En juillet 2005, Alexandre Despatie a vécu un état de grâce aux Championnats du monde de natation FINA de Montréal. Quinze ans plus tard, l’ancien plongeur revisite ce moment inoubliable.

Était-ce le jour même de la compétition ou la veille ? Alexandre Despatie ne s’en souvient plus. Mais 15 ans plus tard, il n’a pas oublié ce que Cornel Marculescu, le tout-puissant directeur général de la Fédération internationale de natation, lui a dit en le prenant par l’épaule, comme un ami :

« Il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : “Tu sais que tu dois sauver la face de Montréal ?” »

L’ex-plongeur a d’abord cru à une blague. Il venait d’avoir 20 ans. Sur le plan personnel, il sortait d’une saison post-olympique très difficile.

Et voilà que s’amorçaient, dans l’île Sainte-Hélène, les Championnats du monde aquatiques de 2005, dont il était le porte-parole.

L’événement s’était préparé sous un gros nuage noir. La FINA l’avait retiré à la métropole à la suite de problèmes financiers. Le maire Gérald Tremblay avait dû se rendre à Francfort pour le sauver in extremis. Dans l’intervalle, le directeur général du comité organisateur, Yvon DesRochers, s’était suicidé.

C’est dans ce contexte que Marculescu, nommé en 1986 et toujours en poste depuis, a fait comprendre à la vedette locale que le succès de l’événement reposait sur ses épaules.

Je me suis dit : “Wow, ce n’est pas vrai qu’il vient de me dire ça !” Mais il était sérieux. Mentalement, je n’étais pas là. J’avais peur. Qu’est-ce qui va arriver avec cette compétition-là ? Soudainement, ça a commencé, et l’histoire s’est écrite…

 Alexandre Despatie

Les Jeux olympiques d’Athènes, l’été précédent, ne s’étaient pas déroulés comme il l’espérait. Despatie avait remporté l’argent au tremplin de 3 m, mais terminé au pied du podium à la plateforme, où il était champion mondial en titre.

« L’épreuve du 10 m d’Athènes, je ne l’ai pas regardée, encore à ce jour. J’ai mal plongé et j’ai fini quatrième. Ça n’en aurait pas pris tant que ça pour que je gagne une médaille. Ça a pesé longtemps, surtout en me préparant pour Montréal. »

À la piscine, le cœur n’y était plus. Durant les Fêtes, il a pris une pause complète de deux semaines, du jamais vu pour lui. À son retour, il avait engraissé de cinq kilos. Il s’est blessé au dos et a raté les premières compétitions internationales. « Physiquement, pendant une période de l’année, je n’étais pas là pantoute. »

Pendant ce temps, l’incertitude planait autour des Mondiaux. Les politiciens se renvoyaient la balle. Jean-Marc Fournier, ministre québécois du Sport, blâmait la FINA. Puis le directeur général DesRochers, montré du doigt pour sa gestion, s’est donné la mort dans sa voiture.

« Ça nous a énormément frappés. C’était comme la tempête parfaite, le pire bordel que tu puisses imaginer. »

Un mois plus tard, aux championnats canadiens de Québec, Despatie a gagné les trois épreuves, mais a touché la plateforme avec les pieds en finale. Il était sonné.

Dans tout ce tumulte, il a songé à tout plaquer pour le reste de l’année. D’un commun accord avec son entraîneur Michel Larouche, il a décidé de mettre le 10 m de côté en prévision des Mondiaux.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le maire Gérald Tremblay est accueilli à l’aéroport par Alexandre Despatie le 10 février après avoir réussi à assurer la tenue des Mondiaux, à Montréal.

Il lui restait trois mois pour rebondir au tremplin de 3 m. « Il ne faut pas s’attendre à des choses extraordinaires », avait prévenu Larouche, qui s’inquiétait des habitudes de vie de son prodige.

Trois semaines avant les Mondiaux, Despatie a gagné l’or à la super finale des Grands Prix au Mexique. N’empêche, sa confiance était fragile au début des Mondiaux.

« Je ne savais pas ce qui allait arriver. J’étais juste vraiment dans le néant. Ça me faisait peur. Je ne voulais pas perdre, je ne voulais pas avoir l’air fou. En fait, je ne voulais pas décevoir. C’est ça, le mot. »

Le 19 juillet, devant 4500 spectateurs, Despatie s’est enfermé dans sa bulle pour dominer l’épreuve du tremplin de 3 m.

« Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je suis entré dans un état de concentration tellement intense. Rien n’allait me faire manquer mes plongeons. »

Même à mi-chemin de la finale, où il s’est fait une peur en s’élançant beaucoup trop loin du bout de la planche sur le 3 périlleux et demi renversé. Il a récupéré la manœuvre pour rentrer dans l’eau de façon quasi parfaite. Les juges l’ont récompensé avec trois notes de 10.

Ce plongeon-là, jamais je ne vais l’oublier. Câline, c’est de la magie, ce qui est arrivé. Ce n’est pas normal !

Alexandre Despatie

Avant son sixième et dernier essai, la foule s’est levée. L’animateur a annoncé qu’il pouvait devenir le premier plongeur à surpasser la marque des 800 points. « Je me disais : est-il obligé de dire ça ? Et moi, suis-je obligé de l’entendre… »

Finalement, le héros local a fendu l’eau et a confirmé sa médaille d’or. Son total de 813,60 points représentait un record (à l’époque, les points de la demi-finale étaient additionnés à ceux de la finale).

Sa « mission accomplie », Despatie a remis ça deux jours plus tard au tremplin de 1 m. « C’est comme si toute la pression était tombée. J’étais juste sur mon erre d’aller. Je maîtrisais tout. C’est une zone très rare en plongeon. Tu ne peux la commander. Moi, j’ai réussi à le faire deux fois dans la même semaine. »

Pour la première et seule fois de l’histoire, un plongeur masculin a décroché l’or mondial dans les trois épreuves individuelles. Comme le 10 m n’était présenté qu’en clôture des compétitions de plongeon, Despatie a détenu les trois titres de façon simultanée pendant 48 heures. Quinze ans plus tard, il en est presque gêné lorsqu’il se le fait rappeler.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Après avoir remporté l’or au tremplin de 3 m, Alexandre Despatie a répété l’exploit au 1 m.

Tu connais le plongeon, tu sais à quel point c’est difficile de battre les Chinois. J’ai réussi à élever mon niveau à un point tel que personne n’allait me toucher cette semaine-là.

 Alexandre Despatie

Despatie range cette semaine de rêve au sommet de sa liste de souvenirs, en haut de ses deux médailles d’argent aux Jeux olympiques.

« J’ai eu la chance de pouvoir vivre ces championnats du monde non seulement au Canada et au Québec, mais à Montréal, chez moi, où j’habite. J’ai gagné non pas une fois, mais deux fois dans la même semaine. C’était magique. »

Quant à Cornel Marculescu, il avait promis « quelque chose » à Despatie s’il réussissait sa part du mandat. Le plongeur le lui a rappelé en le croisant après la fin de la compétition. Quinze ans plus tard, il ne sait toujours pas à quoi rimait cette promesse.