Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence

Richard Labbé

Dans le monde du sport, il n’y a rien de plus triste que de voir quelqu’un qui ne sait pas quand s’arrêter. Ça arrive dans tous les sports, bien sûr, mais c’est encore pire à la boxe, parce qu’à la boxe, les dommages sont toujours très évidents. Ainsi, je me disais bien que Stéphane Ouellet s’en allait droit à l’abattoir dans les semaines qui ont précédé son combat de retour contre Joachim Alcine, à 33 ans, en décembre 2004. Tout d’abord, Ouellet lui-même ne semblait plus que l’ombre du boxeur qu’il avait été jadis, mais surtout, ses séances d’entraînement contre un partenaire de second plan pouvaient laisser croire au pire : s’il en arrachait contre ce gars-là, ça allait être quoi contre Alcine ? Ça s’annonçait comme un désastre, et le soir du combat, après 64 secondes, ce fut en plein ça : un désastre. J’ai encore en tête cette image d’un Ouellet assommé, le nez cassé, qui pleure comme un enfant sur le tapis du ring. En plus, après tout ça, le Poète de Jonquière a dû laisser aller sa bourse de 20 500 $ dans le cadre d’une bagarre judiciaire face à son ex. On appelle ça une très mauvaise soirée.

Miguel Bujold

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Anthony Calvillo après la défaite des Alouettes au match de la Coupe Grey, en 2008, à Montréal

En 2007, Anthony Calvillo avait abruptement quitté les Alouettes pour être au chevet de sa femme Alexia, atteinte d’un cancer. Un an plus tard, le quart-arrière était en feu et avait remporté le titre du joueur par excellence de la LCF. Calvillo n’avait toutefois qu’un seul but en tête : gagner la Coupe Grey pour Alexia. Les Alouettes avaient perdu leurs trois finales précédentes, mais cette fois, ce serait différent. Ils avaient été dominants en deuxième moitié de saison et le match de la Coupe Grey serait disputé devant leurs partisans. Mais Calvillo a été victime de deux interceptions, n’a lancé aucune passe de touché, et les Stampeders l’ont emporté 22-14. Il s’agissait de la cinquième défaite de Calvillo en finale. « Celle-ci fait beaucoup plus mal que les autres. Je voulais tellement gagner pour Alexia », avait dit Calvillo, le visage défait. À peu près tous les membres du club pleuraient dans leur vestiaire du Stade olympique. Mais tout est bien qui finit bien. Calvillo et les Alouettes ont gagné les deux finales suivantes et, surtout, Alexia a combattu son cancer avec succès.

Simon Drouin

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Harvey après le 50 km des Jeux de PyeongChang, sa dernière course olympique, où il a terminé quatrième.

Les confrères Alain Bergeron, Carl Tardif et moi regardions le bout de nos bottes. Alex Harvey s’était donné un semblant de contenance en commentant sa quatrième place crève-cœur au 50 km des Jeux de PyeongChang, sa dernière course olympique. Pierre Harvey, qui avait analysé l’épreuve pour la télévision, a enjambé la balustrade pour venir l’étreindre. Père et fils ont éclaté en sanglots. « Tu as fait une maudite belle course, tu es super bon », lui a glissé Pierre, la voix étranglée. « Tu as battu tous les Norvégiens, je sais que ce n’est pas assez, mais c’est bon. » D’une certaine façon, le destin du fils collait à celui de son père, frustré à Calgary en 1988. Avec nos enregistreurs à la main, on s’est sentis un peu voyeurs. Comme des intrus dans une réunion de famille.

