(Montréal) Si le Comité international olympique (CIO) ne met pas les athlètes en priorité, c’est aux athlètes de le forcer à prendre la bonne décision dans le cas des Jeux de Tokyo. C’est ce que Dominick Gauthier entend faire.

L’ex-bosseur et olympien souhaite que le CIO remette les athlètes au cœur de ses préoccupations et qu’il cesse de les maintenir dans l’ignorance et l’incertitude au sujet des Jeux qui doivent s’ouvrir dans quatre mois, presque jour pour jour. C’est pour forcer le CIO à modifier ses plans qu’il désire mettre de la pression sur lui.

« On veut trouver une voix commune d’athlètes connus et influents afin de trouver une façon claire de porter notre message, a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse canadienne. La prochaine étape sera de le porter au CIO, possiblement par une lettre ouverte avec tous nos signataires.

« Tout ferme partout. Regardons ce qui se passe en Italie et en Californie. Comment peut-on penser que dans quatre mois, les quelque 200 pays qui se présenteront aux JO auront passé le pic de la crise ? C’est impossible. On veut faire comme ce que Hayley Wickenheiser a fait la semaine dernière, mais en tir groupé de plusieurs personnes. »

Plus tôt cette semaine, Wickenheiser, sextuple olympienne et membre de la Commission des athlètes du CIO, avait lancé la première salve en accusant sur Twitter le CIO d’agir de façon irresponsable en voulant tenir à tout prix les JO à la date prévue.

Déjà, le mouvement prend de l’ampleur. Gauthier a obtenu l’appui des olympiens Alexandre Bilodeau (bosses), Jean-Luc Brassard (bosses), Sylvie Fréchette (nage synchronisée), Philippe Gagnon (natation), Jennifer Heil (bosses) et Clara Hughes (patinage de vitesse), Lyne Bessette (cyclisme), Alex Harvey (ski de fond) et Joannie Rochette (patinage artistique).

Il admet qu’il est difficile de demander à des athlètes dont la carrière sportive n’est pas terminée de se joindre au mouvement.

« Eux, ils sont dans le feu de l’action. Ils doivent gérer l’entraînement, les qualifications, tout le reste, a-t-il expliqué. Je ne veux pas les embêter avec ça. »

Brassard, son ex-chambreur, est d’accord avec lui.

« C’est difficile pour les athlètes actifs de prendre position sur ce type d’enjeu. Ils ne veulent pas se mettre des bâtons dans les roues, se retrouver avec trois prises contre eux en arrivant aux JO, ou s’éviter les regards disgracieux. Pour les athlètes retraités comme moi, c’est plus facile. Ma position par rapport au Mouvement olympique est aussi bien connue maintenant. C’est juste le gros bon sens. »

Irresponsable

Le médaillé d’or en bosses des Jeux de Lillehammer trouve irresponsable la façon d’agir du CIO actuellement.

« Toutes les ligues professionnelles sont en pause, ce qui est la bonne chose à faire. Et là, on a un organisme qui, longtemps, a été la référence à travers le monde, qui refuse de statuer, de prendre des décisions précises. […] Si le gouvernement agissait de la sorte, ça créerait un chaos monumental.

« Le monde entier est en repos forcé présentement, ça ne changerait rien que les Jeux le soient aussi. Le monde entier fait attention. L’Organisation mondiale de la santé émet des directives claires que le CIO ne veut pas écouter. Je n’en reviens pas ! Ça s’ajoute aux décisions douteuses prises au cours des dernières années par cet organisme. »

Le coureur Charles Philibert-Thiboutot est d’accord.

« Je dois être transparent : je ne suis pas encore qualifié et en raison des blessures que j’ai subies ces dernières années, reporter les Jeux serait probablement une bonne chose pour moi, a-t-il lancé d’entrée de jeu. Malgré tout, je pense que le CIO se voit présentement plus gros que le coronavirus, ce qui est un non-sens. Ce n’est pas la pandémie qui va se plier aux demandes du CIO, c’est plutôt le contraire.

« La seule chose à laquelle il faut penser, c’est que cette crise touche tout le monde. […] C’est un manque de respect envers les athlètes, et envers la population mondiale tout court. Il nous demande de continuer de nous entraîner comme d’habitude et dit qu’il n’y aura pas de problème. Mais la réalité, c’est que nous sommes des citoyens du monde et que le monde présentement doit suivre des recommandations de santé publique. »

Aucun sens

Pour Alexandre Bilodeau, médaillé d’or en bosses à Vancouver et Sotchi et qui travaille maintenant dans le monde de la finance, ça ne fait aucun sens d’un point de vue économique de tenir ces Jeux.

« Le CIO, son premier critère, ce sont probablement les droits de télé et les commanditaires. Ils devraient davantage penser aux athlètes et à ce qu’ils vivent présentement, a-t-il noté. Les enjeux économiques viennent après. C’est une crise internationale sans précédent et les JO ne sont plus une priorité pour bien des gens.

« On dit que la situation ne reprendra pas son cours normal avant juin ou juillet. Croyez-vous que les milliers de gens qui auront perdu leur emploi d’ici là auront la tête aux JO même si la vie reprend tranquillement son cours ? C’est insensé. »

Questionné vendredi sur la pertinence de tenir les Jeux olympiques en vertu du climat mondial actuel, le premier ministre Justin Trudeau s’en est remis aux équipes nationales.

« Le premier ministre du Japon, Shinzo Abe, a annoncé qu’il a toujours l’intention de tenir ces Jeux et je l’en félicite. Mais les équipes et les athlètes canadiens vont prendre leur décision dans les semaines ou le mois à venir quant à leur participation selon les circonstances au Japon et dans le monde. »

Le mouvement lancé par Gauthier pourrait aussi trouver écho aux États-Unis, chez les dirigeants des Comités olympiques et paralympiques américains. Bien qu’ils adhèrent à la position du CIO, qui dit qu’il est trop tôt pour prendre une décision, aucun comité national n’a plus de poids que celui des États-Unis, qui envoie 550 athlètes aux Jeux et son diffuseur, NBC, qui paie des milliards pour présenter les Jeux aux deux ans.