Être athlète professionnel, ça vient avec des privilèges. Vos efforts sont récompensés par un gros salaire. Des repas gratuits. Des vols nolisés. Une voiture de luxe fournie par un commanditaire. Un accès aux meilleurs médecins spécialistes.

Être propriétaire d’une franchise présente aussi ses avantages. Vous devenez un leader incontournable dans votre communauté. Vous avez l’oreille des gens d’affaires. Du maire. Du premier ministre. Toujours pratique lorsqu’on a besoin d’un coup de pouce.

Cette culture du privilège, on la retrouve dans tous les stades. Enracinée profondément, sous les fondations. Certains en font bon usage. Je pense à P.K. Subban et Jonathan Drouin, ambassadeurs pour des collectes de fonds d’hôpitaux. À Jeff Petry, qui paye le souper aux travailleurs de la santé débordés par la COVID-19. Aux Molson, généreux mécènes au Québec.

Chez d’autres, par contre, les privilèges nourrissent l’arrogance. Plusieurs dirigeants d’équipes et athlètes sont déconnectés. Très loin du terrain. Ceux-là ne croient pas être nés de la cuisse de Jupiter. Ils sont Jupiter ! Les règles ? C’est pour les autres. Quelques cas depuis le début de la crise :

– Au début de mars, les patrons des Sharks de San Jose ont présenté trois parties malgré l’avis contraire des autorités sanitaires de la Californie. Les huit joueurs de la LNH atteints de la COVID-19 ont tous participé à ces matchs.

– À la mi-mars, alors que les écouvillons n’étaient utilisés que pour confirmer les cas graves, les dirigeants du Jazz de l’Utah, des Nets de Brooklyn, du Thunder d’Oklahoma City et des Celtics de Boston se sont procuré près d’une centaine de tests pour leurs employés.

– À la fin de mars, le lanceur étoile des Mets de New York Noah Syndergaard s’est fait opérer à un coude, en Floride, alors que les opérations électives dans cet État étaient reportées. Les Mets ont soutenu que l’opération était essentielle…

– Au début d’avril, des clubs de soccer de la Première ligue anglaise ont postulé pour des subventions d’aide à l’emploi, avant même de demander à leurs joueurs multimillionnaires de réduire leurs salaires.

– Dimanche, la PGA a annoncé son intention d’acheter 1 000 000 de tests – vous avez bien lu, un million – pour vérifier l’état de santé des golfeurs avant chaque tournoi cet été. Une commande passée alors que les tests sont rationnés dans presque tous les pays.

Ces comportements sont égoïstes. Dégoûtants. Honteux. Totalement contraires à l’esprit de solidarité qui anime nos communautés depuis un mois. Malheureusement, seuls sur leur orbite, ces privilégiés n’entendent plus les appels au bon sens.

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On peut reprocher bien des choses aux commissaires et propriétaires. Mais pas de planifier la suite. Les vendeurs, les restaurateurs, les fleuristes, les coiffeurs, les exploitants de salles de cinéma, les artistes, tous préparent le retour au travail. Le contraire serait irresponsable.

Par contre, on peut critiquer leur empressement. On peut aussi s’interroger sur la servilité des élus face aux clubs. Depuis deux semaines, on a l’impression que les ligues imposent leurs volontés. Ici comme ailleurs.

PHOTO JOE CAMPOREALE, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Les autorités du baseball majeur jonglent avec l’idée de disputer la saison à huis clos dans les stades de la région de Phoenix, en Arizona.

Bon exemple : au Québec, les salles de spectacle sont fermées. Les cinémas, les bars et les restaurants aussi, sur ordre du gouvernement. Mais le gouvernement permet au Canadien, à l’Impact et aux Alouettes de présenter des matchs devant moins de 250 personnes. Un privilège unique dans le secteur du divertissement.

Pourquoi ?

Parce que Québec craint d’être la seule législation en Amérique du Nord à interdire les rencontres sportives, m’explique une source gouvernementale. Ça pourrait forcer les Alouettes, par exemple, à disputer leurs matchs locaux à Ottawa. Ce que personne ne souhaite. Dans cette logique, on comprend que le gouvernement n’imposerait pas une distance de deux mètres entre les joueurs sur le terrain.

Comment justifier que deux hockeyeurs puissent se battre à mains nues au Centre Bell, alors qu’on nous interdit de recevoir nos proches pour un souper ?

Les joueurs adverses devront-ils rester confinés ici pendant 14 jours avant un match, tel qu’on l’exige aux Québécois de retour de l’étranger ?

Deux poids, deux mesures ? Pourquoi cette apparence d’un passe-droit ?

Parce qu’aucun politicien ne souhaite être le fossoyeur d’une saison. Pire, d’une équipe en difficultés financières. Et dans la crise actuelle, il y a de gros dollars en jeu. Les clubs ont besoin de l’argent des commanditaires et des télédiffuseurs pour survivre. C’est simple : pas de match, pas de cash.

D’où les privilèges. D’où, aussi, toutes ces idées du champ gauche pour la reprise des activités. Parmi les scénarios, il y a celui de disputer le reste de la saison à huis clos, dans une seule ville. Les joueurs vivraient en autarcie, cloîtrés dans des hôtels.

Un plan cynique et inhumain. Qui assurerait aux propriétaires de conserver leurs privilèges, sans avoir à se soumettre à la vie d’ascète exigée de leurs joueurs pendant deux à cinq mois.

« Les gens oublient que nous sommes des humains, fait remarquer Ryan Zimmerman, des Nationals de Washington. J’attends mon troisième enfant en juin. Si cette bulle en Arizona voit le jour en mai, êtes-vous en train de me dire que je ne pourrai pas être avec ma femme ni voir mon bébé avant octobre ? Je peux vous confirmer tout de suite que ça n’arrivera pas. »

PHOTO BRAD MILLS, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Ryan Zimmerman

Zimmerman peut se permettre de rester chez lui. Avec des revenus de 137 millions $US en carrière, ses privilèges sont assurés. Ce qui n’est pas le cas de tous les joueurs. Surtout les plus jeunes. Je doute que les propriétaires aient de la difficulté à recruter des volontaires.

Alors, comment ça fonctionnerait, cet été ?

Selon ce qui circule, les joueurs seraient testés plusieurs fois par semaine. La méthodologie n’est pas encore choisie. En Asie, des préposés prennent la température des joueurs avant chaque match. Une fausse sécurité. Les asymptomatiques ne font pas de fièvre, mais sont contagieux.

Ensuite, qu’arrivera-t-il si cinq coéquipiers sont contaminés ? Ces joueurs seront-ils tous exclus pour 14 jours ? Leur équipe perdra-t-elle la partie par forfait ? Et si ça produisait tout juste avant un match ultime des séries éliminatoires ?

Aussi, que fera-t-on avec les joueurs des équipes éliminées ? On les retournera à la maison ? On les garde en confinement, en attendant la prochaine saison, à huis clos elle aussi ? Comment va-t-on rapatrier les Européens, qui sont présentement dans leur pays natal, alors que Donald Trump vient de prolonger la fermeture des frontières « jusqu’à ce que ça aille mieux » ? Si la situation empire pendant les séries, au mois de septembre, on arrête tout de nouveau ?

Et gagner la Coupe sans spectateur, sans famille, sans ami, sans pouvoir célébrer, parader, sans même que les fans puissent se rassembler pour écouter la finale, est-ce que ça a du sens ?

Souhaitons que joueurs et propriétaires trouvent leurs réponses dans ce proverbe américain : « En période de prospérité, prudence ; dans l’adversité, patience. »