C’est le temps des grandes migrations. Les bernaches et les oies des neiges quittent en masse les aires d’hivernage pour se diriger vers les aires de nidification.

De leur côté, les grimpeurs quittent les centres d’escalade intérieurs pour envahir les sites d’escalade extérieurs. C’est une transition qui ne se fait pas sans mal, surtout pour les grimpeurs qui se retrouvent pour la première fois devant une vraie paroi naturelle, devant de la véritable roche.

« Pour grimper dans un centre d’escalade, on n’a pas besoin de beaucoup d’équipement, on n’a pas besoin de beaucoup de connaissances : il faut savoir comment assurer son partenaire et comment faire un nœud d’encordement, indique Antoine Bonicalzi, moniteur d’escalade qui donne des formations à la petite paroi d’escalade de l’île Sainte-Hélène. Les cordes sont souvent installées pour eux et tous les aspects de sécurité sont gérés par le centre. À l’extérieur, ça fonctionne de façon différente. »

Il s’agit d’un environnement moins contrôlé, avec un minimum d’aménagement.

Des grimpeurs novices s’amènent devant une paroi naturelle et s’étonnent de ne pas voir de corde installée de façon permanente. Des grimpeurs de blocs (de gros rochers qui ne demandent pas de harnais ou de cordes) se demandent où sont les matelas moelleux et les prises identifiées que l’on retrouve dans les centres d’escalade de blocs.

« En haut des parois, il peut y avoir des ancrages pour permettre aux gens qui s’y connaissent d’installer des cordes avec leur propre matériel, mais c’est pas mal tout », note Antoine Bonicalzi, de l’école Rock Immersion.

Des risques réels

Ceux qui ne s’y connaissent pas s’exposent à des risques.

« Ça peut aller de “j’ai une très mauvaise journée, j’ai une expérience très désagréable et je ne veux plus jamais grimper dehors” à “je vais mourir avant la fin de la journée” », commente Eric Lachance, directeur de la formation à la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade (FQME).

Léopold Laliberté-Guy, propriétaire de La Liberté Nord-Sud, une école d’escalade et d’alpinisme située à la montagne d’Argent, dans les Laurentides, note que les grimpeurs intérieurs saisissent mal les risques liés à l’escalade extérieure.

« Même si les gens sont techniquement forts, ils ont souvent de grosses lacunes au sujet des notions de relais et de rappel. » — Léopold Laliberté-Guy

Faire un relais en haut de voie pour installer une corde, ça prend des connaissances, mais ce n’est pas si compliqué que ça. Ce qui est plus problématique, c’est comment se rendre jusqu’aux ancrages. Léopold Laliberté-Guy a vu bien souvent des gens en haut de paroi, non attachés, au-dessus du vide.

« C’est toujours délicat d’intervenir, déclare-t-il. Des fois, j’essaie de susciter chez eux des questionnements plutôt que de dire : “Le cave, ça n’a pas de sens ce que tu fais…”, bien que ça arrive parfois. »

De son côté, Eric Lachance rêve d’installer une caméra sur un arbre et de la laisser là pour enregistrer les manipulations les plus malhabiles.

« Je vais envoyer ça sur YouTube et je vais faire des millions, blague-t-il. Des fois, tu te demandes comment les gens survivent à ce genre de situations. »

Formation nécessaire

Selon lui, bien des gens s’improvisent grimpeurs d’extérieur et s’estiment compétents de façon autodidacte.

Il existe des vidéos de formation sur YouTube, mais encore faut-il être en mesure de faire la part des choses. Il peut manquer certaines informations essentielles. On peut montrer comment faire un relais sur un arbre, mais on peut omettre de parler du choix d’un arbre approprié.

« Il y a des gens de gym qui demandent sur Facebook comment faire à l’extérieur, qui s’achètent une corde et qui se rendent à la paroi, raconte Antoine Bonicalzi. C’est dangereux pour eux, c’est dangereux pour leurs partenaires, c’est malaisant pour les autres. Les gens sont là pour avoir du fun, pas pour être témoins d’un accident. »

Léopold Laliberté-Guy souligne l’importance de se faire vulgariser l’information, de communiquer avec des gens qui ont de l’expérience.

Certaines personnes ont la chance de connaître des grimpeurs très expérimentés qui aiment faire partager leurs connaissances. Bref, des mentors.

« Mais pour la plupart des gens, la meilleure solution, c’est une formation », affirme Antoine Bonicalzi.

Au grand dam d’Eric Lachance, bien des grimpeurs sont réticents.

« Les gens sont prêts à payer des milliers de dollars pour de l’équipement alors qu’ils ne veulent pas payer 100 $ pour un cours », déplore-t-il.

Antoine Bonicalzi demande souvent aux apprentis grimpeurs d’extérieur s’ils feraient du parachutisme sans être en compagnie d’un parachutiste expérimenté ou sans avoir une formation.

« La réponse est probablement non, mais en escalade, on ne voit pas ça de la même façon. Et pourtant, les conséquences sont potentiellement les mêmes. »

Un cours de transition à l’extérieur dure habituellement deux jours, soit une fin de semaine complète.

« Ce n’est pas un gros investissement en temps et c’est un investissement minimal en coût : une formation va coûter moins cher qu’une corde d’escalade », lance Antoine Bonicalzi.