Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence

Alexandre Pratt

En 2002, les Expos avaient acquis le lanceur de l’heure dans la Ligue américaine, Bartolo Colon. C’était – pour le dire poliment – vraiment pas dans les habitudes de la maison. Je me cite : « Les partisans des Indians subissent l’humiliation ultime de voir leur meilleur lanceur être échangé contre un vétéran non désiré et des joueurs des ligues mineures d’un club sous tutelle. Comme si le Canadien échangeait Saku Koivu aux Sabres de Buffalo contre trois joueurs de la Ligue américaine ! » Colon est parti à la fin de la saison. Et au fait, qui étaient les trois espoirs ? Grady Sizemore (deux Gants dorés, trois matchs des Étoiles). Brandon Phillips (2000 coups sûrs). Et Cliff Lee, futur gagnant du Cy-Young…

Mathias Brunet

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Saku Koivu

Cette histoire m’irrite encore aujourd’hui. Ce 29 avril 2006, Saku Koivu est atteint accidentellement à l’œil gauche par le bâton de Justin Williams lors du troisième match de la série contre les Hurricanes de la Caroline. Le capitaine est transporté d’urgence à l’hôpital. Le lendemain, une source médicale me confirme, après avoir consulté les résultats de l’examen de tomodensitométrie, que Koivu ne souffrait d’aucun dommage important et que si l’enflure disparaissait normalement, le centre numéro un du Canadien pourrait même être en mesure de revenir au jeu d’ici la fin de la série. Le directeur général Bob Gainey m’avait aussi rassuré ce jour-là en prononçant un diagnostic plutôt favorable en conférence de presse, sans toutefois s’avancer sur l’éventualité d’un retour au jeu. J’avais été le seul journaliste à me prononcer de façon aussi claire. Je m’étais toutefois gardé une porte ouverte dans mon texte : « La question demeure cependant toujours hypothétique parce que des complications peuvent survenir dans les jours qui suivent un tel accident, et parce que l’information ne provient pas de la direction du club. » Or, une fois l’œil désenflé de son sang, une semaine plus tard, on a pu effectuer un diagnostic plus complet… et les médecins ont décelé une déchirure de la rétine. Koivu n’est pas revenu au jeu dans cette série. Pire, il a été opéré neuf jours après son accident, et quelques jours après l’élimination du CH. On a annoncé une convalescence de trois semaines. À mon grand désarroi, je dois l’avouer… je m’étais mis le doigt dans l’œil.

Miguel Bujold

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Rakeem Cato

Rakeem Cato était arrivé au camp des Alouettes en retard au printemps de 2015. Mais parce que les deux premiers quarts-arrières du club, Jonathon Crompton et Dan Lefevour, s’étaient blessés dans le premier match de la saison, la recrue avait obtenu son premier départ dès le deuxième. Et Cato avait surpris tout le monde avec une superbe performance. Il avait complété 80 % de ses passes (20 en 25) pour 241 verges, trois touchés et aucune interception, et avait permis aux Alouettes de surprendre les puissants Stampeders ce Calgary, 29-11. Quelques semaines plus tard, ça me paraissait très clair : les Alouettes avaient trouvé celui qui allait enfin régler leur problème de quart-arrière. Pas si vite… Cato avait grandi à Liberty City, l’un des quartiers les plus pauvres et dangereux de Miami et des États-Unis. Parce qu’il avait un fort accent du Sud et qu’il bégayait, certains joueurs des Alouettes avaient peine à le comprendre lorsque Cato communiquait les jeux dans le caucus. Le fait qu’il n’était pas le plus studieux n’aidait pas non plus. Cato avait le talent nécessaire pour avoir une très belle carrière dans la LCF, et j’étais convaincu qu’il en serait ainsi, mais il y avait trop d’éléments qui l’empêchaient de s’épanouir. Après une deuxième saison avec les Alouettes en 2016, on ne l’a plus jamais revu dans la LCF.

Simon Drouin

PHOTO KENZO TRIBOUILLARD, AGENCE FRANCE-PRESSE

Tadej Pogačar

Mon ami Dominique Perras, qui a commenté le Tour de France pendant des années à RDS, m’a toujours conseillé de me méfier des opinions tranchées sur l’issue d’une course de vélo. « On ne sait jamais », dit-il en substance. J’aurais dû m’en souvenir le 17 septembre, trois jours avant l’arrivée à Paris, quand je suis sorti de ma réserve habituelle pour écrire que Primož Roglič gagnerait le Tour, Tadej Pogačar terminerait deuxième et Miguel Ángel López compléterait le podium. « À moins d’un imprévu », avais-je eu la prudence de préciser. Ben oui. J’étais tellement certain de mon coup que je suis parti chercher l’épicerie pendant le contre-la-montre décisif, moi qui avais suivi presque toutes les autres étapes à partir du kilomètre 0. Heureusement, j’avais un œil sur le téléphone. J’ai donc rappliqué en catastrophe, trois-quatre sacs de papier brun dans les bras. Pogačar était en train de causer l’un des plus grands renversements de l’histoire du Tour. Leçon retenue.

