L’annonce de la retraite surprise du patinage de vitesse de Samuel Girard, à l’âge de 22 ans, la semaine dernière, a eu l’effet d’un pavé dans la mare. Disant vouloir briser un « tabou », le champion olympique de courte piste a déploré un système sportif trop contraignant, dans lequel des athlètes comme lui finissent par étouffer.

« C’est sûr qu’il va falloir que le sport se réveille un peu. Il faut penser aux athlètes. On n’est pas seulement des machines à s’entraîner, on n’est pas seulement des robots. On a aussi une vie à l’extérieur du sport », a écrit Girard dans un texte publié sur le site internet de Radio-Canada Sports.

Originaire de Ferland-et-Boilleau, au Saguenay, Girard a souffert de l’éloignement de sa famille et de la nature durant son séjour de cinq ans à Montréal, au centre national d’entraînement de l’aréna Maurice-Richard. Ce trappeur et chasseur, amoureux de la forêt, en avait assez de l’« enrégimentement » imposé par l’équipe canadienne qui l’empêchait de revenir dans son coin de pays pratiquement 11 mois par année.

« Je pense que les entraîneurs et la structure sont trop rigides, a-t-il jugé dans le même plaidoyer. On reste dans notre cadre d’entraînement. Il ne faut pas déroger de ça. On ne laisse pas aux athlètes la chance de pouvoir faire autre chose, par peur de les perdre ou qu’ils se blessent. Résultat : on oublie le côté mental. Et ça, c’est très important. Surtout pour les athlètes qui viennent des régions éloignées. »

Une plus grande souplesse de la part de sa fédération lui aurait peut-être permis de prolonger sa carrière jusqu’aux Jeux olympiques de Pékin, en 2022. Sa réflexion s’applique à tout le sport de haut niveau, a précisé le médaillé d’or au 1000 m des Jeux olympiques de PyeongChang, qui a annoncé sa retraite en même temps que sa conjointe, Kasandra Bradette, elle aussi membre de l’équipe canadienne à PyeongChang.

« C’est vraiment juste rendu un travail, constate Girard. Le sport est en train de devenir un peu trop sérieux, un peu trop intense. »

« On savait qu’il était fragile »

Éric Bédard n’a pas été surpris par ces commentaires de Girard. L’entraîneur-chef de l’équipe nationale masculine de patinage de vitesse sur courte piste savait depuis Noël que son athlète le plus performant traversait une période d’épuisement.

« On en avait parlé avec notre préparateur mental, tout le monde ensemble. On savait qu’il était fragile », a noté Bédard.

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Éric Bédard, entraîneur-chef de l’équipe nationale masculine de patinage de vitesse sur courte piste

Ces moments difficiles n’ont pas empêché Girard de décrocher la médaille d’argent aux Mondiaux de Sofia, au début de mars. Au moment de la reprise de l’entraînement, le mois suivant, il a cependant demandé du temps pour réfléchir à son avenir.

Quand ils ont convenu de se rencontrer pour un café, à la fin d’avril, Bédard se doutait que son athlète avait décidé de prendre une pause. « Dans l’intérêt de l’équipe, j’aurais évidemment espéré qu’il m’annonce une pause de trois mois, mais là, c’était définitif. Il veut se donner du repos. […] C’est un choix pensé, réfléchi, et c’est à son honneur, si on veut, d’être capable de prendre une telle décision. »

Bédard ne s’en cache pas : la perte de Girard « fait mal » au programme canadien. À tous les niveaux de compétition, il était le patineur qui montait le plus régulièrement sur le podium.

« Comme au baseball, Sam, c’était notre closer. C’est lui qui terminait les relais en Coupe du monde. Au relais mixte, nouvelle épreuve olympique, si on discutait tous ensemble pour savoir qui on voulait pour finir, c’était Sam. Au Mondial, il a sorti un lapin de son chapeau pour finir deuxième au 1500 m. Sam, c’est un gars des grandes occasions, très agile sur la glace, intelligent, capable de bien lire la course et de finir la job. »

En plus du quintuple médaillé olympique Charles Hamelin, toujours actif (voir encadré), ce sera maintenant à de plus jeunes patineurs comme Pascal Dion, médaillé au relais à PyeongChang, et à Steven Dubois, triple médaillé individuel en Coupe du monde la saison dernière, de prendre la relève. « On a beaucoup de profondeur, de bons jeunes qui s’en viennent », a assuré l’entraîneur-chef.

Nouvelle philosophie

Ironiquement, Éric Bédard, en poste depuis moins d’un an, implante une nouvelle philosophie d’entraînement qui aurait répondu en partie aux doléances de Girard.

Inspiré par son séjour de plusieurs années comme entraîneur en Allemagne, en Italie et en France, il propose depuis cette année une programmation qui laisse plus de liberté à ses athlètes. Ainsi, ces derniers profitent d’une semaine de repos actif après des périodes d’entraînement de trois ou quatre semaines. En saison, les journées de congé après les compétitions seront aussi plus nombreuses et déterminées à l’avance.

Cette modulation du travail, qu’il planifiait avant même de connaître les préoccupations de Girard, est une façon de préserver la santé physique et psychologique des patineurs.

« Ça leur donne un peu plus de flexibilité, ça leur permet de relaxer et de retourner dans leur patelin pour ceux qui viennent de l’extérieur, explique l’entraîneur, lui-même originaire de la Mauricie. Quand ils reviennent, ils sont vraiment plus inspirés, plus relaxes. […] Certains athlètes européens m’ont déjà dit : “On a l’impression d’avoir vécu l’été.” »

Dans le régime de son prédécesseur Derrick Campbell, en place de 2006 à 2018, et même à l’époque où il était athlète, un tel repos « était quasiment un mal », soutient Bédard.

Girard aurait-il mieux fonctionné dans un tel environnement ? Peut-être, a répondu le coach, pour qui il ne faut cependant pas généraliser.

« Sam, c’est plus un créateur, un artiste. Chaque patineur a son style ; il ne faut pas tout catégoriser. Certains ont besoin d’être davantage laissés à eux-mêmes. D’autres doivent vraiment être encadrés de façon très, très rigide pour être performants. » — Éric Bédard

Si Girard souhaite revenir avant les prochains Jeux — une possibilité qui paraît peu probable, bien qu’il ne l’ait pas complètement écartée —, Bédard l’accueillera à bras ouverts.

« C’est un gars plein de talent, un gars d’équipe, avec un bon cœur, un bon fond. Je suis super choyé de l’avoir eu dans mon équipe, même si ça a été court. Je doute qu’il ait déployé tout son potentiel athlétique. Il en a encore énormément à donner. Mais ça devra venir de son for intérieur. »

Secrètement, Bédard rêve que le nouveau retraité retrouve les « papillons » en assistant à la Coupe du monde de Montréal l’automne prochain…

L’« incroyable » Charles Hamelin

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVE SLA PRESSE CANADIENNE

Charles Hamelin

Quatre semaines après une injection de cortisone pour soigner une bursite au genou gauche, Charles Hamelin s’entraîne en piscine et en musculation. Pour l’heure, tous les signaux sont positifs, mais le quintuple médaillé olympique n’a pas encore exposé l’articulation à des flexions importantes. « Le moral est là, il est super heureux, il a juste hâte de patiner, il est incroyable ! », s’est enthousiasmé Éric Bédard. Le patineur de 35 ans saute sur la glace à l’occasion pour prodiguer des conseils et travailler en vidéo avec ses coéquipiers. En théorie, il reprendra l’entraînement sur glace le 10 juin.