boycottage. Comme l’a laissé entendre Norman Powell, des Raptors de Toronto, à un journaliste de La Presse canadienne, mettre le genou à terre durant l’hymne national ne suffit plus.

PHOTO ASHLEY LANDIS, ASSOCIATED PRESS

Au lendemain de l’initiative de boycottage lancée par les Bucks de Milwaukee, le mouvement de protestation contre les inégalités sociales aux États-Unis s’est amplifié dans le monde du sport. Sur notre photo, des bannières arborant la mention Black Lives Matter, accrochées à l’extérieur de l’aréna où sont disputées les rencontres éliminatoires de la NBA, à Orlando, en Floride.

D’autres ligues ont suivi le mouvement et des matchs ont été annulés au hockey, au baseball et au tennis. Pareille unité est du jamais vu dans le sport professionnel. Voilà en quoi les évènements de cette semaine sont exceptionnels.

Pour en mesurer la portée, un rappel historique s’impose. Quand Muhammad Ali a refusé sa mobilisation dans l’armée américaine, en 1967, ses appuis ont été timides dans le sport. Même réaction pour John Carlos et Tommie Smith qui, en geste de protestation contre les injustices raciales, ont levé le poing ganté de noir durant l’hymne national américain aux Jeux de Mexico en 1968.

En 2016, Colin Kaepernick s’est retrouvé bien seul en mettant le genou à terre durant l’interprétation du Star-Spangled Banner avant un match des 49ers de San Francisco.

Et si on remonte plus loin dans le temps, pensons aux épreuves traversées par Jackie Robinson quand il est devenu le premier Afro-Américain à participer à un match des ligues majeures de baseball en 1947.

Les luttes pour les droits sociaux et l’égalité de traitement sont longues, dures et frustrantes. Des coups d’éclat sont nécessaires pour les alimenter. À chaque occasion, c’est une brique qui s’ajoute à l’édifice. Elles sont toutes importantes.

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Ce mouvement de boycottage contribuera-t-il à la progression de la société ? Rangez-moi dans le camp des optimistes prudents. En mettant en lumière les injustices, il éveille les consciences et rappelle avec puissance la nécessité du changement.

Les athlètes engagés sont des acteurs majeurs dans cette lutte. Leurs actes contribuent à faire avancer non seulement leur discipline, mais toute la société. Le sport est une caisse de résonance internationale.

Bien sûr, toutes les ligues ne réagissent pas de la même manière à cette évolution. La NBA est le moteur de cet engagement social. La Major League Soccer (MLS) est aussi proactive. La NFL ? Hélas, beaucoup de travail reste à faire. Inutile de revenir sur la manière terrible dont elle a traité Kaepernick. Dans les faits, il a été banni du football.

PHOTO TODD KIRKLAND, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En 2016, Colin Kaepernick a décidé de mettre le genou à terre durant l’interprétation du Star-Spangled Banner avant un match des 49ers de San Francisco. Cette décision lui a ultimement fermé les portes de la NFL, quelques mois plus tard.

En revanche, la réaction très vive de plusieurs des jeunes stars de la NFL à la mort de George Floyd a conduit le commissaire Roger Goodell à une certaine introspection. Dans une vidéo percutante, et flanqué de plusieurs de ses camarades, Patrick Mahomes, quart-arrière vedette des Chiefs de Kansas City, l’a mis au défi de prononcer publiquement les mots « Black Lives Matter ». Goodell l’a fait presque aussitôt.

Puis, plus tôt ce mois-ci, Goodell a reconnu son erreur historique : « J’aurais souhaité qu’on écoute Kaep plus tôt », a-t-il dit dans une entrevue avec l’ancien joueur Emmanuel Acho.

La déclaration de Goodell ne redonnera pas à Kaepernick la carrière qu’on lui a dérobée. Mais il s’agit d’un pas en avant. Modeste, sans aucun doute. Mais dans le long combat vers l’égalité, les petites victoires comptent aussi.

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Le hockey ? Bien sûr, j’aurais aimé que la LNH suive l’exemple de la NBA et reporte ses matchs de mercredi. Mais ce retard à réagir n’est pas étonnant. La ligue part de tellement loin dans ce dossier. L’important, c’est que les joueurs se soient finalement joints à ce mouvement.

La saison 2019-2020 aura été celle de l’éveil des consciences dans le circuit Bettman. En octobre dernier, le témoignage percutant d’Akim Aliu à propos de Bill Peters, son ancien pilote dans les rangs mineurs, a provoqué une onde de choc. Alors entraîneur-chef des Flames de Calgary, Peters a perdu son emploi. Cette affaire a obligé la LNH, et l’ensemble du hockey en Amérique du Nord, à s’interroger sur ses pratiques.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

En octobre dernier, Akim Aliu a dénoncé les paroles et les gestes de Bill Peters, son ancien pilote dans les rangs mineurs, ce qui a provoqué une onde de choc et un éveil des consciences à travers la LNH.

Là aussi, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Rappelons-nous : en septembre 2017, dans un discours en Alabama, le président Trump avait insulté les joueurs de la NFL qui protestaient durant l’hymne national. Et il a retiré son invitation à visiter la Maison-Blanche aux Warriors de Golden State, champions en titre de la NBA, qui, de toute façon, n’avaient pas envie de s’y rendre.

C’est sensiblement au même moment que les Penguins de Pittsburgh, alors détenteurs de la Coupe Stanley, ont annoncé qu’ils se rendraient à la Maison-Blanche. Cette absence totale de solidarité envers leurs collègues de la NFL et de la NBA était malheureusement révélatrice de la réalité du hockey professionnel.

Trois ans plus tard, les joueurs de la LNH, sous l’impulsion de joueurs comme Evander Kane et Matt Dumba, participent au mouvement de contestation lancé par la NBA. C’est une avancée appréciable.

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Le sport professionnel répétera-t-il le boycottage ou la grève de cette semaine quand d’autres affaires comme celles du Minnesota et du Wisconsin surviendront ?

Le contexte politique américain au cours des prochains mois fournira probablement la réponse. Jeudi, Donald Trump et son gendre Jared Kushner ont montré leur mépris envers la NBA et ses joueurs. Si leur administration est réélue en novembre prochain, les joueurs ressentiront encore cette pénible impression de ne pas être écoutés. Et on sera sans doute témoins d’autres épisodes semblables.