Otterburn Park, 8400 habitants, est une petite ville magnifiquement située. Un pied sur le mont Saint-Hilaire, l’autre dans le Richelieu. Un cadre idyllique. Longez le chemin des Patriotes, sur le bord de l’eau, et vous comprendrez pourquoi des estivants y ont établi un club nautique, en 1921.

L’Otterburn Boating Club.

OBC pour les intimes.

C’est le ciment de la communauté. De mai à octobre, le hangar grouille de monde. Des campeurs de passage. Des écoliers en visite. Des adolescents à l’entraînement. Des adultes dans les bateaux-dragons. Venez ici l’été, vers 6 h du matin, et vous verrez les enfants de la ville descendre la côte à vélo jusqu’au club. Les plus vieux, eux, repartent à la brunante.

En fait, l’OBC est tellement populaire que pendant la belle saison, toutes les 90 minutes, des moniteurs vont chercher des enfants à McMasterville, sur l’autre rive.

En minibus ?

« Non, non. En chaloupe ! », s’exclame Antoine Laliberté.

Antoine est l’entraîneur-chef du club. Il a grandi « en haut de la côte », dans une famille de cinq garçons. Tous canoéistes. Son frère Pierre-Luc a même fait partie de l’équipe nationale. « Tous les matins, les cinq, on descendait à vélo jusqu’ici. » Les jeunes qu’il dirige viennent au club entre quatre et six fois par semaine.

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Antoine Laliberté, entraîneur-chef de l’Otterburn Boating Club, en compagnie de Marie-Ève Bégin. La fille de Mme Bégin participe aux activités du club nautique.

« On ne force personne à faire ça. Les jeunes finissent leur entraînement. Ils ne sont pas pressés de retourner à la maison. Ils restent ici, ils aident les plus jeunes. C’est un petit club où tout le monde se connaît. Je sais que c’est un cliché, mais oui, on est vraiment une grosse famille. »

Marie-Ève Bégin le confirme. Depuis sept ans, elle fait le chemin entre Carignan et Otterburn Park presque tous les jours afin de permettre à son adolescente de participer aux activités de l’OBC.

« Je suis enseignante. Je sais que la 15e année, pour un ado, c’est un moment charnière. La vie peut prendre un bon ou un mauvais sens. La savoir sur l’eau, 15 heures par semaine, c’est apaisant. Ma fille est dehors, elle fait du sport, elle socialise avec des jeunes, elle crée des liens. Je ne peux pas demander mieux. »

Sauf que la popularité de l’OBC dérange. Car le club compte des dizaines de membres qui, comme Marie-Ève Bégin, ne résident pas à Otterburn Park. Et donc ne paient pas de taxes à la Ville. Ça agace beaucoup le maire, Denis Parent.

Il faut comprendre que la relation entre la Ville et l’OBC est compliquée. En 1965, au bord de la faillite, le club a cédé son terrain et sa bâtisse à la Ville pour 1 $. En retour, la municipalité s’est engagée à assumer tous les frais d’entretien… à perpétuité. Puis, dans les années 1980, le club a de nouveau eu besoin d’un coup de pouce. Cette fois, il a cédé ses embarcations.

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En 1965, au bord de la faillite, le club a cédé son terrain et sa bâtisse à la Ville pour 1 $. En retour, la municipalité s’est engagée à assumer tous les frais d’entretien… à perpétuité. Aujourd’hui, la facture annuelle s’élève à environ 100 000 $. La Ville absorbe 92 % des frais.

Aujourd’hui, la facture annuelle s’élève à environ 100 000 $. La Ville absorbe 92 % des frais. Les 8 % restants ? Partagés entre Mont-Saint-Hilaire, Belœil et McMasterville, trois municipalités voisines qui comptent plusieurs canoéistes au club.

Le maire Parent trouve la répartition inégale. Il veut que ça change. Surtout que les citoyens d’Otterburn Park paient déjà cher, selon lui, pour utiliser les services des villes voisines. Notamment la bibliothèque de Mont-Saint-Hilaire.

Son souhait ? « Payer 60 % de la facture. » Soit la part de représentants de la ville au sein du club.

Alors il a imposé ses volontés à l’OBC : Otterburn Park va payer 60 % des frais d’entretien. Les trois voisines, 15 %. Et le club, 25 %.

Les administrateurs du club sont tombés de leur canoë. Ils ont toujours tenu pour acquis que l’acte de 1965 les protégeait. Pour eux, 25 000 $ sur un budget annuel de 150 000 $, c’est une très grosse bouchée. « Surtout que la moitié de notre budget sert à payer nos instructeurs », m’indique le commodore François Bouvier, documents à l’appui.

