Sur les terrains de golf, Donald Trump est un tricheur éhonté.

Son surnom ?

Pelé. Comme le joueur de soccer. Car il aime botter sa balle pour la rapprocher du trou. « Il triche comme un bonneteur. Il lance sa balle, la pousse, la déplace », raconte le chroniqueur Rick Reilly, dans son essai Commander in Cheat – How Golf Explains Trump, consacré au comportement du président sur les verts.

« Dire que Donald Trump triche, c’est comme dire que Michael Phelps nage, poursuit Reilly. C’est un tricheur de haut niveau. Il triche lorsque les gens regardent. Lorsque les gens ne regardent pas. Il triche que vous aimiez ça ou non. Il triche parce qu’il joue comme ça, qu’il a appris à jouer ainsi et qu’il a besoin de le faire. Que vous soyez son pharmacien ou Tiger Woods. »

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Donald Trump sur un de ses terrains de golf en Écosse, en 2011

D’ailleurs, Donald Trump a déjà affronté Tiger Woods. Et devinez quoi ?

Il a triché. En négligeant de compter deux balles frappées dans un étang.

Pourquoi le président des États-Unis agit-il ainsi ?

Sûrement parce qu’il aime gagner – comme tout le monde.

Mais surtout parce qu’il ne supporte pas la défaite.

C’est un phénomène bien connu en psychologie et en économie. L’aversion à la perte. Une théorie développée par Daniel Kahneman et Amos Tversky. Les deux chercheurs ont découvert que « les pertes comptent plus que les gains ». Concrètement, la peine associée à un échec est jusqu’à deux fois plus puissante que le plaisir de gagner.

Ce qui explique bien des choses. Notamment les gestes parfois démesurés des mauvais perdants. Ce que sont bien des athlètes.

Et Donald Trump.

Ce fut mis en évidence, jeudi soir, alors qu’il tirait de l’arrière dans le décompte des votes. Lors d’une conférence de presse pitoyable, le candidat républicain a affiché la maturité d’un garçon de 6 ans frustré d’avoir perdu au ballon-chasseur.

Mais être mauvais perdant, ce n’est pas qu’un état d’esprit passager. C’est aussi une stratégie, souvent déployée dans les sports, pour tenter d’influencer le résultat d’un match. Ou des parties suivantes. Une tactique qui se décline généralement en trois étapes.

1. La crise

Jimmy Connors. Serena Williams. Martina Hingis. Novak Djokovic. Bobby Knight. Éric Cantona. Dale Hunter. LeBron James. La liste des athlètes et entraîneurs à la mèche courte est longue. Et les réactions, diversifiées.

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John McEnroe

Mikhail Youzhny a fracassé sa raquette sur son propre crâne. Robbie Ftorek, alors entraîneur des Devils du New Jersey, a lancé le banc des joueurs sur la patinoire. John McEnroe, lui, hurlait. Très, très fort.

Sur le coup, ça saisit tout le monde. Les spectateurs. Les coéquipiers. Les arbitres. Les adversaires. C’est d’ailleurs un peu l’intention derrière le geste. Surprendre. Provoquer. Choquer. Détourner l’attention d’une contre-performance. Casser le rythme. Changer le « momentum ». Parfois, ça fonctionne. Surtout si l’adversaire est inexpérimenté et impressionnable.

Remarquez aussi que la crise est plus intense lorsque le mauvais perdant est largement favori pour remporter son duel. En 1991, les Pistons de Detroit – gagnants des deux derniers championnats de la NBA – se sont fait éliminer par les Bulls de Chicago. Frustrés, les Pistons ont privé les Bulls d’une célébration classique en quittant le terrain huit secondes avant la fin du match. Un geste que Michael Jordan, lui-même mauvais perdant, n’a jamais pardonné à ses adversaires.

Maintenant, c’est certain qu’en qualifiant Joe Biden de pire candidat à la présidence de l’histoire des États-Unis, Donald Trump était destiné à une sacrée déception en cas de défaite.

2. La contestation

La défaite fait mal. Physiquement. Le professeur Maarten Boksem, de l’Université de Rotterdam, l’a prouvé lors d’une expérience relatée dans le magazine Erasmus.

Comment ?

En étudiant le cerveau de participants d’un jeu de société à l’aide d’électrodes et d’examens en imagerie par résonance magnétique (IRM). Sa conclusion : lors d’un échec, votre activité cérébrale se compare à celle d’une personne qui se frappe la tête contre un cadre de porte, à pleine vitesse.

