Chaque semaine, deux journalistes de la section des sports s’affrontent dans une joute rhétorique parfois sérieuse, souvent moins. Cette semaine, Simon Drouin et Frédérick Duchesneau se sont creusé les méninges et proposent de nouvelles disciplines qui, selon eux, devraient être admises aux Jeux olympiques

Frédérick

Salut, Simon ! Je te connais suffisamment pour être bien au fait du féru de sport olympique en toi, mais pas au point de savoir si le répertoire cinématographique fait également partie de tes nombreuses cordes. Quoi qu’il en soit, as-tu déjà vu La grande séduction ? Ce film québécois, de 2003, où les habitants de Sainte-Marie-la-Mauderne tentent de recruter un médecin. Si oui, tu te rappelles sans doute la scène où le doc arrive en bateau et aperçoit les villageois en plein (faux) match de cricket. À cette époque, j’étais aussi dubitatif qu’eux à propos de ce sport. Plus maintenant. Donne-moi le siège de Thomas Bach et le cricket est admis aux Jeux olympiques sur-le-champ ! Il y a été le temps d’une unique année olympique, en 1900. Seulement deux pays étaient représentés : la Grande-Bretagne et la France… qui comptait surtout des joueurs anglais. Depuis, tous les efforts de la Fédération internationale de cricket pour réintégrer les JO sont demeurés vains.

Simon

Le cricket ? T’es sérieux, Fred ? En cette matinée où il fait - 18 oC, j’ai dû mettre le nez dehors pour être bien sûr que je n’avais pas rêvé. Bien sûr, j’ai vu La grande séduction. Je me souviens que Lucie Laurier y tenait un rôle. C’est son personnage qui dévoile la supercherie au jeune médecin amateur de cricket comme toi. J’ai donc fait mes recherches : un match peut durer de quelques heures à plusieurs jours. Tu penses que le CIO et le diffuseur NBC vont accepter cela ? Peut-être une version express à sept, comme au rugby. Mais soyons sérieux. J’ai une autre suggestion : le cyclocross. Oui, oui, cette discipline cycliste spectaculaire où les coureurs descendent parfois de leur vélo pour franchir des obstacles à la course. Mathieu Van der Poel et Wout Van Aert, deux des plus grandes vedettes du cyclisme actuel, en sont des experts. La Québécoise Maghalie Rochette est l’une des meilleures au monde. Elle mériterait amplement de participer aux Jeux olympiques. Quoi ? Ça ferait beaucoup de vélo avec la route, la piste et le BMX ? On n’a qu’à l’ajouter au programme des Jeux d’hiver, comme le propose l’Union cycliste internationale. J’espère que cette proposition saura réchauffer ton cœur, cher Fred.

PHOTO JEREMY ALLEN, WET PIXELS

L’athlète québécoise de cyclocross Maghalie Rochette

Frédérick

Oui, c’était la belle époque pour Mme Laurier. Sans masques. Sans vaccin. Avec beaucoup de rôles. Mais revenons au sport. Bon, du vélo aux Jeux d’hiver… Pourquoi pas du bobsleigh aux Jeux d’été ? Ou du saut à ski ? Atterrir dans le gazon, je présume que c’est jouable.

Simon

Faudrait demander à Eddy the Eagle, mais ça prendrait une bonne cire de glisse pour le gazon, je pense.

Frédérick

Sans doute. Parenthèse, il faut être un peu dingue pour s’élancer dans le vide à une telle hauteur, des skis aux pieds. Tu me diras que c’est quand même plus sécuritaire qu’en traîneau. Mais je m’égare. Encore. Pour ce qui est de ton cyclocross, OK, j’aime bien. Mais peut-on un peu se calmer avec ce besoin d’intégrer de nouvelles disciplines qui font plus « jeunes » et regarder parfois du côté de sports traditionnels oubliés ou, du moins, mis de côté ? Le mouvement olympique n’est-il pas, à la base, le gardien de disciplines qui ont une certaine richesse historique ? Alors, je ne lâche pas le morceau. Mon cricket. On a réadmis le baseball en vue des Jeux de Tokyo, après deux Jeux sur la touche. Le cricket, c’est comme du baseball, mais avec plus de mérite. Les gars attrapent la balle à mains nues, Simon. À mains nues ! Pas avec un gant en cuir rembourré de 30 centimètres de diamètre. Mais le snobisme envers le cricket est sans doute un peu dû à de la méconnaissance. Tu veux que je t’explique ?

