Les Jeux olympiques ? Reportés. Les championnats du monde ? Annulés. Les tournois de tennis ? Annulés. Les séries de la LHJMQ ? Annulées aussi.

Les athlètes québécois font le deuil de leur saison. À les lire sur les réseaux sociaux, tous sont résignés. Tous semblent avoir trouvé l’équilibre entre la déception et la résilience. Mais sous les filtres déformants d’Instagram, plusieurs sèchent encore leurs pleurs.

Depuis une semaine, j’ai recueilli les témoignages d’entraîneurs d’olympiens ou des meilleures équipes de la LHJMQ. Je leur ai demandé de me décrire l’état d’esprit de leurs protégés. Les mêmes mots revenaient souvent.

Oui, la compréhension.

Mais surtout la peine.

Le découragement.

La colère.

La frustration.

Moins envers les décideurs que contre le virus lui-même.

Les joueurs des Saguenéens de Chicoutimi sont passés par ce bouquet d’émotions. À la pause décrétée par la LHJMQ, l’équipe connaissait la meilleure saison de son histoire. « Les gars pensaient que l’arrêt allait être temporaire, m’a expliqué l’entraîneur-chef Yanick Jean. Ils voulaient profiter de la pause pour guérir leurs blessures. Au retour, on allait avoir tous nos joueurs en santé. Les jeunes trouvaient du positif là-dedans. Mais là, après l’annulation des séries, il y a [eu] beaucoup de frustration. »

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Yanick Jean, entraîneur-chef des Saguenéens de Chicoutimi

Situation tout aussi émotive à Sherbrooke, où le Phœnix était en tête du classement de la ligue au moment de l’arrêt des activités. Le club était classé au premier rang au pays et comptait parmi les favoris pour gagner la Coupe Memorial. L’entraîneur-chef Stéphane Julien m’a raconté comment ses joueurs ont vécu le report, puis l’annulation de leur saison.

« Quand la ligue a annoncé qu’elle prenait une pause de quelques jours, on a rencontré tous nos joueurs. Je constatais une déception. Je ne sais pas si les gars sentaient déjà que leur saison était terminée, mais leurs visages étaient longs. C’était très silencieux. Ensuite est venue l’annulation. Un coup dur à encaisser. Surtout pour les vétérans. »

« Des gars comme Félix Robert, Samuel Poulin, Alex-Olivier Voyer, ils ont dominé cette année. Eux l’ont pris plus difficilement. »

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ VUILLEMIN/SPECTRE MÉDIA

Samuel Poulin, du Phœnix de Sherbrooke, ici lors de la série Canada-Russie en 2018

Et à l’Océanic de Rimouski, qui misait sur la dernière saison d’Alexis Lafrenière dans le junior majeur pour tenter d’atteindre la Coupe Memorial ?

« Au début, on pensait tous retrouver une vie normale, confie le propriétaire, Alex Tanguay. Mais on s’est vite rendu compte que ça allait durer plus longtemps. Maintenant, comment gérer la situation ? La déception ? Il n’y a pas de cours qui te prépare pour ça. Nos entraîneurs se sont assurés de discuter avec chaque joueur individuellement. Les gars vivaient tous des situations différentes. C’était important de les prendre au cas par cas. De les guider, de les rassurer. Dans les circonstances, nos joueurs ont fait preuve d’une grande maturité et de compréhension. »

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Alex Tanguay, propriétaire de l’Océanic de Rimouski

Les athlètes, comme le précise Alex Tanguay, sont solidaires des mesures mises en place par le gouvernement pour combattre la COVID-19. Cela dit, ça n’empêche pas des milliers de hockeyeurs, de patineurs artistiques, de patineurs de vitesse, de skieurs et d’espoirs olympiques d’être tristes quand même.

Ce qui nous ramène à la question soulevée par le propriétaire de l’Océanic.

Comment gérer la déception ?

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Fabien Abejean est préparateur mental. Ces dernières années, il a beaucoup travaillé avec les patineurs et plongeurs canadiens. Il connaît la déception comme un menuisier, ses outils.

Bonne nouvelle : la déception, ça se gère. Il existe des techniques, des outils, des marches à suivre. J’y reviens dans une minute. Mais d’abord, une précision importante de Fabien Abejean.

PHOTO TIRÉE DE SA PAGE FACEBOOK

Fabien Abejean

Il n’y a pas de manuel d’instructions pour une situation de cette ampleur. C’est du jamais-vu.

Fabien Abejean, préparateur mental

« Mettez-vous dans les souliers d’un athlète, poursuit-il. Déjà, réapprendre à s’entraîner dans des conditions différentes, c’est difficile. Réapprendre à s’entraîner avec une perspective de temps inconnue ? Est-ce que ça va durer un mois ? Six mois ? Un an ? On n’en sait rien. C’est inédit. »

Ça donne une idée du défi considérable qu’affrontent les entraîneurs, parents et conjoints d’athlètes actuellement. Et de la patience dont ils devront faire preuve dans les prochains mois.

Alors, par où commencer ?

« La première étape, explique Fabien Abejean, c’est de dresser un constat avec l’athlète. Lui faire reconnaître ses émotions. C’est normal d’être en colère. Par rapport au CIO, à la ligue, au virus. C’est normal aussi d’être anxieux. On ne sait pas de quoi sera fait l’avenir. Mais l’athlète doit s’exprimer. Trouver le bon appui. Que ce soit son coach, son psychologue, son préparateur, un ami, sa famille, un coéquipier, un groupe de soutien… »

C’est important d’être à l’écoute. De ne pas juger. Rappelez-vous que l’athlète vient d’encaisser coup sur coup la surprise et le changement. « C’est la phase aiguë, indique Fabien Abejean. Ça peut être assez émotif et durer quelques jours. »

Deuxième étape : la projection.

« Rapidement, il faut avoir une perspective vers l’avenir. Construire un plan. Établir des objectifs clairs. Le danger, c’est que les buts à atteindre soient trop vagues. N’oubliez pas que l’athlète se trouve dans un environnement sans contexte social pour le stimuler. Il peut se perdre. »

Fabien Abejean suggère de fixer deux types d’objectifs : à court terme, puis à moyen terme.

« Immédiatement, je comprends que ça puisse être difficile à gérer. Mais il y a plusieurs questions auxquelles un athlète peut répondre. Où m’entraîner ? Comment m’entraîner ? Comment gérer mes relations sociales ? Ensuite, on peut mettre des objectifs quantifiables. Un nombre de répétitions par jour. Un volume d’entraînement. Le plus possible sous forme de cibles atteignables, mais exigeantes. C’est là qu’un entraîneur doit faire appel à toute sa créativité pour créer un milieu d’entraînement stimulant. »

C’est possible. Depuis une semaine, on a vu plusieurs instructeurs faire preuve d’originalité. Au club de soccer du Bayern Munich, les joueurs se sont ainsi entraînés ensemble… par vidéoconférence !

> Regardez la séance d’entraînement du Bayern Munich

Enfin, il faut trouver les bons mots. Stéphane Julien, l’entraîneur du Phœnix de Sherbrooke, y a travaillé entre la pause temporaire et l’arrêt définitif de la saison.

« On a affronté beaucoup d’adversité cette année. Il est arrivé des choses qui ne se sont pas sues. Des moments plus difficiles. On a quand même continué de gagner. Même dans le temps des Fêtes, alors qu’il nous manquait 10 joueurs, les gars n’ont jamais abandonné. Alors je vais leur dire la même chose que je leur répète depuis le milieu de la saison.

« Les gars, je suis tellement fier de vous. »