Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Pascal Milano

On fait une entrevue avec un combattant d’arts martiaux mixtes ou avec ses parents et, quelques jours plus tard, il partage l’octogone avec un dangereux adversaire qui cherche à le mettre K.-O. C’est humain d’avoir souhaité la réussite des Patrick Côté, Olivier Aubin-Mercier, Valérie Létourneau, Charles Jourdain, Marc-André Barriault ou Corinne Laframboise lors des quelques galas UFC et TKO que j’ai pu couvrir au fil des années. Du moins, on espère que rien de grave n’arrivera. Surtout que tous se livrent avec générosité en entrevue. Loin de la cassette de la plupart des athlètes professionnels, les réponses sont remplies de spontanéité, de franchise et parfois même d’anxiété. Côté, Aubin-Mercier et Létourneau l’avaient emporté lors du seul gala UFC que j’ai couvert en personne (au Centre Bell en avril 2015). Cela avait facilité l’angle de l’article du journaliste, mais aussi soulagé l’être humain devant son écran d’ordinateur.

Miguel Bujold

PHOTO TIMOTHY A. CLARY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le quart Patrick Mahomes (15) et Laurent Duvernay-Tardif (75) lors du Super Bowl, en février 2020

Je n’ai pas eu à reculer très loin dans mes souvenirs pour répondre à cette question. C’était lors du dernier Super Bowl, le 2 février, à Miami. Comme tout le Québec, je souhaitais une victoire de Laurent Duvernay-Tardif et des Chiefs de Kansas City. Comme la plupart des journalistes québécois qui ont couvert le match en Floride, j’avais prédit une victoire des Chiefs. Mais pour être bien honnête, la majorité d’entre nous craignaient que les Chiefs soient incapables de contenir l’attaque des 49ers et que ce soit plutôt San Francisco qui l’emporte. Et c’était bien parti pour ça. Les Niners menaient par 10 points au début du quatrième quart, et en plus, Duvernay-Tardif connaissait un match difficile. Il a été battu pour un sac du quart et a écopé de pénalités au deuxième et au quatrième quart. On ne savait cependant pas qu’il jouait en dépit d’une blessure à un mollet. Comme ils l’avaient fait à leurs deux premiers matchs dans les éliminatoires, Duvernay-Tardif, Patrick Mahomes et les Chiefs avaient toutefois gardé le meilleur pour la fin. Ils ont inscrit trois touchés dans les sept dernières minutes de jeu, et Duvernay-Tardif est ainsi devenu champion du Super Bowl, le plus récent exploit à son impressionnant palmarès.

Simon Drouin

PHOTO RUBEN SPRICH, ARCHIVES REUTERS

Erik Guay aux JO de Vancouver en 2010

Probablement à cause d’un pépin technique, je n’ai jamais vu la descente d’Erik Guay au super-G des Jeux olympiques de Vancouver en 2010. J’étais pourtant là, au pied de la pente de Blackcomb, entouré de quelques milliers de spectateurs. À mon souvenir, l’écran géant ne retransmettait que les écarts chronométriques. Mal parti, le Québécois avait graduellement regagné du terrain. « C’mon, Erik ! », criait le relationniste de l’équipe canadienne à l’affichage de chaque temps de passage. Tout le monde retenait son souffle quand Guay a franchi la ligne d’arrivée. Cinquième, à trois centièmes du bronze, à cinq de l’argent. Il avait sacré en se présentant devant les journalistes québécois. Ce n’était pas son genre. « Je suis désolé pour Erik, j’aurais souhaité qu’il soit sur le podium aujourd’hui », avait déclaré le gagnant, le Norvégien Aksel Lund Svindal, en conférence de presse. « Il n’est pas le seul », avais-je conclu dans mon papier.

Richard Labbé

PHOTO ANDREW MATTHEWS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Carl Froch célèbre sa victoire contre Lucian Bute en 2012 à Nottingham, en Angleterre.