Simon

Laisse-moi d’abord baisser un peu le volume. J’écoute du hip-hop, Fred, le croirais-tu ? Je me prépare pour les JO de Paris de 2024, où le breakdance fera son entrée comme discipline olympique. Je sens déjà ton enthousiasme. Le breakdance, ça, c’est jeune et urbain, comme le souhaite le CIO. Je ne veux pas te faire la leçon, mais la première course de cyclocross a été organisée en 1902 par un soldat français du nom de Daniel Gousseau. Deux ans après ton cricket aux JO de Paris, mais on se comprend. D’ailleurs, savais-tu qu’un concours de croquet avait été disputé à ces mêmes Jeux ? Souhaites-tu aussi la réintégration de cette discipline dont j’ai été champion lors d’un tournoi mémorable au lac Clair, en 2003 ? Histoire vraie, mais j’arrête de déconner. Je suis bien d’accord avec toi : le CIO se disperse parfois à trop vouloir rapatrier une jeunesse égarée. Je veux bien que tu m’expliques le cricket. Ronald King, mon premier chef de division, s’est déjà essayé, mais je ne suis pas certain qu’il le comprenait lui-même.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le breakdance fera son entrée comme nouvelle discipline aux Jeux olympiques de Paris, en 2024.

Frédérick

C’est mon karma, apparemment. Comme avec Guillaume il y a deux semaines à propos de la lutte, je me fais lessiver en histoire. Alors, les règles du cricket… Nah, mauvaise idée. On perdrait sans doute une bonne partie des lecteurs qui nous ont suivis jusqu’ici. Ceux dont la curiosité a été piquée n’ont qu’à le googler. Ou, mieux encore, à lire ma série sur les sports d’ailleurs qui commencera pendant les Fêtes. Mais ce sera sur huit semaines et, puisqu’on garde généralement le meilleur pour la fin, le cricket ne devrait paraître que le 14 février. Le jour de la Saint-Valentin, tiens. La vie est parfois bien faite. OK, terminons ça plus sérieusement. Oui, j’apprécie vraiment le cricket. Et, sincèrement, si on ne considère que le sport en soi, je ne trouverais absolument pas aberrant de voir cette discipline un jour ajoutée à la liste des épreuves olympiques. Mais ton argument sur la longueur des matchs est imparable. J’admets que ce serait un non-sens. Alors, go pour le cyclocross. À moins que tu aies balancé le premier sport à te passer par la tête et que tu aies une meilleure idée, mais c’est déjà mieux que le breakdance, de toute façon. Franchement. Bien sûr que c’est divertissant à regarder. Et ce sont de splendides danseurs. Mais aux Jeux olympiques ? Le CIO s’enfonce un peu, là…

Simon

Pardonne-moi le délai de réponse, Fred. Vois-tu, mes trois plus vieux font l’école à distance aujourd’hui. Dans les circonstances, le plus jeune a refusé d’aller à la garderie. Heureusement, le - 18 oC aidant, ma patinoire est prête dans la cour arrière. Attends, je t’envoie une photo…

PHOTO FOURNIE PAR SIMON DROUIN

Les trois fils de Simon Drouin sur la patinoire familiale dans l’arrière-cour : à gauche, à l’arrière, Léon, 11 ans ; à droite, Roméo, 9 ans ; et tout à l’avant, Fabio, 3 ans.

Pas pire pour un gars de Rosemont, hein ? Avec tout ça, j’ai failli rater mon entraînement sur Zoom dans le salon. Les joies de 2020. Comme ce championnat du monde UCI de cyclisme virtuel, remporté par un rameur allemand. J’ai peur : le CIO lorgne les jeux vidéo… Que disait-on déjà ? Ah oui, le breakdance. Je suis d’accord avec toi. C’est athlétique, aucun doute là, mais sportif ? À ce compte, j’aurais préféré le parkour, qui était également sur les rangs pour Paris 2024. Par ailleurs, j’étais très sérieux avec le cyclocross. Mais je n’ai pas fait une longue analyse. C’est plus par intérêt personnel. Par son universalité, le cricket se défend aussi très bien. J’ai très hâte de lire ta série sur les sports d’ailleurs. Qui sait, Thomas Bach y découvrira peut-être quelque chose pour les JO de Los Angeles en 2028.

Frédérick

Wow, bravo pour la patinoire ! Un papa émérite. En contrepartie, j’aperçois une tuque des Bruins. Tu ne laisseras pas que de bonnes influences à tes rejetons… Pour ce qui est de ma série, eh bien, si le CIO tient des chèvres mortes en stock, alors l’un de mes huit sports d’ailleurs a effectivement une chance de se frayer un chemin. Tu comprendras le moment venu. Honnêtement, je doute très fort que l’un d’entre eux se retrouve un jour aux JO. Mais si je me trompe, comptez sur moi pour vous le rappeler à chacune de nos réunions du lundi matin !