Si je suis devenu journaliste sportif, c’est en grande partie sous l’impulsion de mon grand-père maternel. Il m’a offert mon premier mini-bâton. Un petit bâton blanc autographié par Mario Tremblay, qu’il chérissait, mais qu’il acceptait de voir se détruire à petit feu simplement parce qu’il aimait mieux qu’il soit entre mes (petites) mains.

Il m’a amené au Forum pour la première fois de ma vie, le 23 janvier 1991. Le souvenir est limpide encore. J’imagine qu’il m’avait acheté une piscine de Pepsi. Il était le seul qui avait le droit de me nourrir uniquement au Pepsi. Le Canadien avait accordé le premier but. Bob Rouse avait déjoué Patrick Roy tôt en première période. Je ne savais pas comment réagir. Il m’a simplement dit de crier « chou » le plus fort possible. Sage conseil. Le Canadien avait gagné le match 7-3, ça aussi, je m’en souviens.

Je me souviens aussi que mon grand-père m’amenait voir la Tournée de balle-molle du Canadien. C’est la seule fois de ma vie où j’ai vu Maurice Richard en vrai. Je me souviens même de la conversation.

Ma mère : « Lui, c’est Maurice Richard. Il est né le même jour que toi. »

Maurice Richard, homme de peu de mots : « Ah oui ? Tu es né quel jour ? »

Moi : « Le 4 août, M. Richard. »

Maurice Richard, en toujours aussi peu de mots : « Ben oui, c’est le même jour. »

La conversation n’avait évidemment rien d’exceptionnel. Mais je me souviens surtout de mon grand-père, qui devait à ce moment croiser l’idole de sa vie pour la première fois, et qui avait éclaté en sanglots. L’image frappe quand ton esprit de gamin croit ton grand-père sans faiblesse. Pauvre M. Richard, ça devait lui arriver souvent en plus…

Tout ça pour revenir à « La vie sans sport ». Mon grand-père est mort il y a presque 20 ans. Il n’a jamais su que j’avais choisi ce métier. Ou peut-être le sait-il, on ne sait pas, au fond. Dans tous les cas, pendant cette quarantaine, j’ai replongé dans les souvenirs de sport qu’il m’avait laissés à son décès. Par lassitude, d’abord. Le genre de souvenirs sagement rangés dans une bibliothèque et auxquels on ne touche jamais, de peur de les abîmer.

J’y ai trouvé quelques vieux livres défraîchis qui racontent un hockey que je n’ai pas connu. J’y ai trouvé l’édition commémorative publiée par ce qui était à l’époque Publicor sur la mort de Maurice Richard, en 2000. « 84 pages, plus de 100 photos, la plus grande légende du hockey au Québec », annonce avec fracas la page frontispice.

Juste à côté, un petit livret, signé Charles Mayer présente. Charles Mayer, né en 1901 et mort en 1971, a été éditeur sportif puis conseiller municipal à la Ville de Montréal. Il avait fait de la participation sportive chez les francophones son cheval de bataille. On lui doit La ligue du vieux poêle et la popularité des fameuses « trois étoiles ». C’est lui, notamment, qui avait décerné fabuleusement les trois étoiles à Maurice Richard après une soirée de cinq buts.

PHOTO JEAN-FRANÇOIS TREMBLAY, LA PRESSE

Le livre L’épopée des Canadiens, publié en 1949

Le livre, appelé L’épopée des Canadiens, retrace les 40 premières années de l’histoire du club. Il est daté de 1949. L’ouvrir fascine et fait plonger dans un Montréal disparu. De vieilles réclames, le restaurant Café Martin Limited sur de la Montagne, le Drury’s sur Osborne (qui appartenait à Leo Dandurand, qui avait possédé le Canadien et les Alouettes, rien de moins). On y promettait « l’air climatisé ».

La préface du projet est signée Leo Dandurand, d’ailleurs. On y voit sur la première page les portraits de Georges Vézina et de Maurice Richard, deux joueurs si emblématiques de leur génération qu’ils sont devenus des trophées, littéralement. Le livre commence avec l’histoire de Vézina, sa mort de la tuberculose, la rumeur de ses 22 enfants, dont celui appelé Stanley car né un soir de conquête sur la glace.

Le recueil vieux de 70 ans craque. On tourne les pages avec délicatesse. On revit une époque. Un paragraphe est consacré au choix du nom, le « Canadien ». On lui prête une première occurence le 6 décembre 1909 dans les pages de La Presse.

Titre : Un nouveau club Canadien

Sous-titre : Jack Laviolette a été chargé de former une équipe qui fera partie de l’Association nationale de hockey. Les deux ligues professionnelles se feront la guerre. Le National et le Shamrock restent fidèles à l’Association canadienne de hockey.

Le début de la nouvelle : L’admission dans l’Association nationale de hockey d’un club canadien-français, ayant Jack Laviolette comme gérant, est le dernier développement dans la situation du hockey. Le nouveau club portera le nom de CANADIEN et sera le rival du National.

La garantie était de 1000 $ pour fonder le club, avec 5000 $ pour assurer le salaire des joueurs. Un autre monde.

Plus loin, une aspérité dans le livre. Une grande page de journal repliée plusieurs fois sur elle-même. On la déplie, soigneusement.

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Une page du journal La Patrie du 16 novembre 1952

L’en-tête : Dimanche, 16 novembre 1952. La Patrie. « Maurice brise le record ».

Sur la page : le détail des 325 buts du Rocket : date, contre quel gardien.

Le 8 novembre 1952, 10 ans jour pour jour après son premier but dans la ligue, Maurice Richard avait inscrit son 325e but pour battre le record en carrière de Nels Stewart. Mon grand-père avait caché la relique toutes ces années, avant qu’elle ne se dévoile au hasard d’une quarantaine.

J’ai repensé à mon grand-père, assis sur le sol, entouré de ses souvenirs. Je lui dois la passion qui a aiguillé ma vie. Le sport, ce sont aussi ces souvenirs qu’ils font jaillir. Je souris. Je m’ennuie. Prenez soin de vos grands-parents.