Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence. N’hésitez pas à nous envoyer votre opinion.

Simon Drouin

J’ai vu Alex Harvey triompher devant les Norvégiens, Alexandre Despatie devant les siens et Michael Phelps à Pékin. Mais 10 ans plus tard, je me demande encore comment Joannie Rochette a pu réussir son programme court aux Jeux olympiques de Vancouver quelques jours après la mort de sa mère. Ses sanglots retenus après sa pause finale ont atteint tout le monde au vieux Pacific Coliseum, y compris les journalistes. À cause du décalage horaire, ceux du Québec ne disposaient que d’une trentaine de minutes pour pondre un article à la hauteur de la charge émotive de cette soirée. Pas évident avec les yeux embués. Je revois le collègue Réjean Tremblay, 40 ans de métier, assis à ma droite, dans le même état que moi. Comme d’habitude, on a fait au mieux, sachant qu’on venait d’être témoin d’une performance qui transcendait le sport.

Mathias Brunet

En 2003, à une époque où nos meilleurs tennismen québécois avaient encore la réputation de s’écraser dès le premier tour aux Internationaux du Canada au stade Jarry, se présente un gringalet de 25 ans, Simon Larose, un « tennis bum » un peu fanfaron, plus ou moins sérieux et malheureusement pas assez riche pour se payer un coach à temps plein.

Larose, 314e mondial, est opposé au premier tour grâce à un laissez-passer de Tennis Canada à l’enfant chéri du tennis mondial, Gustavo Kuerten, 13e au monde, deux fois auréolé aux Internationaux de France à Roland-Garros et ancien no 1 au monde.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Larose lors des Internationaux du Canada au stade Jarry, en août 2003

On ne donnait évidemment pas la moindre chance à Larose de remporter cinq parties, encore moins le match. Ce Québécois originaire de Cap-de-la-Madeleine, près de Trois-Rivières, n’avait jamais vaincu un joueur du top 200 mondial dans sa carrière.

En deux heures d’état de grâce devant plusieurs milliers de partisans galvanisés par sa performance, Larose éliminait Kuerten en deux manches de 7-5 et 7-6. Deux ans plus tard, il prenait sa retraite, sans avoir pu franchir le 189e rang mondial. Il s’est assagi avec les années et a pu devenir l’un des meilleurs entraîneurs au pays.

Miguel Bujold

Avant les séries de janvier 2013, Joe Flacco était la définition même de ce qu’est un quart moyen. Il avait d’ailleurs bien fait rire en s’autoproclamant le meilleur de la NFL quelques mois plus tôt. Mais Flacco et les Ravens avaient éliminé Andrew Luck et les Colts, Peyton Manning et les Broncos, puis Tom Brady et les Patriots pour obtenir leur place au Super Bowl, en grande partie grâce à ses huit passes de touché. Puisqu’il était un quart moyen, j’étais toutefois assez convaincu que Flacco était « dû » pour lancer trois ou quatre interceptions en plein Super Bowl à La Nouvelle-Orléans, surtout contre les 49ers et leur défense de feu. Le gringalet a plutôt offert la performance de sa vie. Trois autres passes de touché, aucune erreur, et le titre du joueur par excellence. Flacco venait de prouver qu’il n’était plus un quart moyen, avant de le redevenir l’année suivante et pour le reste de sa carrière.

Philippe Cantin

Sotchi, février 2014. La finale du tournoi de hockey féminin. Les États-Unis mènent 2-0 sur le Canada en fin de troisième période et l’affaire semble entendue.

Dans la tribune de presse, j’ai déjà amorcé mon texte sur l’immense déception que représentera cette défaite pour nos représentantes. Soudain, le Canada fait 2-1 sur un but de Brianne Jenner. Puis, Marie-Philip Poulin inscrit le but égalisateur après une tentative ratée des Américaines pour marquer dans un filet désert. En prolongation, Marie-Philip frappe de nouveau. Le Canada remporte la médaille d’or, une victoire spectaculaire qui fait aujourd’hui partie de notre histoire sportive. Gros, gros moment d’émotion…

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

En février 2014, Marie-Philip Poulin a inscrit deux buts pour permettre au Canada de remporter la médaille d’or en hockey féminin lors des Jeux olympiques de Sotchi.

Dans un autre évènement mémorable (triste pour les partisans des Nordiques, heureux pour ceux du Canadien), j’ai vu les Bleus gaspiller une avance de deux matchs à zéro face au CH lors du premier tour des séries de 1993. Je pose la question : si les Nordiques – alors un club redoutable – avaient gagné la Coupe Stanley cette année-là, le Québec compterait-il encore deux équipes dans la LNH ? Comme l’impression qu’une victoire aurait changé bien des choses, un peu comme une conquête de la Série mondiale en 1994 l’aurait fait pour les Expos.

Richard Labbé

C’était dans la semaine du Super Bowl, le 42e du nom, et quelques jours avant, Tom Brady s’amusait des questions des journalistes, avec le sourire arrogant d’un quart à la tête d’une équipe parfaite, ce que les Patriots étaient avec leur fiche de 16-0. « On va marquer seulement 17 points ? », avait-il répondu, en référence à une prédiction téméraire d’un receveur des Giants, Plaxico Burress, qui avait promis une victoire de 23-17. Tous les experts voyaient une victoire facile des Patriots, une rince, une vraie.

