Andy Mezey est mort, la semaine dernière. Il avait 85 ans.

Andy qui ?

J’ai eu la même réaction. Jamais entendu son nom. Un lecteur m’a résumé son parcours. J’ai appelé ses amis. Fouillé dans les archives. Et découvert une histoire extraordinaire. Une vie romanesque. Celle d’un exilé hongrois, passionné de handball, qui s’est donné pour mission de convertir les Québécois à son sport. Il a acheté des filets. Les a mis dans une remorque. Est parti à la conquête de la province. Et il a réussi. De 1960 à 1980, le nombre de handballeurs au Québec est passé d’une dizaine à… 80 000 !

PHOTO FOURNIE PAR DIETER HAGEN

Andy Mezey, avec le chapeau, lors d’un voyage de l’équipe canadienne de handball, en Europe, en 1967.

« Andy, c’est le père du handball québécois. »

L’homme qui parle, c’est son grand ami. Dieter Hagen. Lui aussi handballeur. Les deux se sont connus dans un gymnase du Collège Notre-Dame, à la fin des années 1950. Dieter venait d’immigrer de l’Allemagne. Andy, de la Hongrie. « Andy était membre de l’équipe nationale de handball de la Hongrie, raconte Dieter. Il a décidé de s’exiler après l’insurrection de 1956. »

PHOTO FOURNIE PAR DIETER HAGEN

Dieter Hagen (numéro 8, à gauche) et Andy Mezey, à droite, au gymnase du Collège Notre-Dame, au début des années 1960.

Cet automne-là, les étudiants ont protesté à Budapest contre le régime communiste. L’armée soviétique a répliqué. La révolte a pris fin dans un bain de sang ; plus de 3000 personnes sont mortes. Des centaines de milliers de Hongrois ont quitté le pays. Dont Andy Mezey. Il a raconté son exil à La Patrie, 10 ans plus tard.

« J’avais lié mon sort à celui de l’équipe nationale de handball. Après notre tournée européenne, tous les membres de l’équipe avaient décidé de ne pas retourner en Hongrie. J’étais jeune à l’époque, et sans trop songer aux conséquences, j’optai pour cette même décision. Je suis venu au Canada parce que je croyais que c’était le pays où il existait la plus grande liberté. »

Après un court séjour en Allemagne, Andy Mezey s’est établi à Montréal en 1958. Il ne pouvait pas gagner sa vie comme handballeur. Pour une raison bien simple : à part une poignée de lycéens du Collège Stanislas, à Outremont, personne ici ne jouait au handball.

En 1959, il a publié une petite annonce dans un journal pour trouver des joueurs. Une vingtaine d’hommes lui ont répondu. Tous des jeunes venus d’Europe. Ils se sont donné rendez-vous dans un parc. Ainsi sont nés les deux premiers clubs québécois de handball.

En 1962, il crée le Montréal International. Dieter Hagen est son coéquipier.

« Notre équipe était composée de joueurs de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie, de la Suisse, de la France, de l’Allemagne et de la Hongrie, se souvient Dieter Hagen. Andy avait trouvé des clubs à Toronto et aux États-Unis. Nous étions vraiment très forts. La meilleure équipe en Amérique du Nord. »

Parallèlement, Andy Mezey s’est fait embaucher comme professeur d’éducation physique à l’école secondaire St. Thomas, à Pointe-Claire. L’emploi idéal pour partager sa passion avec encore plus de gens. Des élèves. Des collègues. Des professeurs des autres écoles. Il met sur pied une ligue scolaire. Puis des tournois. Puis des championnats.

Sauf qu’il y avait un problème.

Un manque de filets.

Andy Mezey en a donc commandé deux. Qu’il transportait partout en province.

« Partout où il organisait une partie, où il donnait une formation, il apportait ses filets, se souvient un de ses joueurs, Jacques Goulet. Andy les mettait dans sa remorque, et débarquait à Saint-Jean-sur-Richelieu, ou dans une école de l’est de Montréal. Il sortait son tape et traçait les limites du terrain sur le plancher du gymnase. C’est comme ça que ça fonctionnait. »

Il faut savoir que les gymnases de l’époque étaient trop petits pour le handball, qui requiert une surface de 20 mètres sur 40 mètres. « Il n’y avait jamais de contre-attaque, raconte Jacques Goulet. On était déjà rendus dans l’autre zone [rires] ! »

La création des cégeps, en 1967, a tout changé. Soudainement, les joueurs québécois ont eu accès à des gymnases plus spacieux. Andy Mezey a saisi l’occasion et a concentré ses efforts sur le développement des jeunes adultes. La pratique du handball au Québec a explosé.

