Les agressions sexuelles subies par les athlètes dans le cadre de leur sport ont trop souvent fait les manchettes ces dernières années. Si l’ampleur du problème est de plus en plus documentée au pays, les cas de harcèlement, d’intimidation et d’abus de toutes sortes constituent un fléau très répandu et ils laissent de profondes séquelles chez les victimes.

Guylaine Dumont peut en témoigner. Dans les années 1990, alors qu’elle était au sommet de sa carrière, Dumont avait du mal à trouver du plaisir en pratiquant son sport: le volleyball. Après avoir enduré pendant des années le harcèlement d’un entraîneur abusif, la volleyeuse a mis du temps à s’en remettre.

À trois reprises, elle a croisé sur son parcours cet entraîneur qui humiliait verbalement ses joueuses, les rabaissant constamment. Et chaque fois, elle en était atterrée.

«À l’époque, je ne savais pas que ça n’avait pas de bon sens, que c’était de l’abus», raconte Dumont en entrevue à La Presse canadienne.

À la suite de cette pénible expérience, Dumont a décidé d’abandonner une première fois le volleyball.

«Je n’avais plus d’estime de moi, du moins, elle était très basse», confie-t-elle.

Le même manège s’est répété quelques années plus tard alors que ledit entraîneur s’est retrouvé à la tête de l’équipe nationale senior. Guylaine a de nouveau déserté l’équipe quelques mois après son arrivée en 1991, parce qu’elle était blessée physiquement, mais surtout émotionnellement.

À la suite d’un brillant passage de quatre ans chez les professionnels en Italie, où elle a eu la chance de se bâtir une confiance à toute épreuve, le rêve olympique lui a tendu la main en 1995, tout juste avant les Jeux d’Atlanta.

Même si elle avait évoqué ses craintes avant de tenter de nouveau sa chance avec l’équipe canadienne et que son entraîneur, le même qui l’avait déjà brimée, lui avait juré avoir changé, les mauvais comportements n’ont pas tardé à ressurgir.

«À ce moment, j’étais consciente de l’effet sur moi, raconte-t-elle. Je perdais tous mes moyens, j’étais triste. Les trois fois où il a été mon entraîneur, j’ai cessé d’avoir du plaisir.»

Après cette nouvelle déception, Guylaine a tout de même poursuivi sa carrière professionnelle, mais la passion n’y était plus. Elle a choisi de tourner la page en 1998, à l’aube des qualifications pour les Olympiques de 2000.

Problème répandu

L’expérience de Guylaine Dumont n’est pas unique. Aujourd’hui encore, les histoires semblables sont légion.

Une étude menée par AthlètesCAN en collaboration avec l’Université de Toronto, portant sur la prévalence des diverses formes de mauvais traitements, a démontré que la violence psychologique est beaucoup plus répandue qu’on pourrait le croire.

L’intimidation, les abus verbaux et l’humiliation font ainsi partie de la réalité de plus d’un millier d’athlètes âgés d’au moins 16 ans qui ont participé à l’étude le printemps dernier.

Pour Sylvie Parent, chercheuse spécialisée dans la violence et les abus sexuels envers les jeunes en contexte sportif à l’Université Laval, ces résultats ne sont pas étonnants.

«D’autres études démontrent que la violence psychologique, c’est ce qui est le plus préoccupant et d’assez loin», soutient-elle.

Près d’un cinquième des 764 athlètes sondés, qui sont actuellement membres actifs d’une équipe nationale, disent avoir été victime de violence psychologique, alors que chez les 237 athlètes à la retraite interrogés, la proportion des victimes se rapproche du quart.

«Il y a réellement une normalisation de ces comportements parce que souvent c’est qu’on pense que ça va aider les athlètes à performer, constate la chercheuse, qui forme elle-même des entraîneurs à l’Université Laval. On croit motiver davantage en utilisant ces formes de violence.»

Les athlètes consultés dans l’étude d’AthlètesCAN ont eux-mêmes exprimé à la fin du questionnaire des inquiétudes quant à l’acceptation ou la normalisation de comportements néfastes et l’inaction qui en découlait.

«Mes entraîneurs ont fait preuve de violence psychologique envers les athlètes sans jamais être dénoncés, a raconté l’un d’eux de façon anonyme. Nous nous faisions sans cesse rabaisser et humilier. Nous nous faisions dire que nous serions expulsés de l’équipe et qu’un autre athlète nous remplacerait en un rien de temps. Il valait mieux se taire et travailler fort. Nous n’étions pas irremplaçables.»