PHOTO JEFF TOPPING, ARCHIVES REUTERS

David Tyree (à droite), des Giants de New York, réalise l’un des catchs les plus spectaculaires de l’histoire, devant Rodney Harrison (37), des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, au Super Bowl XLII, en février 2008.

Mais c’était sans compter sur le quart des Giants Eli Manning, en état de grâce toute la soirée, et aussi David Tyree, un obscur receveur qui a choisi ce match pour attraper le ballon contre son casque, un improbable catch que le NFL Network a nommé le meilleur de l’histoire. Ensuite, à la toute fin, Burress a confirmé l’immense surprise avec le touché de la victoire. Les Patriots, Brady en tête, ont quitté le terrain au pas de course et en mauvais perdants. David Tyree ? Il n’a plus jamais attrapé un autre ballon dans la NFL. On appelle ça garder le meilleur pour la fin.

Guillaume Lefrançois

Sotchi, 15 février 2014. La mission est simple : couvrir le match entre la Russie et les États-Unis au hockey masculin à 16 h 30. C’est LE match à voir pour des raisons politiques évidentes. Arrivée en avance à l’aréna Bolshoy afin d’écrire sur un autre sujet en attendant le match. À midi, au même aréna, la Slovaquie et la Slovénie s’affrontent. On jette donc d’abord un œil distrait sur le match, tout en travaillant sur l’autre article. Après tout, rien à voir ici si la Slovaquie l’emportait 5-1 comme on s’y attendait. Mais après 40 minutes, c’est 0-0. On rappelle ici que l’équipe slovène est composée d’Anze Kopitar, d’un type qui s’appelle Music, des frères Rodman (mais pas Dennis) et de bien des gars qui font leur possible. Ils affrontent Marian Hossa, Zdeno Chara, Jaroslav Halak et une majorité de joueurs de la LNH. En début de troisième période, Rok Tikar fait 1-0 Slovénie. Les Slovènes ajoutent deux buts en 23 secondes et l’emportent 3-1. Pour la première fois de leur histoire, les Slovènes gagnent un match qui compte dans un tournoi de premier niveau. Sur la patinoire, ils fêtent comme si c’était la Coupe Stanley. Pour un pays de 2 millions d’habitants sans tradition de hockey, la comparaison n’est pas farfelue. Alors ça nous a fait un article de plus.

Simon-Olivier Lorange

Peut-être que je me rends coupable de manque d’originalité, car cette histoire a refait surface au cours des derniers jours dans plusieurs médias (dont le mien). Mais assister en personne aux 53 arrêts de Jaroslav Halak contre les Capitals de Washington en avril 2010 demeure, encore à ce jour, le moment le plus saisissant que j’aie vécu comme amateur de sport.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En avril 2010, Jaroslav Halak s’est dressé devant Mike Knuble et les Capitals de Wahshington lors du premier tour des séries éliminatoires.

C’était une décennie avant que je commence à couvrir l’équipe, alors j’ai pu profiter de l’expérience complète du partisan : juché dans les dernières rangées du Centre Bell, j’ai ainsi pu partager 53 micro-infarctus avec quelque 21 000 camarades survoltés. Cité dans La Presse du lendemain, Josh Gorges a affirmé qu’il venait d’assister à la performance qui l’avait le plus impressionné depuis qu’il jouait au hockey. Les joueurs des Capitals, Alex Ovechkin, Niklas Backstrom et Alexander Semin en tête, semblaient tristement partager le sentiment du défenseur du Canadien.

Pascal Milano

Quatre heures avant le début du match, le 8 juillet 2014, il y avait déjà de l’électricité dans l’air autour du stade Mineirão à Belo Horizonte. Les Brésiliens chantent, dansent et espèrent une victoire de leurs héros, face à l’Allemagne, malgré la blessure de Neymar. Cette demi-finale de Coupe du monde tourne rapidement au drame national : un, deux, trois, quatre, puis cinq buts des visiteurs en l’espace de 30 minutes.

PHOTO NATACHA PISARENKO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Consternation au stade Mineirão à Belo Horizonte : les Brésiliens encaissent, devant leurs partisans, une défaite de 7-1 contre l’Allemagne lors de la demi-finale de la Coupe du monde.

Dans la tribune de presse, on se regarde tous, un peu interloqués. À quelques rangées de là, les larmes coulent déjà sur les joues des partisans brésiliens. Résultat final : une victoire allemande de 7 à 1 et un scénario qui a fait entrer le match dans les moments marquants du Mondial. Personne assis dans le stade ce soir-là n’oubliera de sitôt ces 90 minutes.

Alexandre Pratt

Comme journaliste, je n’ai franchement pas été gâté. J’ai couvert le Canadien pendant cinq saisons et les Expos, pendant trois ans. Toutes les fois, ils ont raté les séries. Alors je vais y aller avec un moment vécu comme spectateur. La finale du Championnat mondial de hockey junior, disputée à Montréal, en 2017. Canada contre États-Unis. Grosse affiche. Ce soir-là, Thomas Chabot est passé à un autre niveau. Le défenseur québécois jouait avec l’intelligence d’Astérix, la force d’Obélix et la prestance de César. Sa domination était totale. Jamais vu un joueur être à ce point surutilisé (sauf peut-être un fils de coach dans l’atome) : 62 présences, 44 minutes de jeu, dont 11 en prolongation. Chabot a terminé la soirée avec un but, une passe, le titre de meilleur défenseur du tournoi, celui du joueur le plus utile à son équipe et une médaille… d’argent.