Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Pascal Milano

Quand l’entrevue doit durer 10 minutes maximum, il vaut mieux aller droit au but. À la fin de l’été 2018, ce fut une bien mauvaise idée de démarrer notre entrevue avec Georges St-Pierre en abordant la paléontologie. Pendant de longues minutes, l’ancien combattant a abordé sa passion pour les dinosaures, ainsi que son émission The Boneyard with Georges St-Pierre. Durant tout ce temps, je me voyais appeler mon chef des sports pour lui dire que j’allais écrire sur les tricératops plutôt que sur la rumeur d’un combat avec Khabib Nurmagomedov. Les autres réponses empreintes de sincérité ont sauvé cette affectation, mais la leçon a été retenue. Lors de l’entrevue suivante avec GSP, j’ai laissé la paléontologie de côté.

Mathias Brunet

En janvier 1995, Mike Lupica figurait parmi les commentateurs sportifs les plus connus à New York, et aux États-Unis. Son visage en gros plan tapissait Manhattan sur des affiches publicitaires géantes. Son ego était sans doute aussi gros que ces affiches. Je couvrais mon premier match du Canadien en carrière pour La Presse, au Madison Square Garden, et je me sentais comme un chien dans un jeu de quilles. J’étais évidemment stressé comme jamais auparavant dans ma vie. Je cherchais à me procurer les notes de presse quand j’ai aperçu cet homme en complet-cravate qui semblait connaître tous les journalistes dans la salle de presse.

PHOTO DARIEN LIBRARY VIA FLICKR

Mike Lupica

« Pardon, osais-je, seriez-vous le relationniste des Rangers ? »

Sans le savoir, je m’adressais à Mike Lupica. Il est devenu rouge de rage.

« Quoi ??? Est-ce que j’ai l’air du relationniste des Rangers ??? »

Il a vite tourné les talons en proférant quelques jurons bien sentis…

Miguel Bujold

C’était le 18 octobre 2009. La défense des Alouettes connaissait l’une des meilleures saisons de l’histoire du club, mais avait donné 37 points aux Tiger-Cats ce jour-là. Le vestiaire de l’équipe au stade Percival-Molson est exigu et les joueurs défensifs sont dans le fond. Disons que ce n’est pas particulièrement agréable d’aller leur poser des questions après une défaite…

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Diamond Ferri

Mais les Als avaient gagné 40-37. « Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui ? », avais-je tout bonnement lancé à Diamond Ferri. Question plus anodine que malicieuse, mais le secondeur ne l’avait pas aimée du tout. Reconnu pour son imprévisibilité et son impulsivité, Ferri s’était avancé à deux centimètres de mon visage et avait commencé à m’engueuler jusqu’à ce que quelques-uns de ses coéquipiers interviennent. Quelques semaines plus tard, j’avais demandé à Ferri s’il m’en voulait toujours. « Pourquoi ? », m’avait-il répondu, l’air étonné. Il ne se souvenait plus du tout de l’épisode dans le vestiaire.

Simon Drouin

« Ah ! Je pensais que personne n’allait me le demander aujourd’hui… » Ce n’est pas moi, mais plutôt Audrey Robichaud qui aurait aimé que je ne lui pose pas cette question à l’issue des qualifications de l’épreuve des bosses aux Jeux olympiques de Sotchi, par une soirée humide de février 2014.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Audrey Robichaud

Contexte : j’avais reçu le mandat de faire un long papier sur les sœurs Dufour-Lapointe en prévision de la finale. Le hic : aucune des trois n’avait accepté de répondre aux questions des journalistes, de crainte que l’on ne crève leur proverbiale « bulle ». C’est donc Robichaud, fatiguée de devoir répondre au sujet de ses déjà célèbres coéquipières, qui avait écopé. Elle m’avait (gentiment) remballé : « Ce n’est pas énervant, mais revenez-en ! » Je n’avais donc rien eu pour mon article… tandis que la réponse de Robichaud avait servi de manchette pour mes collègues.

