Au moment où l’Agence mondiale antidopage scellait le sort de la Russie dans un hôtel de Lausanne, la canoéiste Laurence Vincent-Lapointe défendait sa réputation et jouait son avenir sportif dans la même ville.

L’athlète de Trois-Rivières a participé à une audience de trois heures devant le comité de contrôle de dopage de la Fédération internationale de canoë (FIC), lundi après-midi.

Accompagnée de son avocat, la multiple championne mondiale de 27 ans a tenté de démontrer comment du ligandrol, une substance proscrite par le Code mondial antidopage, s’est retrouvé dans son urine lors d’un test hors compétition mené à Montréal le 29 juillet.

Depuis l’annonce de sa suspension provisoire, à la mi-août, Vincent-Lapointe clame son innocence et nie toute intention d’avoir voulu tricher. Elle s’expose à une interdiction de compétition d’une durée de quatre ans.

Selon ses représentants, une « infime trace de ligandrol » a été découverte dans l’échantillon analysé au laboratoire antidopage de l’INRS-Institut Armand-Frappier, à Laval. Substance exogène, le ligandrol (LGD-4033) n’exige cependant pas de seuil minimal pour entraîner un « résultat d’analyse anormal », selon le jargon de l’Agence mondiale antidopage (AMA).

L’examen d’un deuxième échantillon a confirmé la présence de ce produit considéré comme un agent anabolisant (voir encadré).

L’audience de lundi à Lausanne avait pour but de déterminer le niveau de culpabilité de Vincent-Lapointe, qui représentait l’un des plus beaux espoirs de médaille d’or pour le Canada aux Jeux olympiques de Tokyo l’été prochain. Son défi était d’expliquer comment le ligandrol s’est retrouvé dans son organisme, démontrer que cette présence était involontaire et convaincre qu’elle n’avait pas commis de faute ou agi de façon négligente.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Laurence Vincent-Lapointe

Au lendemain de l’annonce du contrôle positif, ses représentants avaient soulevé la possibilité que des suppléments contaminés en soient à l’origine. La canoéiste avait souligné qu’elle ne s’approvisionnait qu’à son centre national d’entraînement à Halifax, sous la supervision d’une nutritionniste.

Cette piste avait incité le Réseau des instituts de sport olympique et paralympique du Canada, par mesure de prudence, à faire tester des lots de produits consommés par Vincent-Lapointe. Ces analyses se sont révélées négatives, a révélé le chroniqueur Alexandre Pratt dans La Presse du 26 septembre.

L’équipe de Vincent-Lapointe a fait inspecter ses suppléments dans un autre laboratoire, certifié par l’AMA, mais son avocat, MAdam Klevinas, n’a pas voulu en dévoiler les résultats avant de les présenter au comité antidopage de la FIC. Cet ancien kayakiste a travaillé plusieurs années dans l’équipe juridique de l’AMA.

Prise de position

À Lausanne, Vincent-Lapointe et Me Klevinas étaient accompagnés du chef de la direction de Canoë Kayak Canada (CKC), Casey Wade, qui agissait à titre d’observateur durant l’audience. Avant de prendre la tête de la fédération, ce dernier a travaillé pendant plus de 20 ans dans le domaine de l’antidopage, occupant des postes de direction au Centre canadien pour l’éthique dans le sport et à l’AMA.

« Dès le début, CKC a soutenu Laurence et a cru en elle. Ça n’a pas changé depuis le début de ce processus », a indiqué la fédération par l’entremise d’une porte-parole, lundi.

Cette prise de position surprend et met mal à l’aise la directrice du laboratoire antidopage de l’INRS-Institut Armand-Frappier, Christiane Ayotte. « Ça se fait en Russie, mais ça ne se fait pas au Canada, a-t-elle asséné lundi. En tout cas, on a rarement vu ça au Canada, sauf dans les années 80 ! »

En tant qu’instance chargée d’appliquer une éventuelle sanction, une fédération nationale de sport doit garder « une objectivité », souligne Mme Ayotte, qui a personnellement vérifié le test incriminant de Vincent-Lapointe.

Même si l’athlète est innocente, même si ce n’est pas de sa faute ce qui se passe là, même si c’est une championne ou la 110e au monde, c’est la même chose. En vertu du Code de l’AMA, une fédération ne peut pas prendre fait et cause pour un athlète.

