(Montréal) Les athlètes olympiques ne sont pas insensibles aux vagues de manifestations en appui aux injustices sociales qui ont frappé la planète ces derniers mois. Mais ils souhaitent qu’elles soient encadrées, à tout le moins pendant les Jeux olympiques.

C’est ce qui ressort d’une vaste enquête menée par la Commission des athlètes du Comité olympique canadien (COC), sur la règle 50 de la Charte olympique. Il en ressort que près de 80 % des athlètes sondés sont contre toute forme de protestation sur l’aire de jeu.

Une vaste majorité est également contre toute forme de manifestation sur le podium (près de 61 %), ainsi que lors des cérémonies de remise de médailles (59 %).

Selon les résultats de cette enquête, menée auprès d’athlètes actifs et retraités par sondage, un webinaire et des rencontres individuelles, les athlètes sont en faveur de manifestations dans des cadres plus généraux, comme les conférences de presse, les zones mixtes ou encore des zones désignées du Village olympique.

« Au-delà de demander plus de clarté, on veut aussi ouvrir la porte pour offrir aux athlètes plus de possibilités de faire entendre leurs voix sur tous les sujets. On veut qu’il y ait davantage de possibilités pour les athlètes de le faire. Il y a tout de même quelque chose de quasi unanime chez les athlètes canadiens : on veut protéger l’aire de jeu. C’est pourquoi pour nous, ça ne fait aucun sens d’abolir complètement cette règle », a expliqué l’ex-bosseur Philippe Marquis, membre de la Commission des athlètes du COC en entrevue à La Presse Canadienne.

« Quand on voit l’ensemble du rapport, poursuit celui qui est maintenant l’entraîneur-chef de l’équipe de bosses du Centre de ski de Vail, dans le Colorado, on voit toutefois qu’il y a plusieurs zones grises et à quel point notre tâche a été compliquée. Nous le voyons aussi dans des mouvements comme Black Lives Matter : quand tu touches à des sujets comme ceux-là, c’est toujours plus complexe. Chaque athlète voudra faire entendre sa voix à sa manière. »

Pourtant, certains organismes prônent carrément l’abolition de la règle 50 par le CIO.

« Pourquoi ne pas permettre aux athlètes d’être d’abord des humains ? La liberté d’expression est un des droits fondamentaux de l’être humain, a déclaré le Montréalais Rob Koehler, directeur général de Global Athlete, un mouvement international lancé en 2019. Le CIO doit leur permettre de s’exprimer. C’est le problème dans les sports, où nous avons vu tous ces problèmes d’abus sexuel et autres abus. Ça se produit parce que les athlètes ont peur de s’exprimer, car on leur retire leurs tribunes. »

« L’unanimité n’est pas toujours au rendez-vous, nuance Marquis. Il fallait donc s’assurer dans nos recommandations de représenter la totalité des athlètes olympiques canadiens. Il ne fallait pas prendre pour acquis que tous les gens souhaitaient l’abolition de (la règle 50), même si c’est parfois celle qui résonne plus fort dans les médias. »

À contre-courant

Soit. Mais la Commission des athlètes du COC ne va-t-elle pas un peu à contre-courant de ce qui se fait ailleurs sur la planète sportive en n’ouvrant pas la porte à une vitrine plus forte pour les athlètes ?

« J’ai toujours eu un peu de difficulté à comparer les sports olympiques et professionnels, souligne Marquis. Le sport olympique fait intervenir plus de 200 pays à travers le monde, qui se trouvent dans des situations socioéconomiques et sociopolitiques très différentes de celles où on trouve le sport professionnel.

« Même si les joueurs proviennent de plusieurs endroits dans le monde, les ligues se trouvent dans des endroits bien précis. En ce sens, je pense que les sept recommandations de la commission sont un pas vers l’avant. C’est digne de ce que nous sommes comme nation. Oui, il y a un certain contre-courant par rapport à ce qu’on voit ; ce ne sont pas des mesures fracassantes. Mais il faut respecter le sport olympique, avoir une certaine réglementation au niveau politique. »

L’avocat montréalais et membre de longue date du CIO Richard Pound abonde en ce sens.

