Qu’est-ce qui fait courir, nager et pédaler les milliers de sportifs qui ont participé aux épreuves du demi-Ironman, le week-end dernier ? La Presse a rencontré certains d’entre eux pour le savoir.

On s’assoit au bout de la table, entouré de la famille Leroux-Desharnais, et on se sent comme dans un souper de Noël. On a l’impression de l’avoir toujours connue. La conversation coule facilement, tout le monde prend sa place, on rit, on se taquine. Rien de bien méchant.

Chez les Leroux-Desharnais, le sport occupe beaucoup de place. Judith Leroux, étudiante en médecine de 25 ans, participait au Ironman 70.3 hier. Tout comme son conjoint, Justin Vézina, étudiant en génie de la construction. Et tout comme son père, Richard Leroux, 60 ans, conseiller en placements.

La mère, Josée Desharnais, artiste peintre, s’est blessée il y a presque 14 mois. Une fracture de stress au pied, à la fin d’un voyage de vélo de 1000 km. Elle a porté un plâtre trois semaines, a marché avec des béquilles pendant des mois. Elle n’est pas encore rétablie.

« Elle est devenue notre cheerleader, lance Judith. Mais j’ai eu peur qu’elle fasse une dépression, sincèrement. »

D’ailleurs, après quelques mentions de sa blessure, Josée s’impatiente.

« Arrête ! », balance-t-elle à son mari.

Avec le sourire, bien sûr. Reste qu’elle aime mieux ne pas trop parler de cette passion mise de côté. C’était difficile pour elle de voir tout le monde comparer ses statistiques au souper, sans pouvoir y contribuer.

Son conjoint, Richard, a lui aussi un sujet dont il ne veut pas trop parler. Il y a de cela 20 ans, il a fait un infarctus. Ses trois enfants étaient alors tout jeunes. Ça l’a remué. Aujourd’hui, il a tourné la page. « Ils m’ont débloqué », explique-t-il tout bonnement, en prenant soin de souligner l’efficacité du système de santé québécois.

« Non, ça n’a rien changé à mon rapport au sport. C’est juste arrivé. Pendant deux ou trois ans, tu es un peu craintif, puis tu te remets à faire du sport, et c’est normal. Tu te demandes sur le coup si tu vas pouvoir faire du sport après. Finalement, ça se passe bien. Mes médecins me disent que je vais peut-être mourir d’autre chose, et donc de ne pas m’en faire. Il n’y a rien que je ne fais pas. »

Il ne voulait pas en parler ; c’est plutôt sa fille qui a abordé le sujet, tôt dans la conversation, d’ailleurs. Et qui a prononcé ces mots, qui veulent tout dire : « Je suis fière de lui. »

Au sein de tout l’amour flagrant qui unit cette famille, impossible de ne pas remarquer la complicité entre le père et sa fille.

Quand Richard se rend à l’appartement de sa fille, à Montréal (c’est là qu’elle étudie), une ou deux fois par semaine, le duo s’entraîne. Rien de trop planifié : vélo, course, natation, ça varie d’une fois à l’autre. Quand Judith a des journées libres, elle se rend à Mont-Tremblant, et ils s’entraînent encore ensemble. L’hiver, c’est le ski alpin et le ski de fond.

En fait, ils font du sport cinq ou six fois par semaine, souvent entre père et fille. Si Judith ne s’entraîne pas avec son père, elle s’entraîne avec le deuxième de « ses hommes », Justin. « Je ne pourrais pas sortir avec quelqu’un qui ne me suit pas partout. »

Le défi

Cette année, Judith a lancé un défi à son père : faire le demi-Ironman de Mont-Tremblant. Pour fêter ses 25 ans, à elle, et ses 60 ans, à lui. Parce que c’est sa dernière année avant l’externat en médecine et qu’elle n’aura plus le temps ensuite de s’entraîner autant. On sent immédiatement la petite compétition entre eux, et qui remonte à loin. C’est que leurs temps sont semblables.

Richard a suggéré à sa fille de l’attendre si elle n’était pas à l’aise dans l’eau. Elle a décliné, frondeuse : « Ne m’attends pas, parce que je vais te dépasser après. »

« J’ai commencé à faire du vélo à 15 ans avec mon père, poursuit Judith. Il était beaucoup plus fort que moi. Il y a peut-être trois ans, on part pour notre première promenade de l’année, je le suis dans la roue, il coupe le vent. Dernière côte, je le dépasse. Il me dit que, la prochaine fois, j’allais être en avant. Depuis ce temps-là, il sait que je suis capable de le pousser. À chaque côte, on se regarde en se demandant qui va arriver en premier. Mais ce n’est pas la première côte qui est importante, c’est la dernière. Avant, je faisais ma fin finaude dans la première côte. J’ai appris, j’ai eu mal, souvent. »

La famille s’est mise au triathlon en 2012, quand la course est arrivée à Mont-Tremblant. Josée a lancé le défi à ses amis ; ils étaient une douzaine la première année. Cette fois, ils sont 30, dont la moitié sont des jeunes.

« J’ai hâte au résultat, mais j’ai l’impression que les enfants vont battre les parents. »

Et… c’est ce qui s’est passé. Judith a franchi la ligne d’arrivée la première, en à peine plus de 5 h 30 min. Son père a suivi 12 minutes plus tard. Malgré la douleur qui lui crispait le visage, elle l’attendait à l’arrivée pour lui remettre sa médaille. Quelques minutes plus tard, elle sautait dans les bras de son amoureux, qui avait peiné dans la section course. Josée jouait à merveille son rôle obligé de partisane, avec la fierté d’une mère.

Judith, qu’est-ce que tu vas dire à ton père à son arrivée ?

« Je te l’avais dit. »

Richard, qu’est-ce que ta fille t’a vraiment dit ?

« Elle m’a dit : “Félicitations, papa !” Elle était fière de moi. »

En ce dimanche d’Ironman 70.3, l’élève a peut-être dépassé le maître en piste, mais la relation, elle, est restée la même. C’est comme ça chez les Leroux-Desharnais, et c’est beau.