Christiane Ayotte, directrice du laboratoire antidopage de l’INRS-Institut Armand-Frappier

Dans le contexte de la suspension de la Russie, l’appui de CKC à Vincent-Lapointe, même s’il repose sur la bonne foi des gens impliqués, risque de nuire à la cause de l’antidopage, soutient la directrice du laboratoire de l’INRS.

« Qu’en penseront les autres athlètes au Canada et ailleurs dans le monde ? Particulièrement quand on touille l’histoire russe, on alimente encore leur cynisme ou leur propagande. »

La FIC n’a voulu transmettre aucun détail sur l’audience tenue à huis clos lundi. « On pourrait émettre un communiqué plus tard cette semaine », a indiqué son porte-parole.

Vincent-Lapointe et MKlevinas ont également réservé leurs commentaires d’ici à ce que la décision de la FIC soit rendue publique « dans les 30 prochains jours ».

Selon le résultat — suspension complète, réduite ou réprimande sans suspension —, tant la canoéiste que l’AMA pourraient porter le jugement en appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), l’instance suprême dans le domaine des litiges sportifs internationaux.

Jeux olympiques

Faisant elle aussi l’objet d’un contrôle positif au ligandrol qu’elle ne s’explique pas, la nageuse australienne Shayna Jack a annoncé au début du mois qu’elle contestera sa suspension devant le TAS. Selon les médias australiens, son audience n’aurait lieu qu’au milieu de 2020, ce qui la contraindrait à rater les sélections pour les Jeux de Tokyo, même si elle est blanchie.

Exclue des Championnats du monde de Szeged, en Hongrie, Vincent-Lapointe n’a donc pu elle-même qualifier une embarcation canadienne en C-1 et C-2 pour Tokyo 2020, où le canoë féminin fera ses débuts, ni se placer en position favorable par rapport à ses compatriotes.

Cinquième en C-1 200 m, l’Ontarienne Katie Vincent a cependant pu procurer une place au Canada. En l’absence de la Québécoise, avec qui elle avait gagné l’or en 2018, elle n’a pas pris part à l’épreuve de C-2 500 m.

Les essais canadiens pour l’équipe olympique auront lieu du 16 au 19 avril au lac Lanier, en Géorgie. Dernière occasion de qualification olympique continentale, les Championnats panaméricains se déroulent le mois suivant au Brésil. La Coupe du monde de Duisbourg (du 21 au 24 mai) servira de compétition ultime pour sélectionner un bateau pour Tokyo. CKC a aussi ses propres règles internes.

Pour l’heure, Vincent-Lapointe, titrée 12 fois aux Mondiaux, ne sait pas si elle pourra prendre part à ces trois événements. Jusqu’à la levée de sa suspension, elle ne peut non plus participer à aucune activité de l’équipe nationale.

« Pourquoi aurais-je voulu tout risquer à un an des Jeux olympiques ? avait-elle plaidé en conférence de presse le 20 août. Je sais que je peux être la meilleure sans aide artificielle. J’ai toujours considéré les dopés comme des tricheurs. Ces gens-là ne méritent pas de gagner dans le déshonneur. Mais voilà qu’un test me place dans une situation que je ne comprends pas. Je ne sais pas comment je suis arrivée là. J’aimerais me réveiller de ce mauvais rêve. »

Tandis que plusieurs des meilleurs athlètes se réunissent à Toronto ces jours-ci pour un « laboratoire » organisé par le Comité olympique canadien, Laurence Vincent-Lapointe doit attendre que son sort se décide derrière des portes closes.

Qu’est-ce que le ligandrol ?
Le ligandrol a été développé à l’origine comme médicament pour traiter la dégénérescence musculaire ou osseuse associée à la vieillesse. Jamais approuvé pour un usage sur les humains par une instance réglementaire comme Santé Canada, il a des propriétés similaires à un stéroïde anabolisant (augmentation de la masse musculaire maigre), sans en avoir plusieurs des effets secondaires. Popularisé dans le milieu du culturisme et ajouté illégalement dans des suppléments, le ligandrol a été inscrit à la liste des interdictions de l’Agence mondiale antidopage en 2018.