Il n’est pas encore 7 h quand Elizabeth, 9 ans, nous ouvre la porte de la maison. Après avoir avalé son petit-déjeuner, c’est aussi elle qui nous donne un premier aperçu du programme d’entraînement de sa maman, Annie-Claude. « Le lundi, elle a la natation avec moi. Mercredi, c’est encore la natation et jeudi, je fais parfois de la course à pied avec elle. Dimanche soir, elle nage avec papa. »

Elle oublie quelques séances de yoga, de musculation ou de vélo ici et là, mais on comprend le principe. La mère de 39 ans a un horaire chargé qui ne laisse guère de place à l’improvisation. Elle jongle entre la famille, un travail de photographe et une année 2019 bien spéciale. Le 31 août, elle participera aux Championnats du monde de triathlon ITU à Lausanne, en Suisse, après avoir remporté la victoire dans sa catégorie d’âge lors de l’étape montréalaise l’an dernier. Elle disputera la distance sprint, soit 750 m de natation, 20 km de vélo et 5 km de course à pied.

« Je sais que je m’en vais face aux meilleures du monde. Mon but n’est pas de finir première, je suis bien réaliste. » — Annie-Claude Bédard

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« Je ne suis pas dans les plus hot, mais j’aimerais arriver là-bas en étant au mieux que j’ai jamais été. Je voudrais être fière de moi en sachant que j’ai tout donné cette année », ajoute Annie-Claude Bédard.

Malgré des problèmes techniques au cours de la portion vélo, la Lavalloise a obtenu sa qualification, le 25 août 2018, en dominant la catégorie des 35-39 ans. Avant cette journée-là, dans le Vieux-Montréal, elle n’avait parlé de son projet qu’à quelques amis et à son conjoint. Au-delà du défi sportif, une participation aux Championnats du monde était une manière de boucler la boucle à l’aube de la quarantaine. « Je m’étais classée à 30 ans et je me suis dit que ce serait génial d’y aller à 40 ans. Oui, c’était mon rêve pour mes 40 ans. »

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Retour en arrière, cette fois sur la rive du fleuve Saint-Laurent. En 2006, son amie Priscilla lui propose de participer au triathlon de Verdun. Quelques mois d’entraînement plus tard, elle se découvre une véritable passion, même si elle finit sa première compétition dans les dernières places. Sans son amie, partie vivre en Australie, elle se joint au club Antilopes de Verdun et parvient, deux ans plus tard, à décrocher sa place pour les Championnats du monde. Direction Gold Coast, sur la côte ouest australienne, pour ce grand rendez-vous ? Non, l’appel de la famille est plus fort.

« Ça faisait sept ans que Jérôme [son conjoint] et moi étions ensemble. C’était le temps qu’on ait des enfants. J’étais sur le marché du travail comme designer d’intérieur depuis un certain temps, mais lui n’était pas prêt encore, dit-elle. C’est un ingénieur, hein, alors tout devait être stable et parfait. Là, il était prêt et je n’allais pas le faire attendre. Je voulais des enfants et ça ne me dérangeait pas de ne pas aller en Australie. »

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Elizabeth voit le jour en août 2009. Deux ans plus tard, la famille s’agrandit avec l’arrivée de Justin. Durant cette période, Annie-Claude met le sport en veilleuse pour se concentrer sur sa famille et son couple. Ils partent notamment en Irlande pour le travail de son conjoint.

« J’ai continué à m’entraîner, mais c’est un bien grand mot. Je suis une personne active, mais courir après avoir accouché d’Elizabeth, c’était non. Puis, je savais que je voulais un second enfant. C’est dur de s’entraîner, de tout perdre quand tu accouches, puis de reprendre l’entraînement. Ça demande de la motivation, et ça ne se fait pas du jour au lendemain. »

Pendant son deuxième congé de maternité, elle change également de carrière en lançant son entreprise, Orphisme, spécialisée dans la photographie commerciale. « Je ne pouvais pas être mère, démarrer mon entreprise et m’entraîner. Je ne pouvais pas tout faire », souligne-t-elle au sujet de sa pause de la compétition de sept ans.

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Deux smoothies fraîchement préparés aux fruits rouges sont posés sur le comptoir de la cuisine. « Je les prépare pour les enfants et je suis là pour tous les soucis du genre “mon chandail est trop petit”. Mais c’est Jérôme qui s’occupe du déjeuner le matin », précise Annie-Claude.

Elle est déjà au boulot, dans le sous-sol, pendant qu’il les conduit à l’école.

« Je dois dire que j’ai un conjoint exceptionnel. On est une équipe et c’est important de permettre à l’autre d’aller s’entraîner. C’est important de s’organiser et de communiquer pour qu’aucun ne se sente lésé. » — Annie-Claude

Car, à la base, c’est Jérôme, passionné de vélo et de vélo de montagne, qui est le grand sportif de la maison. Le projet d’Annie-Claude de participer aux Championnats du monde a nécessité quelques ajustements. « Elle fait beaucoup d’heures par semaine, en plus d’être à la maison pour le travail et pour les enfants, dit-il. Ça prend beaucoup de motivation et d’organisation pour être capable de tout faire, mais aussi pour que les enfants et moi ayons du temps pour nous. C’est une question d’équilibre. »

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Elle effectue parfois une course, sa discipline préférée, le midi et fait quelques séances supplémentaires lorsque les enfants dorment. Le mercredi, par exemple, elle enchaîne le vélo et la natation jusqu’à 23 h après « son shift du soir » avec les enfants. Le lendemain, pas question de faire la grasse matinée puisqu’elle est la vice-présidente de BNI Laval affaires plus, un regroupement de gens d’affaires qui se rencontrent à 6 h 45. Elle est également la vice-présidente du club Triathlon Laval, dont la devise est « Équilibre : travail, famille, entraînement ».

Une devise qui ressemble fortement à la ligne directrice qu’elle suit et va suivre jusqu’aux Championnats du monde. Pour la plus grande joie d’Elizabeth, qui pratique également le triathlon avec Justin. « Elle n’arrête pas de dire à tout le monde : “Ma maman s’en va aux Championnats du monde.” Elle aime s’entraîner avec moi et jouer au coach. »