Tous les athlètes ont leur histoire de confinement, que l’on découvre au fil des jours. Les plus jeunes renouent avec leurs parents, qu’ils ont souvent quittés plus tôt que le commun des mortels. Ceux qui ont des enfants profitent de moments inespérés en famille.

Et puis il y a l’histoire d’Éric Gélinas, de son frère Karl et de Karel St-Laurent. Trois gaillards de 6 pi 4 po, des athlètes, qui ont décidé de vivre cette époque particulière à trois. Ne cherchez pas une histoire hors du commun comme certaines de celles que l’on a lues ces derniers jours : c’est simplement celle de trois jeunes qui vivent des joies et des inquiétudes comme monsieur-madame Tout-le-Monde.

« Beaucoup de gens pensaient qu’on se taperait sur les nerfs. On est trois gros bonshommes, on prend de la place ! On pourrait se piler sur les pieds. Mais ça va A1 ! », lance St-Laurent.

Les présentations, tout d’abord. Éric Gélinas, ancien défenseur des Devils du New Jersey et de l’Avalanche du Colorado dans la LNH, du Rocket de Laval dans la Ligue américaine, qui joue maintenant en Suède. C’est chez lui, dans le Vieux-Montréal, que son frère et son ami crèchent.

À 36 ans, Karl Gélinas lance encore pour les Capitales de Québec, avec qui il agit aussi comme instructeur des lanceurs. Membre de l’équipe depuis 2007, il en est l’un des visages les plus connus.

Karel St-Laurent, lui ? Une carrière professionnelle courte, mais il a ensuite joué à l’Université McGill pendant trois ans et est aujourd’hui gardien réserviste aux entraînements du Canadien. Quand Carey Price a droit à une journée de traitements, c’est lui qu’on appelle pour bloquer des tirs.

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Karl Gélinas, Karel St-Laurent et Éric Gélinas sont conscients que les athlètes dans la force de l’âge viennent bien loin dans la liste des victimes.

Ce qui les unit ? Karl Gélinas habite Québec à temps plein. En mars, au moment où la pandémie de COVID-19 éclatait en Amérique du Nord, il était en Floride avec un programme sports-études de baseball auquel il donne un coup de main. Le 14 mars, il revenait au pays et devait se placer en quarantaine volontaire. Son frère Éric revenait lui aussi le 14, ayant quitté la Suède en catastrophe.

« À Québec, j’habite avec Jonathan Malo [un coéquipier des Capitales] et sa blonde. J’aime mieux la dynamique ici, je vais leur laisser leur intimité ! », lance Karl Gélinas. Sauf qu’il ne vit pas dans le confort total. 

Je suis dans le salon, on a adapté ça. Quand les gars vont se coucher, je vire ça en chambre à coucher. Je fais du camping !

Karl Gélinas

Et St-Laurent, lui ? On le disait, l’appartement appartient à Éric Gélinas, qui passe huit mois par année à jouer au hockey. Huit mois qui coïncidaient jadis avec les sessions de St-Laurent à McGill. Il y avait une communauté d’intérêts entre ces deux anciens coéquipiers au Collège Charles-Lemoyne.

Une situation difficile

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Karel St-Laurent, Karl Gélinas et Éric Gélinas s’entraînent ensemble en plein air.

La pandémie de COVID-19 fait des dommages partout dans la société. Il y a des morts, des gens gravement malades, ceux qui vivent l’anxiété économique, ceux qui souffrent de l’isolement. Dans le grand ordre des choses, les athlètes dans la force de l’âge viennent bien loin dans la liste des victimes. Mais on parle ici de trois athlètes qui ne gagnent pas non plus des millions.

St-Laurent a perdu son emploi principal de serveur dans un restaurant du centre-ville, pandémie oblige. Et aussi ce privilège peu commun d’arrêter des rondelles de joueurs du Canadien de temps en temps !

« J’essaie de me développer en finance, donc je passe la journée à observer les marchés. Je suis plogué de 9 à 4 sur l’ordinateur », décrit-il. La camaraderie l’aide aussi à faire le deuil de son père, mort d’un cancer en janvier, quelques semaines avant l’éclosion de la pandémie.

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Karl Gélinas, Karel St-Laurent et Éric Gélinas. Karl Gélinas s’est permis d’emprunter quelques poids à son gym, si bien que les trois athlètes peuvent continuer à s’entraîner. 

Éric Gélinas avait espoir de revenir en Amérique du Nord, si une équipe de la LNH lui faisait signe ce printemps. Dans l’incertitude actuelle, c’est évidemment très tranquille.

En plus de jouer au baseball, Karl Gélinas est copropriétaire d’un gymnase à Québec. « On vit la même situation que toutes les petites entreprises. On va survivre, mais ça nous prendra un bon plan pour la reprise, note-t-il. Ce qui fait surtout peur, c’est s’il y a une deuxième vague. Ça prendra une adaptation pour la logistique. Les consommateurs, au gym comme dans tous les autres domaines, vont changer. On sera probablement une des dernières industries à rouvrir. »

Cela dit, il s’est permis d’emprunter quelques poids à son gym, si bien que les trois athlètes peuvent continuer à s’entraîner. En fin d’après-midi, une fois que St-Laurent lâche l’écran, c’est l’heure de bouger. « Comme il est entraîneur, il a un bon bagage de connaissances et nous prépare des circuits », relève St-Laurent.

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Éric Gélinas, Karl Gélinas et Karel St-Laurent vivent une expérience de vie inattendue.

Un souper presque parfait !

Il y a aussi plein de moments loufoques, le plus connu étant leur version de l’émission Un souper presque parfait, partagée par les trois athlètes sur les réseaux sociaux.

« C’est moi qui l’ai proposé, affirme Karl Gélinas. On est toujours en train de cuisiner, on s’est dit qu’on devrait faire l’émission. Les gars ont embarqué et ont vraiment pris ça au sérieux. Ça a été plus grandiose que prévu ! »

Ça a été encore plus grandiose pour Karel  St-Laurent, qui a montré que son expérience dans la restauration l’avait bien servi. Son tataki de bœuf a impressionné les frères Gélinas, on vous le confirme.

Cette colocation, c’est la définition même de faire contre mauvaise fortune bon cœur. La pandémie de COVID-19 n’est peut-être pas tragique pour tout le monde, mais tous en subissent des conséquences à différents degrés. Nos trois athlètes n’y échappent pas, mais à trois, ils vivent une expérience de vie inattendue.