Au cours de différentes compétitions, il arrive parfois à Rose-Marie Jarry de croiser d’anciens partenaires d’athlétisme devenus entraîneurs. « Oh, mon Dieu ! Tu es encore là ? », lui demandent-ils. Âgée de 36 ans, la chef pâtissière et fondatrice des produits Kronobar a effectué un retour sur les pistes pour une bonne raison. Elle espère devenir championne du monde chez les maîtres l’an prochain à Toronto (du 10 juillet au 1er août).

Son « Défi 2020 » n’est que le prolongement d’une longue histoire en athlétisme et en course. Triple médaillée d’or aux Jeux du Québec sur 800 mètres, elle a aussi remporté le titre de championne du monde des courses Spartan en 2012 et 2013. À la mi-trentaine et avec la stabilisation de son entreprise grâce à l’arrivée de nouveaux partenaires, elle se sentait prête pour une nouvelle aventure. Une discussion, a priori anodine, avec l’ancien olympien Pierre Léveillé a amorcé la réflexion.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Triple médaillée d’or aux Jeux du Québec, Rose-Marie Jarry a aussi remporté le titre de championne du monde des courses Spartan en 2012 et 2013.

« Il me parlait d’un sprinter canadien d’une quarantaine d’années qui voulait battre un nouveau record. J’ai réalisé que les maîtres, ça commençait à 35 ans et je me suis dit : “Pourquoi pas ? Moi aussi, je voudrais m’entraîner pour ça.” Idéalement, j’aimerais finir première. La première ou deuxième place, c’est faisable. »

Pour y parvenir, elle s’entraîne six fois par semaine avec des joggings en solitaire, de la musculation et, bien évidemment, trois séances au stade. Sur la piste Ben-Leduc, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, elle détonne légèrement au milieu de coureurs bien plus jeunes.

« Ils ne réalisaient pas que j’avais 10 ou 15 ans de plus qu’eux, raconte-t-elle. Au début, ils pensaient que j’étais à l’université. Ils me considèrent comme une collègue d’entraînement comme une autre, mais ils trouvent mon défi vraiment cool. »

Se remettre dans le bain

Il ne lui a pas fallu bien longtemps pour se remettre dans le bain. Comme dans le temps, il lui arrive encore de se demander pourquoi elle fait ça. « L’effort est violent et intense, mais j’ai toujours été habituée à mettre beaucoup de temps dans un entraînement. C’est un style de vie que je connais. »

La tentation est également grande de se comparer à la Rose-Marie Jarry d’avant. C’est celle qui, en l’an 2000, passait sous la barre des 60 secondes au 400 mètres. Ou encore celle qui, sept plus tard, réalisait son meilleur temps sur 800 mètres, sa distance de prédilection : 2 minutes, 9 secondes et 2 centièmes. Aujourd’hui, l’enchaînement de deux entraînements intenses est moins facile, même si « elle ne se sent pas vieille », martèle-t-elle. Elle donne un autre exemple qu’elle vit lors des séances à l’allure de compétitions ou lors des courses.

Le plus dur, c’est l’orgueil quand je me mets trop à penser à ce que je faisais avant et ce que je fais maintenant. Avant, je pouvais passer en 62-63 secondes au 400 mètres et continuer de façon correcte le deuxième tour. Là, je passe en 66-67 secondes, et l’effort est plus gros pour le second tour.

Rose-Marie Jarry

« J’aimerais revenir au niveau que j’étais, mais je sais qu’il faut se donner quelques années d’entraînement. Par contre, je n’ai pas toutes ces années devant moi. »

Cet été, sa saison extérieure sur piste a été raccourcie en raison de blessures ou d’événements marketing liés à son entreprise. Elle a réalisé son meilleur temps lors des Championnats canadiens des maîtres en 2 minutes 18 secondes et 79 centièmes. Pour une médaille d’or, à Toronto, il lui faudra descendre autour de 2 minutes et 11 secondes.

« Avec les temps faits à l’entraînement, je valais 2 minutes 16 secondes. Je n’ai juste pas eu l’occasion de le réussir cette année […] Mon coach et moi sommes optimistes. J’aimerais ça courir autour de 2 minutes 12 secondes ou 2 minutes 13 secondes. »

Pour gagner en endurance lors des deuxièmes tours de piste, elle mise beaucoup sur la saison de cross-country débutée à la fin de l’été. Elle compte aussi sur la saison intérieure. « J’ai hâte de voir ce que ça va donner avec une année complète », indique celle qui pourrait aussi s’aligner sur 400 mètres à Toronto.

Les blessures

Rose-Marie Jarry a lancé son « Défi 2020 » en août 2018, mais les premiers mois ont pris des allures de faux départ. Une expansion palatine par chirurgie, puis une déchirure au tendon d’Achille – qu’elle traînait depuis quelque temps – ont perturbé sa saison estivale.

« Ça a pris 10 mois à guérir. Au début, je continuais à courir parce que je ne savais pas que c’était déchiré. J’arrêtais et je recommençais sans cesse. À la fin de la saison, j’ai eu une échographie et là, on m’a dit que c’était déchiré et que je ne devais plus courir. Ce n’est qu’en décembre 2018 que l’on m’a donné le feu vert. »

Cet épisode s’intègre dans une longue série de pépins qui ont jalonné son parcours sportif depuis 2005. À cause de blessures assez graves, elle pouvait passer jusqu’à six mois par année sans courir.

« À un moment donné, je me suis tannée. Ça n’allait pas bien et, un jour à l’entraînement, je n’ai fait que la moitié de la séance. Je me suis arrêtée là. Je n’ai pas fait grand-chose pendant six mois, même si je me gardais un peu active. »

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Rose-Marie Jarry à l’entraînement

Petit à petit, elle s’est tournée vers les courses à obstacles, domaine dans lequel elle a remporté une vingtaine d’épreuves et obtenu une quarantaine de podiums entre 2010 et 2013. Une grave tendinite à un genou l’a contrainte à prendre un long repos. À son retour, en 2015, le ressort s’était brisé.

« Ça me parlait moins. J’avais fait mon temps et j’avais participé à 80 courses environ en trois ans et demi. En Spartan, les courses sont en montagne, ça monte, ça descend et tu n’as pas de vraie course. Je m’ennuyais de la vitesse. »

La revoilà, donc, à ses premières amours qu’elle ne délaissera pas après les Championnats du monde de Toronto. Les Mondiaux intérieurs des maîtres auront lieu à Edmonton en mars 2021.

« C’est quelques mois après et je vais être sur une belle lancée. Après, on verra, mais c’est sûr que je n’arrêterai jamais vraiment de courir. »