Difficile d’imaginer une épreuve sportive mieux adaptée à une pandémie : une trentaine de concurrents, seuls sur leur bateau, lancés dans une course autour du monde avec interdiction formelle de toucher terre ou d’obtenir de l’assistance.

Le Vendée Globe, dont le départ sera donné ce dimanche des Sables-d’Olonne en France, sera l’évènement sportif de l’hiver 2020-2021. Créée en 1989, la course en est à sa neuvième présentation et elle réunit cette année 33 concurrents, dont 6 femmes.

En 2016, près de 350 000 spectateurs avaient assisté au départ de l’épreuve. Ce ne sera évidemment pas le cas cette année en raison du retour des mesures de confinement en France qui ont aussi entraîné la fermeture prématurée du Village de la course, dans le port des Sables-d’Olonne, qui avaient accueilli 2,25 millions de visiteurs en 2016.

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, REUTERS

Le skipper français Jérémie Beyou

Jérémie Beyou, l’un des favoris, disait cette semaine en visioconférence que les concurrents étaient certes un peu déçus de ne pas pouvoir bénéficier de la charge émotionnelle du public au moment de s’élancer pour cette folle aventure. Il a toutefois ajouté : « Ce sera plus facile de prendre le départ “à huis clos”, sans ces centaines d’embarcations qu’il faut éviter. Nos voiliers sont délicats à manœuvrer et ce sera plus sûr de cette façon. »

L’ère des foils

Le Vendée Globe est entré depuis sa dernière présentation dans l’ère des foils, qui permettent aux monocoques de la classe IMOCA de s’élever au-dessus de l’eau et d’atteindre des vitesses très élevées. Pas moins de 19 « foilers » sont au départ et, parmi ceux-ci, les favoris sont les skippers de huit voiliers de dernière génération, à commencer par Alex Thomson.

« La flotte est vraiment exceptionnelle, a souligné le Britannique la semaine dernière en visioconférence. Il y a les huit nouveaux bateaux, plusieurs autres qui ont été modifiés en profondeur. »

Les équipes sont mieux organisées, plus professionnelles qu’elles ne l’ont jamais été et nous pouvons pousser nos voiliers à des vitesses toujours plus élevées. Tout est en place pour un grand Vendée Globe.

Alex Thomson

Deuxième en 2017, à quelques heures du vainqueur, Thomson en sera à sa cinquième participation. Son nouveau Hugo Boss est encore plus radical que les précédents, avec notamment l’absence complète de cockpit extérieur, le symbole d’une nouvelle manière de faire la course, bien calé au fond de sa cabine devant ses écrans et les différentes commandes électroniques du voilier.

PHOTO FOURNIE PAR CHARAL

La « monture » de Jérémie Beyou, le Charal

Moins extrêmes, les « montures » de Jérémie Beyou (Charal), Charles Dalin (Apivia), Thomas Ruyant (Linked Out), Armel Tripon (L’Occitane en Provence) ou Nicolas Troussel (Corum l’Épargne) sont néanmoins très complexes et le principal défi des plus rapides sera d’éviter la casse.

Thomson regrettait d’ailleurs de ne pas avoir pu tester parfaitement toutes les innovations de son voilier : « Je suis certain que les nouveaux voiliers sont encore loin de leur plein potentiel. Nous aimerions tous, si nous avions le choix, pouvoir reprendre les journées en mer que la pandémie nous a coûtées.

« Mais il faut aussi être reconnaissant envers les organisateurs et les autorités qui ont réussi à maintenir cette course malgré les circonstances. »

Une course à fond

Dès dimanche, les 33 marins seront seuls face aux océans. Dévoilé lundi dernier, le parcours théorique fait près de 45 000 kilomètres en fonction de la zone d’exclusion antarctique où il est interdit de descendre pour des raisons de sécurité.

On s’attend à ce que le record de la course, établi par Armel Le Cléac’h en 2017 (74 jours, 3 heures et 35 minutes), soit battu et les favoris vont mener la course à un rythme soutenu.

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, REUTERS

Le skipper français Thomas Ruyant

Les outils électroniques, le pilotage automatique notamment, ont radicalement modifié le rôle du skipper dans un Vendée Globe. Thomas Ruyant, l’un des favoris à sa deuxième participation, expliquait la semaine dernière en visioconférence : « Le facteur déterminant demeure le marin, car l’homme est le facteur limitant dans cette voile nouvelle, avec son stress et sa fatigue qu’aucun logiciel ne peut encore mesurer, anticiper et intégrer aux réglages d’un bateau. »

On est tous capables de mener ces bateaux autour du monde. Le plus difficile sera de décider quand et jusqu’où il faut mettre la pédale à fond, et aussi quand il faut lever le pied.

Thomas Ruyant

Les meilleurs savent toutefois qu’ils n’auront guère de répit. La compétition s’annonce très vive, dès les premières phases de ce tour du monde, avec la descente vers le sud et la traversée des deux Atlantique, Nord et Sud.