« À partir de 1967, nous avons commencé à intégrer des cégépiens dans notre équipe, explique Dieter Hagen. Andy et moi étions plus vieux. Eux avaient 17, 18, 19 ans. »

PHOTO FOURNIE PAR DIETER HAGEN

Andy Mezey, en bas à droite, avec le club Montréal International

« Le vendredi, après le travail, Andy paquetait des matelas de gymnastique de l’école St. Thomas dans une minifourgonnette. On allait chercher les joueurs. Nous étions huit. Nous conduisions toute la soirée. Passé minuit, on débarquait avec nos matelas dans un hôtel cheap de Buffalo, de Syracuse ou d’Elizabethtown. Et le lendemain matin, on jouait. On assumait tous les frais nous-mêmes. »

Jacques Goulet faisait partie de cette joyeuse bande de handballeurs-voyageurs, qu’Andy a aussi amenés en France, en Allemagne et en Belgique.

« Andy, c’était mon mentor. Il s’occupait de tout. C’était comme un père pour nous. Il était notre coéquipier. Notre coach. Notre formateur. Il était très gentil. Comme entraîneur, il pouvait être sévère. C’était un gagnant. Un vendeur. Un motivateur. On aurait marché la Terre pour lui. »

***

Pierre Désormeaux a été nommé meilleur handballeur canadien du XXe siècle. Lui aussi a croisé Andy Mezey. La première fois, c’était pendant une partie, en 1971.

« J’avais 19 ans. Mes chums m’ont demandé de le couvrir homme à homme. Il n’avait pas aimé ça [rires]. Deux ans plus tard, je l’ai retrouvé au camp d’Équipe Québec. Quand j’ai vu que c’était lui le coach, je me suis dit : “Ça y est, il va me couper.” Mais non. Il m’a gardé. Puis en 1975, lorsque j’ai quitté l’équipe nationale, c’est lui qui m’a appelé pour me convaincre de revenir. Ça m’a permis de participer aux Jeux olympiques de Montréal, en 1976. »

Et qui était l’organisateur du tournoi olympique ?

Andy Mezey, évidemment.

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC GROULX

Andy Mezey était l’organisateur du tournoi de handball des Jeux olympiques de Montréal, en 1976

« Andy était un gentleman. Un vrai. Il prenait soin de chaque joueur comme si c’était son propre garçon. Il était propriétaire d’un magasin d’articles de sport. Tu allais là pour acheter des runnings, tu sortais avec un t-shirt et des gants que tu n’avais pas payés ! »

C’était les grandes années du handball québécois. Et l’heure de gloire d’Andy Mezey. Au Centre Maisonneuve – maintenant le Centre Pierre-Charbonneau –, les matchs attiraient souvent 2000 personnes. Des journaux couvraient les parties.

« [Pierre] Foglia, [Ronald] King, Liliane Lacroix, Réjean [Tremblay], ils sont venus nous voir », se souvient Pierre Désormeaux. Si bien qu’après les Jeux olympiques, au début des années 1980, il y avait 80 000 handballeurs au Québec, selon le journal Le Soleil. Pour vous donner une idée, il y a 100 000 joueurs de soccer licenciés au Québec aujourd’hui.

Que s’est-il passé pour que le handball disparaisse de nos écoles ?

« Michael Jordan », répond Pierre Desrochers. En quelques années, les jeunes ont délaissé le handball pour le basketball. Andy Mezey est d’ailleurs devenu entraîneur de basketball au cégep Dawson. « C’était tout un athlète », raconte le lecteur qui a signalé son décès, l’ex-handballeur Éric Groulx. « Il jouait aussi au water-polo et au soccer, indique Jacques Goulet. Il nous disait qu’il aurait pu être membre de cinq équipes nationales. Et c’était sûrement vrai ! »

« Andy, conclut Dieter Hagen, n’abandonnait jamais. Il insistait. Il persistait. Il voyait toujours le verre à moitié plein. Je suis vraiment choyé d’avoir été son ami. »