(New York) Les ligues professionnelles américaines envisagent de rejouer à huis clos ou avec un public volontairement clairsemé, une configuration imposée par la pandémie de coronavirus, qui va peser lourd financièrement et pourrait mener à de profondes évolutions.

Rien n’est finalisé, mais le Baseball majeur, la LNH et la NBA semblent privilégier l’hypothèse de matchs joués à huis clos, sur un site confiné selon des médias nord-américains.

Si la NBA et la LNH « parvenaient à reprendre et présenter les éliminatoires, elles feraient de très bonnes audiences », anticipe Andrew Zimbalist, professeur d’économie au Smith College (Massachusetts).

Mais compte tenu de leur modèle économique, tous les championnats ont-ils un intérêt financier à jouer sans spectateurs ?

Des quatre ligues majeures, la LNH est celle qui est la plus dépendante des recettes aux guichets. Sans spectateurs payants, « cela ne marcherait pas très bien pour eux », prévoit Andrew Zimbalist.

PHOTO GEOFF BURKE, USA TODAY SPORTS

L’aréna des Capitals de Washington.

Dans le cas de championnats de moindre envergure, l’équation pourrait être encore plus délicate, prévient l’universitaire.  

La Major League Soccer ne tire qu’environ 11 % de ses revenus (chiffres 2018) de ses contrats de diffusion télévisée, le reste provenant essentiellement des recettes dans les stades (tickets, stands, publicité).

« Ils vont avoir de gros problèmes », confirme Andrew Zimbalist.

Toutes les ligues travaillent à des scénarios de reprise à huis clos, faute de savoir aujourd’hui si elles pourront seulement rouvrir leur enceinte à des spectateurs cette année.

Même la Ligue nationale de football, dont le championnat ne démarre qu’en septembre, n’écarte pas cette possibilité.

Des cabinets spécialisés travaillent déjà à faire de cette formule une réalité.

Cacher des sièges vides

Si jouer sans spectateurs est une contrainte, c’est aussi l’opportunité d’innover, estime Pour Mark Williams, du cabinet d’architectes HKS, qui dit avoir été contacté par plusieurs acteurs majeurs du sport.

« Comment pouvons-nous proposer un complément à ce qui se passe sur le terrain, pour qu’on ne voie pas des rangées de sièges vides ? », s’interroge-t-il.

Il cite l’exemple du Stade SoFi d’Inglewood, près de Los Angeles, le futur stade des Rams et des Chargers, de la NFL. Conçu par HKS, ce stade sera prochainement inauguré et il est bourré de technologie. Son écran géant « Oculus » suspendu et double face entourant tout le terrain pourrait être utilisé pour habiller le stade vide.

« Peut-être pouvons-nous aussi utiliser cette technologie », dit-il, « pour que même si les sièges sont vides […] les fans puissent avoir l’impression d’être dans cet environnement », sans pour autant y être.

Montée en puissance de la technologie

Cette réflexion s’inscrit, pour Mark Williams, dans un mouvement, déjà entamé de longue date, de montée en puissance de la technologie dans le sport et de conquête d’audiences élargies qui ne se rendent pas ou peu aux matchs.

Avant même la COVID-19, nous travaillions déjà d’arrache-pied à créer un environnement virtuel qui soit équivalent à l’environnement physique.

Mark Williams, du cabinet d’architectes HKS.

Si la tendance actuelle est aux matchs à huis clos, ligues et championnats étudient également la possibilité d’accueillir bientôt du public tout en respectant les règles de distanciation.

Un scénario qui nécessiterait probablement, selon Mark Williams, une « couche supplémentaire » de contrôle à l’entrée (température), similaire aux portiques de sécurité qui se sont généralisés après le 11 septembre.

PHOTO LEE JIN-MAN, AP

Des images de spectateurs donnaient un semblant de vie aux gradins vides lors d’un match de baseball en Corée du Sud mardi.

Une fois à l’intérieur, concrètement, la distanciation sociale signifie que « 2 sièges sur 3 seront vides », prévoit-il.

Viable économiquement ?

Dès lors, compte tenu des coûts engagés, la question se pose, reconnaît Mark Williams : « Est-ce que cela à un sens économiquement ? C’est une vraie préoccupation ».

Sans compter que même en cas de réouverture, les fans, dont beaucoup redoutent la contagion, ne seront peut-être pas au rendez-vous.

Une menace d’autant plus légitime, selon Andrew Zimbalist, que frappés par une crise économique brutale, « les gens auront moins d’argent à dépenser ».  

Le vaccin contre le coronavirus est en route, mais nul ne sait encore quand il sera disponible pour tous, seule vraie échéance pour envisager de remplir les arènes sportives sans restriction, de l’avis général.

Dès lors, Mark Williams n’exclut pas que certaines salles ou stades se réinventent, avec une perspective de plus long terme à l’esprit, avec moins de sièges, et des places plus chères. « On pourrait en arriver là. »

« Je ne vois pas l’aspect des enceintes sportives changer de manière significative », estime, pour sa part, Ryan Sickman, du cabinet d’architectes Gensler, qui a collaboré à la construction ou l’aménagement de nombre d’entre eux.

« Nous disons aux gens (qui les consultent actuellement) : préparons-nous pour le pire, mais ne surréagissons pas », dit-il.

« Je ne vois pas un match de Coupe du monde (de soccer) où les fans ne pourraient pas se tomber dans les bras après un but », fait valoir le responsable du sport au sein du cabinet. « On reviendra à une forme de normalité, parce que nous, humains, en avons besoin. »