On entend souvent dire que les bons gars finissent derniers, et il arrive que ce soit vrai. Mais parfois aussi, il y a des bons gars qui se retrouvent au zénith. Ce fut le cas d’Éric Lucas et de Lucian Bute, tous deux champions du monde et chefs d’orchestre de soirées mémorables au Centre Bell. Alors la chute fut douloureuse, pour eux mais aussi pour moi, qui aurais voulu les voir partir en pleine gloire. Ainsi, j’ai dû retenir quelques larmes de colère devant ma télé quand Lucas s’est fait voler en Allemagne dans le cadre d’une décision « locale » en faveur de Markus Beyer, en 2003. Même chose plus tard, en 2012, quand Bute s’est fait charcuter en Angleterre par Carl Froch. Dans les deux cas, j’ai ressenti un peu le goût amer de la défaite, parce que j’avais vu le travail accompli par ces deux boxeurs pour accéder aux sommets, et puis voilà, le temps de quelques minutes, c’était terminé. La défaite fut difficile, cruelle, et dans les deux cas aussi, elle allait signifier un peu le début de la fin. J’aurais souhaité qu’il en soit autrement, parce qu’ils méritaient une meilleure fin que celle-là.

Guillaume Lefrançois

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Mike Condon félicitant P.K. Subban à l’issue d’un match au Centre Bell en février 2016

Mike Condon faisait partie des « Black Aces » du Canadien lors des séries de 2014. Cela signifiait donc qu’il s’entraînait avec le grand club et qu’il le suivait sur la route. À ce moment-là, le gardien demeurait un projet à long terme. Il venait de passer l’essentiel de la saison dans l’ECHL, où il avait été dominant. Un soir, pendant le souper d’avant-match, on se retrouve en file ensemble pour le souper, donc je me présente et lui demande s’il veut me raconter son histoire. Passer la saison à voyager en bus entre Wheeling et des villes pas très glamour, et aboutir dans les grands hôtels de Manhattan, c’était intéressant en soi. J’ai découvert un type brillant, terre-à-terre et généreux de son temps. C’était aussi le premier joueur anglophone à m’appeler par mon nom, ce qui en disait long sur l’attention qu’il portait à son interlocuteur. Ce n’est pas un moment en particulier, mais depuis ce temps, je lui ai toujours souhaité de connaître du succès et de s’établir comme titulaire dans la LNH.

Simon-Olivier Lorange

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Kawhi Leonard et les Raptors de Toronto lors de la conquête du titre de champions de la NBA en 2019

J’ai vécu l’année dernière une expérience vaguement ésotérique, certainement inédite et probablement traumatique : j’ai, en silence, encouragé une équipe de Toronto. Lorsque les Raptors ont atteint la finale de la NBA au printemps 2019, je me suis rendu dans la Ville Reine pour y faire une courte série de reportages conclue avec le premier match de la série contre les Warriors de Golden State. L’aura de domination de Kawhi Leonard, le leadership de Kyle Lowry, l’émergence de Pascal Siakam : sans que je m’y attende ni même que je le souhaite, je me suis laissé prendre au jeu, au point de m’enthousiasmer de voir les Raptors contenir avec autorité les Warriors de Stephen Curry. Un sentiment en totale contradiction avec celui que j’éprouvais dans les années 90 et 2000, à savoir une haine viscérale pour les Maple Leafs et, plus largement, Toronto. Je ne sais pas si je connais mieux le basketball aujourd’hui. Mais je me connais certainement mieux moi-même.

Michel Marois

PHOTO ANDRÉANNE LEMIRE, ARCHIVES LE SOLEIL

Les Carabins de l’Université de Montréal célèbrent leur victoire en finale de la Coupe Dunsmore contre le Rouge et Or, à Québec, en octobre 2014.

J’ai souvent souhaité la victoire de quelques équipes au cours de mes reportages, mais j’ai toujours essayé de ne pas le faire trop bruyamment. Mes collègues de Québec se souviendront sans doute de quelques finales de la Coupe Dunsmore, en 2014 notamment, quand les Carabins de l’Université de Montréal ont mis fin à une série de 11 victoires consécutives du Rouge et Or de l’Université Laval. Encore aujourd’hui, je considère ce match comme le meilleur auquel j’ai pu assister. Une longue guerre de tranchées, où chaque verge était gagnée ou défendue avec un rare acharnement. Les Carabins n’ont jamais été en déficit et, tout au long du match, à mesure que je voyais la nervosité de mes voisins augmenter, j’avoue m’être étonné quelques fois de voir qu’ils avaient de bonnes chances de l’emporter. Et quand les Bleus se sont finalement imposés, 12-9 en prolongation, mon sourire trahissait sans doute ma satisfaction.