Les deux parties se sont rencontrées à quelques reprises. Tout ce dont ils ont convenu, c’est leur désaccord. Au début du mois de mars, devant l’impasse, le maire a sorti l’artillerie lourde.

Un avis d’éviction.

Exécutable dans la même semaine.

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Au début du mois de mars, la municipalité d’Otterburn Park a envoyé un avis d’éviction au club nautique.

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La date sur l’avis d’éviction était le 8 mars. Que s’est-il passé cette journée-là ? Rien du tout. Le club est d’ailleurs toujours ouvert.

Mais depuis deux semaines, tout Otterburn Park retient son souffle. La mobilisation s’est vite organisée. La fin de semaine dernière, à la fête d’hiver, près de 200 supporteurs du club ont distribué des tracts. Une pétition en ligne a aussi recueilli plus de 8000 signatures. Pour les membres de l’OBC, pas question de fermer le club. Surtout pas à quelques mois du centième anniversaire.

Le maire m’assure ne pas avoir l’intention d’être le fossoyeur du club non plus. Mais il tient à un contrat 60-15-25.

« Le club [un OSBL] fait déjà un profit de 10 000 $ », explique-t-il. C’est vrai, je l’ai vérifié dans les états financiers fournis par le club. « Il lui resterait donc 15 000 $ à trouver », fait valoir Denis Parent. Ça, c’est si les trois villes voisines acceptent de payer leur part. Le maire a bon espoir que ce sera le cas.

Mais pourquoi juste 15 % aux trois voisines, et pas 40 % ? Est-ce pour dorer la pilule afin de mieux faire accepter l’entente aux autres municipalités ? lui ai-je demandé.

« Voilà ! », m’a-t-il simplement répondu.

Concrètement, chaque membre du club devrait débourser une centaine de dollars supplémentaires par année. Ça représente une augmentation des frais d’inscription d’environ 20 %. C’est quand même significatif. J’ai demandé à Marie-Ève Bégin si ce serait un frein pour la pratique du sport de sa fille.

« C’est sûr que je devrai budgéter mon affaire. Je devrai probablement faire des collectes de fonds. »

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Antoine Laliberté est catégorique : « Si on perd les nouveaux inscrits, si on perd les jeunes qui s’initient, si on perd ceux qui font du bateau-dragon, on va couler. Et ça, la Ville le sait. »

Antoine Laliberté : « Ça peut faire une grosse différence sur la nouvelle clientèle, ou celle qui n’est là que depuis une année. Ça peut être un tournant pour nous. La clientèle compétitive, on ne la perdra pas. Mais ce n’est pas la majorité de nos membres. Si on perd les nouveaux inscrits, si on perd les jeunes qui s’initient, si on perd ceux qui font du bateau-dragon, on va couler. Et ça, la Ville le sait. »

Pour l’instant, les deux parties s’observent. Elles tiennent leurs cartes près d’elles. Comme au poker. Ça crée beaucoup de tension. De méfiance. De stress. Tout ça, je le rappelle, pour une énième guéguerre de clochers entre des municipalités voisines incapables de s’entendre sur le financement des installations communes.

Ces conflits doivent cesser. On attend de nos élus qu’ils soient rassembleurs. Qu’ils fassent preuve de leadership. Qu’ils veillent au bien commun.

Et non pas qu’ils minent le climat social. Qu’ils renforcent l’isolationnisme. Qu’ils privent les enfants de sport en imposant des frais démesurés pour avoir accès aux piscines, aux arénas, aux bibliothèques, aux terrains de baseball ou de soccer.

Le cas d’Otterburn Park est loin d’être unique. L’année dernière, je vous ai exposé la situation de Trois-Rivières, qui réclamait 716 $ de plus aux enfants de non-résidants pour utiliser les arénas de la ville. Et 311 $ supplémentaires pour le baseball, alors que le coût d’inscription normal avoisine les 100 $.

Des histoires comme ça, il y en a dans toutes les régions du Québec.

Que de temps perdu pour fendre un cheveu en 22. C’est quoi, la prochaine étape ? Demander une preuve de résidence pour l’utilisation d’une balançoire ? Taxer les équipes de hockey en visite lors des tournois pour l’utilisation de l’aréna ? Imposer des péages aux non-résidants à l’entrée de chaque ville ?

Où est la fin ?

Ces enfantillages ont trop duré. Ils doivent cesser. Et comme les maires sont trop souvent incapables de s’entendre, le temps est venu que les ministres des Affaires municipales et des Sports s’en mêlent et jouent leurs rôles d’arbitres.

Sinon, les bateaux vont prendre l’eau.

Et des clubs centenaires vont disparaître.