« Si quelqu’un met un genou au sol, vous ne saurez jamais en regardant à la télévision ou des estrades s’il manifeste contre la discrimination raciale ou le fluore dans l’eau, a-t-il déclaré à la publication internet Around the Rings. Il y a un moment pour chaque chose. Il y a plusieurs causes sociales à défendre, mais vous ne le faites pas à l’église ou pendant des funérailles. [...] Les athlètes peuvent attendre cinq minutes jusqu’à la fin de la cérémonie et dire ce qu’ils veulent pendant leur conférence de presse. »

Sept recommandations

Dans la foulée de cette enquête, la Commission des athlètes du COC demande principalement au CIO de définir avec plus de clarté ce qu’elle considère une manifestation, une démonstration et de la propagande. Elle demande également au CIO d’établir deux règles distinctes pour exprimer une opinion : l’une concernant les opinions exprimées par le biais de questions commerciales telles que les emblèmes, la publicité et les installations commerciales et l’autre concernant les démonstrations, les manifestations et la propagande.

« Là où le CIO a vraiment des lacunes — et on le pointe clairement dans nos recommandations —, c’est d’avoir plus de clarté : qu’est-ce qui représente clairement une manifestation et qu’est-ce qui est de la propagande ? Essayer de mettre un peu plus de définitions autour de ces termes, afin de donner une meilleure direction aux athlètes, qui sauront ce qui est une démonstration respectueuse. Je pense que des changements sont nécessaires à ce niveau, poursuit Marquis.

« On veut aussi savoir quelles pourraient être les sanctions : les athlètes pourront alors savoir ce qui vaut la peine d’être fait comme manifestation. Il y a différents moyens de faire entendre sa voix : ça peut être une épinglette ou une façon plus marquée. Je pense que ça prendrait une panoplie de sanctions qui sont mieux définies. »

Voici les cinq autres recommandations faites au CIO afin de clarifier la règle 50.

– D’établir des dispositions pour ce qui est considéré comme une manifestation acceptable selon les valeurs et les principes de l’Olympisme ;

– D’établir des paramètres clairs pour ce qui est considéré comme une démonstration acceptable qui est pacifique et respectueuse des autres athlètes et pays ;

– De maintenir ou mettre en place des lieux neutres ou protégés qui permettent une démonstration pacifique qui n’interfère pas avec la compétition ;

– De définir et décrire clairement les conséquences et les « degrés de violation » relatives aux démonstrations, aux manifestations et à la propagande ;

– Explorer d’autres possibilités de célébrer de manière significative l’unité et l’inclusion en prenant position contre le racisme et la discrimination.

« La publication du rapport, c’est un pas dans la bonne direction, conclut Marquis. Ça a été une importante recherche au cours des derniers mois. Ce n’est pas final en soit, mais c’est notre position. On espère maintenant faire entendre notre voix dans les recherches du CIO dans les prochains mois. »

Où manifester ? Les athlètes canadiens se prononcent.

Sur le terrain de jeu : 21,05 % pour ; 78,95 % contre

Dans les gradins : 49,12 % pour ; 50,88 % contre

Sur le podium : 39,29 % pour ; 60,71 % contre

Cérémonies de remise des médailles (pas sur le podium) : 41,07 % pour ; 58,93 % contre

Cérémonies d’ouverture : 38,6 % pour ; 61,5 % contre

Cérémonies de clôture : 45,61 % pour ; 54,39 % contre

Autres cérémonies officielles : 48,21 % pour ; 51,79 % contre

Partout dans le Village olympique : 36,31 % pour ; 63,79 % contre

Zones désignées du Village olympique : 77,19 % pour ; 22,81 % contre

Zones mixtes* : 68,97 % pour ; 31,03 % contre

Médias numériques/traditionnels* : 81,03 % pour ; 18,97 % contre

Réunions d’équipe* : 69,94 % pour ; 30,36 % contre

Conférences de presse* : 82,76 % pour ; 17,24 % contre

Autres entrevues* : 89,66 % pour ; 10,34 % contre

*Autorisées depuis janvier 2020

(Source : Recommandations de la Commission des athlètes du COC concernant la règle 50)

La journaliste Lori Ewing de La Presse Canadienne a contribué à cet article.