Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Michel Marois

Plus de 30 ans après le scandale de dopage des Jeux de Séoul, Ben Johnson reste l’un des athlètes les plus controversés de l’histoire olympique. C’est un peu grâce à lui que je suis entré à La Presse et je n’ai pratiquement écrit que sur le dopage pendant les premiers mois de ma carrière. Ce n’est pourtant que 25 ans plus tard, en 2013, que j’ai pu faire une entrevue exclusive avec lui. Repentant, mais encore fier, il s’en est alors pris à tous ceux qui ont hypocritement fermé les yeux sur l’ampleur véritable du problème : « J’étais le coupable idéal, a-t-il alors affirmé. Je venais d’un petit pays, je n’avais pas une grosse machine derrière moi [comme son rival Carl Lewis] et personne n’avait intérêt à me défendre… » Le coupable idéal, en effet, mais il n’était pas le seul.

Mathias Brunet

J’étais à l’emploi de La Presse depuis quelques mois, en septembre 1995, lorsqu’après un entraînement du Canadien, j’ai demandé au nouveau capitaine de l’équipe, Mike Keane, s’il songeait à apprendre le français. « Je n’ai pas l’intention d’apprendre le français parce que de toute façon, tout le monde parle anglais ici », répond spontanément Keane. La citation paraît discrètement dans le bas de la page 2 de notre édition du lendemain et nulle part ailleurs. Nous sommes en pleine période référendaire et les éditorialistes s’en mêlent. Le premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, dénonce Keane à l’Assemblée nationale. Même le président de l’Assemblée nationale française, Philippe Séguin, en visite à Montréal, s’en mêle ! Le lendemain, le Canadien organise une conférence de presse, avec tous les joueurs sur place, encore en uniforme, pour défendre Keane. Deux mois plus tard, Keane passe à l’Avalanche avec Patrick Roy.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Mike Keane

Miguel Bujold

Ce n’est pas d’une citation, mais plutôt d’une réaction non verbale d’Aaron Rodgers dont je me souviens particulièrement. C’était dans les jours qui précédaient le 45Super Bowl, que les Packers ont gagné à Dallas. Rodgers venait de s’établir comme l’un des meilleurs joueurs de la NFL à cette époque et avait ainsi donné raison aux Packers de l’avoir préféré à Brett Favre, qui jouait maintenant pour les Jets. Ce n’était un secret pour personne que Rodgers et Favre ne s’aimaient pas. J’avais tout de même demandé à Rodgers si son ancien coéquipier lui avait téléphoné afin de le féliciter pour sa participation au Super Bowl. Rodgers avait hoché de la tête en signe de dénégation et m’avait regardé avec un sourire et une expression qui voulaient tout dire. Non, Favre n’allait pas passer un coup de fil à son successeur pour le féliciter et, non, Rodgers n’allait pas s’assurer d’être politiquement correct.

PHOTO JEFF HANISCH, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Aaron Rodgers

Philippe Cantin

Ce jour de décembre 2011, le DG Pierre Gauthier n’a pas été le seul à commettre une erreur. Toute l’organisation du Canadien, son président Geoff Molson compris, a oublié les racines de l’équipe et brisé le contrat implicite l’unissant à des millions de fans partout au Québec.

Oui, ce jour-là, le Canadien a nommé un entraîneur unilingue anglophone, Randy Cunneyworth, en remplacement de Jacques Martin. Je n’ai rien oublié de cette conférence de presse télévisée. Le nouveau coach n’a même pas été foutu de saluer les gens en français. J’imagine qu’on avait oublié de le lui rappeler.

Quand j’ai demandé à Gauthier – un homme vif d’esprit, aux larges connaissances, mais qui venait de manquer de sensibilité envers le public – comment une telle décision se justifiait, il a répondu d’un ton irrité : « Une langue, ça s’apprend. »

Tout l’aveuglement du Canadien était condensé dans cette courte phrase. La suite a été un désastre et une nouvelle direction hockey est arrivée aux commandes le printemps suivant.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Gauthier

Simon Drouin

Alex Harvey a toujours eu son franc-parler, surtout après les courses. Qui a oublié le « scandale » du fartage à Sotchi ? Dans un registre plus léger, il m’en avait sorti une bonne après une contre-performance au Tour de ski en Italie. Constatant sa colère, j’avais mis des gants blancs et improvisé une remarque sur la deuxième moitié d’étape, qui s’était mieux déroulée. Il m’avait interrompu net : « C’était de la grosse m… » Bon, que faire avec cette déclaration, qui avait le mérite d’être claire, dans un journal familial ? Bien sûr, il n’avait pas dit « m » pour éviter un juron. L’usage des points de suspension avait réglé la question. Ça avait quand même fait un titre bien punché. Que la mère d’Alex, qui l’accompagnait, n’a pas manqué de me rappeler chaque fois qu’elle me croisait : « De la grosse m…, hein ? »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Harvey