Pas super agréable.

Brad Marchand a déjà évoqué cette douleur avec mon collègue Jean-François Tremblay : « Il y a un gagnant et un perdant. C’est superbe pour le gagnant, terrible pour le perdant. J’ai été des deux côtés. Gagner, perdre, ça reste toujours en toi. Tu n’oublies pas la victoire, tu n’oublies certainement pas la défaite. »

Pas étonnant non plus que les mauvais perdants – allergiques à cette sensation – refusent d’assumer la responsabilité d’une défaite. Ni qu’ils cherchent des coupables pour l’expliquer. C’est exactement ce qu’est en train de faire Donald Trump, en évoquant des votes « illégaux ». En décriant le vote par la poste (légal). En qualifiant les scrutateurs de fraudeurs (des allégations non prouvées).

Une stratégie vieille comme le premier caillou botté par un bipède.

La personne visée ? Souvent celle chargée de faire appliquer les règles. Dans le sport, les arbitres. Des athlètes et des entraîneurs passent leur carrière à les critiquer et les intimider, faisant écho à cette pensée de Machiavel : « Il vaut mieux être craint qu’aimé. »

L’ancien gérant des Braves d’Atlanta Bobby Cox s’est fait expulser 161 fois. Un record.

C’est aussi une tactique privilégiée par Serena Williams. Aux Internationaux de tennis des États-Unis, en 2009, elle n’a pas aimé qu’un officiel signale une faute de pied alors qu’elle tirait de l’arrière 15-30, 5-6, en deuxième manche. Williams s’est approchée de la juge, a pointé sa raquette vers elle et lui a crié : « Je vais t’enfoncer cette put… de balle dans le fond de ta put… de gorge. » L’arbitre l’a punie pour conduite antisportive.

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L’arbitre Carlos Ramos a sanctionné Serena Williams trois fois pendant la finale des Internationaux des États-Unis, en 2018.

Elle a recommencé en finale du même tournoi, en 2018. En retard sur la jeune Naomi Osaka, 20 ans, Williams s’est lancée dans une longue tirade contre l’arbitre, qui l’a sanctionnée. Un geste qui a jeté de l’ombre sur la victoire d’Osaka, en larmes (de peine) au moment de recevoir son trophée.

D’autres cas célèbres :

• Un ancien gérant des Pirates de Pittsburgh, Lloyd McClendon, a déjà quitté le terrain avec le premier but, pour protester contre le travail d’un arbitre.

• Un entraîneur des ligues mineures, Phillip Wellman, a saisi le sac de résine du lanceur, s’est couché sur le sol au monticule et a lancé le sac vers l’arbitre du marbre, comme si c’était une grenade.

• Le basketteur Scottie Pippen a déjà lancé une chaise sur le terrain pour exprimer sa frustration contre un officiel.

Autant de façons d’intimider les responsables de l’application des règles. Et de semer un doute sur leur compétence et leur impartialité.

3. La mobilisation

En désespoir de cause, il reste une dernière étape. La mobilisation.

Des coachs en ont même fait une spécialité : monter leurs joueurs contre leurs adversaires. Contre les arbitres. Contre les dirigeants de la ligue. Contre les journalistes. Contre les analystes. Contre les partisans, même.

Nous contre le monde.

Un procédé usé, rabâché dans presque tous les drames sportifs.

C’est actuellement le cri de ralliement des Titans du Tennessee. C’était aussi la source de motivation des Eagles de Philadelphie, lors de leur conquête du Super Bowl, en 2018. « Pour avoir du succès, nous devons avoir cette mentalité de nous contre le monde », avait expliqué Malcolm Jenkins. L’entraîneur-chef des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, Bill Belichick, a aussi rallié ses joueurs autour de cette idée.

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L’entraîneur-chef des Patriots de la Nouvelle-Angleterre, Bill Belichick

Donald Trump en est rendu là. Face à un résultat défavorable, il multiplie les appels de phares à ses partisans. Il leur demande de manifester. De se tenir prêts. Le suivront-ils ? On verra.

Mais ne faites pas l’erreur de le sous-estimer.

Car comme l’explique Rick Reilly dans son livre, au golf, « le gars qui complimente votre jeu fera la même chose au souper. Et le gars qui triche sur le parcours va tricher en affaires. Ou avec ses impôts. Ou, par exemple, en politique ».