«Phénomène pernicieux»

Pour Martin Gendron, professeur-chercheur à l’Université du Québec à Rimouski (Campus de Lévis), spécialisé en intimidation et violence chez les jeunes dans le monde du sport, les enjeux, qui sont de plus en plus élevés, pourraient en partie expliquer pourquoi la violence psychologique se perpétue.

«C’est un phénomène pernicieux, explique-t-il. Les athlètes veulent pratiquer leur sport, mais ils se disent qu’en posant des questions ou en remettant en cause certaines pratiques de la part de leur entraîneur, ils prennent le risque d’être remplacés à tout moment par ce dernier. C’est à travers des jeux de pouvoir comme ceux-là que la violence psychologique s’installe.»

Le chercheur de l’UQAR croit que les implications financières du sport contribuent aussi à ces excès.

«Plusieurs athlètes de pointe aujourd’hui ont des commanditaires devenus indispensables pour pouvoir atteindre leur objectif. Ils ont beaucoup à gagner en ce sens, mais ils ont aussi beaucoup à perdre d’une situation de dénonciation de violence psychologique ou d’abus.»

M. Gendron a aussi constaté que dans des cas d’allégations, les fédérations craignent souvent de perdre un entraîneur qualifié, mais aussi le soutien financier si jamais leur dossier venait à être entaché. Elles se retrouvent alors en mauvaise posture et qui plus est, si la loi du silence s’installe, elles deviennent complices des entraîneurs fautifs.

Le silence est d’or

Non seulement les histoires comme celles de Guylaine Dumont ne sont pas uniques, elles sont aussi taboues.

Plusieurs athlètes approchés par La Presse canadienne afin de témoigner dans le cadre de ce reportage ont décliné l’offre. Ils ont pourtant fait eux aussi les frais de cette culture de l’intimidation.

Parmi les témoignages recueillis par l’étude d’AthlètesCAN, plusieurs athlètes ont critiqué les structures des fédérations sportives et leur mode de fonctionnement qui permet non seulement à la violence de se perpétuer, mais aussi à la culture du silence de s’installer.

«Sachant qu’on peut être remplacé et que sa carrière est en jeu, on est sans cesse forcé d’ignorer les enjeux ou les mauvais traitements par peur, a confié un autre athlète. J’ai été témoin de chantage, d’intimidation, et j’ai été la cible de violences verbale et psychologique. On nous rabaisse si l’on pose des questions.»

Martin Gendron et Sylvie Parent sont unanimes: si la culture du silence est possible, c’est parce que les structures ne sont pas adéquates.

«C’est extrêmement difficile pour un athlète de déposer une plainte en ce moment, souligne Parent. Il faut porter plainte à notre Fédération et c’est elle par la suite qui mène l’enquête, mais au départ, c’est elle qui embauche les entraîneurs. Il y a un gros conflit d’intérêts.»

Les deux spécialistes ont par le fait même déploré l’absence d’un organisme indépendant, ce qui permettrait aux athlètes de se confier et de déposer des plaintes en toute sécurité.

Tous ces éléments peuvent expliquer pourquoi seulement 15% des athlètes interrogés dans le cadre de l’étude ont dénoncé les abus subis.

Des cicatrices indélébiles

Bien que ces comportements abusifs ne soient souvent pas traités de façon criminelle, comme c’est le cas pour les abus sexuels, il n’en demeure pas moins nocifs pour le développement d’un athlète, croit Guylaine Dumont.

Ainsi, l’étude d’AthlètesCAN a révélé que 13% des athlètes toujours actifs et 20% des athlètes retraités ont dit avoir déjà songé au suicide.

«Dans la vie en général, la violence psychologique laisse énormément de traces sur son passage», reconnaît Sylvie Parent.

«L’estime de soi et la confiance en sont diminuées, voire détruites», renchérit Martin Gendron.

Un pas vers la guérison

Après avoir suivi une formation en relation d’aide, Dumont a enfin compris tout l’impact des abus qu’elle avait subis.

«J’ai compris que mon histoire personnelle faisait de moi une personne vulnérable devant un entraîneur abusif, admet la volleyeuse, qui a réussi à se guérir de son passé pour finalement se qualifier pour les Jeux olympiques d’Athènes, en 2004, en volleyball de plage. Dans mon esprit, j’avais mauvais caractère et il avait raison de me punir. Je me sentais coupable.»

Aujourd’hui, Dumont redonne à la communauté en aidant les athlètes par le biais de conférences et de Sport’Aide, un organisme indépendant qu’elle a mis sur pied et qui vise à offrir des services d’accompagnement, d’écoute et d’orientation aux jeunes sportifs, mais aussi aux parents, aux entraîneurs, aux organisations sportives.

«Je crois que petit à petit, on s’améliore, soutient-elle. Mais je crois que ça va prendre un moment avant de changer complètement les mentalités.»