Richard Labbé

Comme le chantait Tom Cochrane avec finesse : il n’y a pas de regrets. Mais puisqu’il le faut, remontons un peu en arrière, jusqu’à 2000, si vous le voulez bien. Cette année-là, la grande finale opposait les Stars aux Devils. Je ne sais plus où nous étions (à Dallas ou au New Jersey, forcément), mais l’un des matchs s’est conclu par une victoire des Stars, sur un gros but de Brett Hull. Hull, un franc tireur notoire, avait réussi à déjouer Martin Brodeur d’un angle difficile, pour ne pas dire impossible, et c’est ce que font les marqueurs de cette trempe : ils peuvent marquer de n’importe où. Mais sur le coup, ce n’est pas ce que j’ai vu et, après le match, parmi la foule médiatique massée autour de Brodeur dans le garage, j’ai osé cette fabuleuse question : « Martin, dirais-tu que tu viens d’accorder un but vraiment mauvais ? »

PHOTO BILL KOSTROUN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Martin Brodeur, lors d’une conférence de presse pendant la finale de la Coupe Stanley, en 2000

Un lourd silence a suivi. Brodeur a marmonné une réponse avant de tourner les talons et de dire à son assistant : « Il va falloir commencer à filtrer quelques-unes de ces questions… », pendant que dans la mêlée de presse, tout le monde cherchait du regard l’idiot qui venait de mettre fin à l’entrevue. Heureusement que Twitter n’existait pas.

Guillaume Lefrançois

L’auteur de ces lignes a commencé à couvrir le Canadien en novembre 2011. On apprenait alors les rudiments du « beat » du CH un peu sur le tas. Nos questions, on les posait à la fin, après que tout le monde avait posé les siennes. Idem lors des points de presse de Jacques Martin. Un peu par respect pour la hiérarchie, un peu aussi pour se donner le temps d’observer la dynamique et de connaître assez bien les dossiers pour tenter une question. Un matin à Brossard, on se risque.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’entraîneur du Canadien, Jacques Martin, en 2011

Brian Gionta n’est pas des exercices de l’avantage numérique, lui qui fait alors encore partie du noyau offensif du Tricolore. Le capitaine est plutôt employé en désavantage numérique. Alors, Jacques Martin, qu’est-ce que Gionta a bien pu faire pour mériter une telle rétrogradation ? Réponse : « C’est parce que c’était un exercice de désavantage numérique. » Au match suivant, Gionta joue bel et bien en avantage numérique. On prend des notes pour la prochaine fois…

Simon-Olivier Lorange

Après le tout dernier match qu’a disputé le Canadien, le mois dernier, j’ai banalement demandé à Brendan Gallagher ce que s’étaient dit les joueurs avant d’amorcer une courte remontée en troisième période. Or il faut savoir que, COVID-19 oblige, les entrevues d’après-match ne se faisaient déjà plus dans le vestiaire sur une base individuelle, mais sous la forme d’un point de presse. Et que Chantal Machabée, de RDS, avait posé exactement la même question, mot pour mot, trois minutes auparavant, ce qui m’avait échappé – premier mea culpa.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Brendan Gallagher

Gallagher, sourire en coin, m’a donc souligné qu’il avait déjà répondu… que les joueurs ne s’étaient rien dit. « Mais je peux te le répéter, si tu veux », a-t-il ajouté. Le visage cramoisi, j’ai signifié que ce n’était pas nécessaire puis – deuxième mea culpa – j’ai étouffé un juron. Enfin, je croyais l’avoir étouffé. Car Martin McGuire, du 98,5 FM, m’a fait remarquer que la manifestation de mon mécontentement avait été entendue sur toutes les antennes du réseau Cogeco. Une belle leçon d’écoute, en somme.

Alexandre Pratt

Lorsque l’homme d’affaires américain George Gillett a acheté le Canadien, en 2001, il a affirmé regarder régulièrement les matchs de l’équipe chez lui, au Colorado, grâce à la télévision satellite. Vraiment ? J’ai voulu vérifier. En conférence de presse, je lui ai demandé : « Monsieur Gillett, pouvez-vous nous nommer cinq joueurs de l’édition actuelle du Canadien ? »

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

L’homme d’affaires américain George Gillett a acheté le Canadien, en 2001.

Silence.

Tous mes collègues ont baissé la tête. M. Gillett, lui, m’a fixé pendant de longues secondes. Son regard ? Genre Joe Exotic pensant à Carole Baskin, dans Tiger King.

Pas ma meilleure, mettons…