Guillaume Lefrançois

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Germain, descripteur à la radio des matchs
de l’Océanic de Rimouski

En janvier 2018, La Presse nous dépêche à Rimouski pour un reportage sur Alexis Lafrenière. Là-bas, on nous présente Michel Germain, le descripteur des matchs de l’Océanic. Au fil de la conversation, il évoque la mort de sa mère, de sa femme et de sa fille dans le même accident de la route survenu 19 ans plus tôt. Évidemment, 30 minutes avant un match, ce n’est pas le temps de se lancer dans une entrevue en profondeur. On garde donc le sujet en tête, et un an plus tard, on organise un tête-à-tête avec lui à Drummondville, un dimanche matin à son hôtel. Pendant deux heures, Germain racontera la vie des trois femmes, l’accident, le temps des Fêtes sans elles, les rendez-vous chez la psy, bref, toutes les étapes du deuil. Des larmes ont été versées pendant l’entrevue, mais pas une seule ne venait de Michel Germain.

Simon-Olivier Lorange

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La nageuse Katerine Savard

C’est dans un passé tout récent qu’un moment m’a particulièrement brisé le cœur. Le 22 mars dernier, alors que le Comité olympique canadien a annoncé qu’il se retirait des Jeux de Tokyo – les JO n’étaient pas encore reportés à ce moment –, on m’a chargé de joindre des athlètes touchés par la situation. Pas génial un dimanche soir passé 23 h. La seule personne qui m’a rappelé, c’est la nageuse Katerine Savard. « Ça fait vraiment beaucoup de peine », a-t-elle dit d’une toute petite voix, luttant visiblement pour refouler ses sanglots. Elle tentait de relativiser la situation en invoquant l’ampleur planétaire de la crise ou sa chance d’avoir déjà vécu les Jeux, alors que ses coéquipières se faisaient voler une première participation. N’empêche, rien n’aurait pu masquer sa peine, tellement profonde, après les efforts inimaginables investis depuis quatre ans. Je dois l’avouer, ça m’a cassé en deux. J’ai bien failli écraser une larme moi aussi.

Pascal Milano

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Patrice Bernier a quitté le terrain en larmes et sous une ovation monstre lorsqu’il a été remplacé à la 81e minute lors de son dernier match en carrière en octobre 2017.

Qu’on le veuille ou non, on ne peut pas couvrir une équipe sans nouer quelques affinités avec des joueurs. Anecdote : en 2013, après avoir été victime d’un accident de la route, je reçois un message privé sur Twitter. C’est Patrice Bernier – on habitait tous les deux dans la même ville – qui m’offre son aide en cas de besoin. Au fil des années, l’ancien capitaine a toujours été exemplaire avec les médias et d’une grande gentillesse lorsque les micros se fermaient. Aussi, son dernier match professionnel, en octobre 2017, a revêtu un caractère bien spécial, même pour les journalistes. À la 81minute, c’est en larmes que l’actuel adjoint de Thierry Henry a quitté le terrain sous une ovation monstre du stade Saputo. Même la tribune de presse n’est pas restée insensible devant cette page qui se tournait avec émotion.

Alexandre Pratt

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le joueur du Canadien Trent McCleary a été gravement blessé en janvier 2000 après avoir été atteint à la gorge par une rondelle.

C’était un match Canadien-Flyers, à Montréal. Trent McCleary s’est jeté au sol pour bloquer un tir de Chris Therien. La rondelle a frappé sa gorge. Le joueur du Tricolore est resté immobile, sur la glace, pendant une longue minute. Il a réussi à se relever et à rejoindre le banc, avant de s’affaisser dans le corridor menant au vestiaire. Son visage est devenu bleu. « La période terminée, je me suis dirigé vers la clinique et j’ai vu nos thérapeutes pleurer. J’ai su que la situation était critique », a raconté l’entraîneur-chef Alain Vigneault. Au moment de quitter l’aréna, à l’heure du souper, nous ne savions pas si McCleary allait survivre. J’avais passé la soirée devant l’Hôpital général de Montréal. Juste avant la tombée, le DVincent Lacroix avait fait une mise à jour. « Nous avons encore des inquiétudes. Les 24 prochaines heures seront déterminantes. » Les médecins lui auront finalement sauvé la vie, in extremis, grâce à une trachéotomie pratiquée sur la table d’urgence, alors que McCleary portait encore son équipement et ses patins.