Richard Labbé

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Anthony Calvillo

Mon Dieu, par où commencer ? En premier, je me souviens vaguement de mes années comme critique musical, une folle époque où j’avais l’habitude d’aimer des artistes que personne d’autre que moi ne connaissait ; après toutes ces années, je persiste à dire que le groupe Notre-Dame aurait dû devenir plus gros que ça. Mais bon. Sur la planète sportive, je crois avoir jadis écrit que les Alouettes n’allaient jamais rien gagner avec Anthony Calvillo (faux), qu’un jeune quart du nom de Joe Hamilton allait un jour débarquer et réécrire le livre des records du football canadien (ce n’est pas arrivé). Plus récemment, lors d’un camp d’entraînement du Canadien à Brossard, je me suis surpris à admirer les qualités athlétiques de Jiri Sekac, au point de croire que le Canadien avait réussi un vol, et au point de croire que ce jeune homme allait probablement battre les records de Wayne Gretzky. Ça non plus, ce n’est jamais arrivé.

Guillaume Lefrançois

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Matthew Peca

On m’a toujours dit de me méfier des débuts de camp d’entraînement. J’ose espérer que le camp 2018 sera la dernière fois où je me serai fait prendre. Matthew Peca était impressionnant à voir aller. Avant même le début du camp, au moment de faire mes projections, je l’avais placé comme centre de troisième trio. Et après le premier match intraéquipe, j’ai laissé tomber cette phrase, malheureusement immortalisée dans La Presse : « Il a l’air d’un joueur de la LNH. » Il faut dire qu’il y a un contexte : au centre, le Canadien était mince comme une Flammekueche. On ne pensait pas que Jesperi Kotkaniemi jouerait dans la LNH dès sa première saison, et le fait qu’il se soit taillé une place n’est pas étranger à ce manque de profondeur qu’il y avait alors. Par ailleurs, Peca avait obtenu un contrat de deux ans, à un volet, à 1,3 million de dollars par saison. Il arrivait d’une bonne organisation, le Lightning. Mais j’aurais aussi dû me rappeler qu’à part Jonathan Marchessault, le Lightning n’a pas l’habitude de laisser filer les vrais bons joueurs de la LNH…

Simon-Olivier Lorange

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Ilya Kovalchuk

Au début de l’année 2020, aussi bien dire il y a 250 ans, Marc Bergevin a surpris un peu tout le monde en embauchant Ilya Kovalchuk, dont le contrat venait d’être racheté par les Kings de Los Angeles. Kovalchuk, vraiment ? En point de presse, on ne savait pas trop qui Bergevin tentait de convaincre : lui ou nous ? « Ce n’est plus le joueur qu’il a déjà été. » « C’est une signature sans risque. » Bonsoir l’enthousiasme ! Avec les collègues, on se moquait d’une catastrophe annoncée. Combien de temps s’écoulerait avant que Claude Julien en ait soupé de ses lacunes défensives et l’envoie dans les gradins ? Deux semaines ? Une seule ? Ne cherchez pas ma bonne foi, elle était au lavage. Force est toutefois d’admettre que le pari de Bergevin a été payant, puisque Kovalchuk, visiblement prêt à travailler, a offert à ses coéquipiers et aux partisans du club une rare éclaircie dans cette saison jusque-là catastrophique. J’ai eu presque tout faux. Et c’est tant mieux.

Michel Marois

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jo-Wilfried Tsonga

Un peu comme Rafael Nadal à Roland-Garros, Roger Federer a longtemps été le roi de Wimbledon. Son jeu élégant convenait parfaitement au gazon londonien et c’est sans doute encore là qu’il conserve, à 39 ans, ses meilleures chances de gagner en Grand Chelem. C’est en 2011 que j’ai été à Wimbledon pour la première fois et j’anticipais avec impatience l’occasion d’assister à un match de Federer sur le central. J’ai dû attendre les quarts de finale, où le Suisse affrontait le Français Jo-Wilfried Tsonga. Pendant 90 minutes, il a offert la démonstration attendue pour prendre un avantage de deux manches à zéro. J’en avais vu assez et je suis retourné au centre de presse pour écrire un texte élogieux. Federer n’avait jamais perdu (178-0) après avoir remporté les deux premières manches d’un match et il n’avait jamais perdu à Wimbledon (55-0) après avoir remporté la première manche. Vous devinez la suite. Tsonga est revenu et il a gagné 3-6, 6-7 (5), 6-4, 6-4, 6-4 ! J’ai évidemment dû réécrire mon texte et j’ai pris l’habitude depuis de ne jamais tenir le résultat pour acquis quand je dois commencer à écrire avant la fin d’un match.