Richard Labbé

À l’été 2007, lors d’un entretien téléphonique estival avec Saku Koivu, celui-ci avait bien voulu me parler de la saison à venir en ces mots : « Je persiste à croire que nous avons les éléments nécessaires pour être des séries cette saison. […] Nous ne pourrons probablement pas rêver à la finale de la Coupe Stanley, mais les séries, j’y crois. » Oups. Dans tout ça, c’est le bout sur la finale que tout le monde a retenu, et l’histoire a pris de telles proportions que le pauvre Koivu a dû tenter de réparer les pots cassés ensuite au tournoi de golf, avant de s’excuser pour cette citation un brin défaitiste lors de la saison un peu plus tard. Le plus drôle, c’est que sur le coup, ce n’est pas le bout sur la Coupe que j’ai retenu ; moi, je trouvais surtout qu’il était un peu naïf de croire aux séries !

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Saku Koivu

Guillaume Lefrançois

John Tortorella était impatient en ce 19 février 2019. La date limite des transactions approchait, les rumeurs autour d’Artemi Panarin foisonnaient et voilà que Tortorella annonçait que Panarin était malade. La veille, le Russe avait pourtant joué. On demande donc à Tortorella si Panarin a joué le dernier match affaibli. Réponse : « Je ne lui ai pas demandé hier soir. Aujourd’hui, il est malade, il vomit. Vous voulez tous les détails, afin d’étouffer les rumeurs ? Il a ch** dans ses culottes [he shit his pants], il a vomi, il avait tout. » Torts était en verve ce soir-là. Quelques minutes plus tard, interrogé sur Anthony Duclair, il dira : « Je ne crois pas qu’il sait jouer. » Ayoye. Comment déterminer « l’histoire » de ce point de presse ? L’article s’intitulera finalement « Panarin malade, Duclair crucifié ».

PHOTO JEROME MIRON, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

John Tortorella

Simon-Olivier Lorange

Malgré le passage du temps, les clubs sportifs québécois et l’Académie française ne se volent toujours que très peu de membres. Et l’un des usages qui passent le plus librement de l’anglais au français, dans les rangs amateurs comme professionnels, est sans doute le terme « excité », lorsqu’employé au sens d’enthousiasmé, d’emballé. Un joueur du Canadien qui raconte être excité de revenir au jeu ne fera sourciller personne et sera certainement cité tel quel. Mais quand un entraîneur de football déclare en entrevue qu’il est « vraiment super excité de travailler avec des petits gars de 14 ans », on absorbe le choc puis on prend la peine de chercher une formulation plus opportune afin que notre source puisse continuer d’exercer son métier sans bracelet électronique à la cheville. Pour les mêmes raisons, nous tairons aujourd’hui son identité. Mentionnons évasivement que l’entrevue se déroulait dans une ville réputée être la reine de sa région administrative.

PHOTO DAVID J. PHILLIP, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Quand un entraîneur de football déclare qu’il est « vraiment super excité de travailler avec des petits gars de 14 ans », la formule peut porter à confusion.

Pascal Milano

« La pire chose que j’ai eu à traverser, c’est quand ma jumelle, Neveen, s’est fait battre par un professeur. Je ne pouvais pas réagir. »

Attablé face à moi en cet automne 2015, l’ancien joueur du défunt FC Montréal (USL) Nevello Yoseke repense à une partie de son enfance vécue dans un camp de réfugiés en Égypte.

Le regard fixe, le natif du Soudan du Sud revit les déchirures, les obstacles et les sévices physiques subis. Par exemple, il enfilait plusieurs couches de vêtements pour absorber des coups de tuyaux d’arrosage.

Impossible d’oublier le regard et le ton du jeune homme durant son témoignage. Même si cela semble secondaire, ce parcours illustre aussi la force du sport. « Autant les choses pouvaient aller mal, autant je me sentais heureux quand je jouais au soccer [en Égypte] », disait-il.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nevello Yoseke

Alexandre Pratt

L’ancien lanceur des Expos Steve Kline n’était ni Schopenhauer ni Kierkegaard. Mais il avait un don pour les formules punchées. Inoubliables. Cette perle, après un match torride à Atlanta : « Ouf ! On dirait que deux souris viennent de baiser dans un bas de laine. » Et que dire de cette boutade, lancée après que son patron, David Samson, est venu le féliciter devant les caméras de télévision : « Bon, le moustique est parti. » Ça en disait long sur ce que les joueurs pensaient de leur président.

PHOTO DARREN HAUCK, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Chris Widger félicite son coéquipier Steve Kline, après une victoire des Expos à Milwaukee, en mai 2000.