Selon Ruyant : « C’est là que se jouera l’issue de ce Vendée Globe de l’ère nouvelle. Nos “foilers” ont l’aptitude de pouvoir attraper l’avant d’une dépression et de cavaler avec celle-ci jusqu’à son épuisement. Celui ou ceux qui réussiront à intégrer d’emblée le bon train de dépressions du grand sud auront la possibilité de creuser d’immenses écarts qu’il sera pratiquement impossible de combler par la suite. »

Jérémie Beyou, l’autre grand favori de la course avec Thomson, avait justement « raté le train » lors de la dernière présentation et s’était contenté de la troisième place. Pour sa quatrième participation, il ne pense qu’à la victoire.

« On a eu la chance de mettre le bateau à l’eau très tôt [en août 2018] et nous avons pu l’améliorer et peaufiner les réglages, a-t-il rappelé cette semaine en visioconférence. On a remporté les deux dernières courses préparatoires et je crois que nous sommes prêts.

« Cela dit, le Vendée Globe, c’est un condensé de la vie. Pendant la course, on peut passer de l’euphorie totale à la détresse extrême. Il y a la fatigue, bien sûr, mais le plus difficile, c’est de gérer ses émotions. »

Dans la même veine, Thomson a reconnu : « Je ne veux pas paraître arrogant, mais c’est certain qu’une victoire viendrait valider les 20 dernières années de ma vie. J’ai parfois l’impression que toute mon existence tourne autour du Vendée Globe. Je ne demanderai pas à ma femme, mais je suis certain qu’elle pense la même chose ! »

Rejoignez la course… virtuelle

Encore une fois, le Vendée Globe s’est associé à Virtual Regatta pour une course virtuelle, en temps réel et dans les mêmes conditions de vent et de météo, qui permet aux amateurs de « côtoyer » les 33 skippers de la course officielle. Les organisateurs prévoient de battre le record de 450 000 participants sur l’ensemble de la course et tout le monde peut participer. Des milliers de Canadiens étaient d’ailleurs des dernières présentations. Il est possible de s’inscrire gratuitement, mais les mordus n’hésitent pas à débourser 30 euros pour équiper leurs voiliers virtuels de tous les équipements optionnels. Une montre de plus de 13 000 $ et plusieurs prix sont en jeu, mais n’allez pas croire que vous allez gagner d’entrée. Les vainqueurs des dernières présentations étaient des quasi professionnels et l’un des meilleurs Québécois, Norman Sheehan, profite de sa retraite pour y consacrer plusieurs heures par jour et flirter avec le top 100.

Les précédents vainqueurs

-1989-1990 : Titouan Lamazou (Écureuil d’Aquitaine II) en 109 jours, 8 heures et 48 minutes

– 1992-1993 : Alain Gautier (Bagages Superior) en 110 jours, 2 heures et 22 minutes

– 1996-1997 : Christophe Auguin (Geodis) en 105 jours, 20 heures et 31 minutes

– 2000-2001 : Michel Desjoyeaux (PRB) en 93 jours, 3 heures et 57 minutes

– 2004-2005 : Vincent Riou (PRB) en 87 jours, 10 heures et 47 minutes

– 2008-2009 : Michel Desjoyeaux (Foncia) en 84 jours, 3 heures et 9 minutes

– 2012-2013 : François Gabart (Macif) en 78 jours, 2 heures et 16 minutes

– 2016-2017 : Armel Le Cléac’h (Banque populaire) en 74 jours, 3 heures et 35 minutes

Ce que vous devez savoir

PHOTO LOÏC VENANCE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les montures des skippers sont en position pour la course du dimanche 8 novembre aux Sables-d’Olonne, en France.

La plus grosse flotte

Avec pas moins de 33 concurrents, la neuvième présentation du Vendée Globe établit un nouveau record de participation, un petit exploit dans le contexte actuel. La marque précédente avait été établie en 2016-2017 alors que 29 marins avaient pris le départ et que 18 d’entre eux avaient atteint l’arrivée. Il y a encore une majorité de concurrents français (23), mais 10 marins étrangers vont tenter l’aventure.

Six femmes au départ

Absentes de la dernière présentation, les femmes reviennent en force et pas moins de six navigatrices prendront le départ le dimanche 8 novembre : Samantha Davies, Isabelle Joschke, Clarisse Crémer, Alexia Barrier, Pip Hare et Miranda Merron. Du groupe, seule Davies a déjà participé à la course, en 2008-2009, terminant au quatrième rang, la meilleure performance féminine de l’histoire du Vendée Globe après la deuxième place d’Ellen MacArthur en 2000-2001.

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, REUTERS

La skipper française Clarisse Crémer

Le plus rapide ?

On s’attend à ce que ce Vendée Globe soit le plus rapide de l’histoire. La marque de 74 jours, 3 heures et 35 minutes devrait « exploser ». Le favori Alex Thomson n’a prévu du ravitaillement que pour 75 jours et il a estimé : « Si j’avais à parier sur la durée de la course pour le vainqueur, je miserais sur 67 jours. »

PHOTO CLEO BARNHAM, FOURNIE PAR HUGO BOSS

Le skipper Alex Thomson en action au large de l’Angleterre, le 16 septembre 2016, en vue de la course Vendée Globe 2016