Hypoglycémie, déshydratation, coup de chaleur… La deuxième moitié du marathon, aux derniers Championnats du monde d’Ironman, est un calvaire pour Pierre Heynemand. À l’arrivée, confus et épuisé, il n’est même pas en mesure de donner son nom au personnel médical.

Abonné aux podiums dans sa catégorie d’âge lors des quatre dernières années, l’homme de 53 ans aurait eu toutes les raisons d’abandonner. Depuis une infection des gencives, apparue cinq jours plus tôt, il prend aussi des antibiotiques. Bref, la journée est à mille lieues de sa bonne préparation.

« Dans mon groupe d’âge, j’ai toujours l’habitude de bien performer et je n’avais jamais connu une difficulté comme celle-là. Les 19 derniers kilomètres ont été épouvantables », lance-t-il à propos de la compétition du 12 octobre dernier. À quoi se raccrocher alors quand l’allure ralentit et que l’on perd 86 places ?

Chacun possède son mantra. Pierre Heynemand, directeur d’une école secondaire à Lavaltrie (Lanaudière), pense à « Xavier, Julien ou Mickaël pour qui le cheminement scolaire n’est pas facile présentement ». Il poursuit : « Par respect pour ma famille, mes amis, le personnel et mes élèves pour qui ce n’est pas facile à l’école au quotidien, je devais leur montrer que j’allais passer à travers. […] Chaque fois qu’on me doublait, je pensais à eux et ça m’a motivé. »

À l’arrivée, le chronomètre affiche 10 h 18 min, soit près d’une heure de plus que son temps réalisé l’année précédente. Son objectif était pourtant de dominer sa catégorie d’âge après avoir oscillé entre la deuxième et la quatrième place depuis 2016 [NDLR : les cinq premiers montent sur le podium].

« Les bénévoles m’ont amené directement sous la tente médicale. C’est là que je n’ai pas été capable de dire mon nom. Mais en même temps, je pensais : “Pierre, tu ne pouvais pas aller plus loin que ça, tu étais peut-être même dans une zone à risque pour ta santé.” Avec le recul, par contre, c’est l’Ironman qui m’a apporté le plus de satisfaction. »

Le « pèlerinage » hawaiien 

Pierre Heynemand nous reçoit dans son bureau de l’école secondaire de la Rive, qui accueille 500 élèves. Sur les murs, les photos de ses deux enfants, Felix et Laurianne, côtoient des images de triathlon. La mention « Reste à l’école », aspect sur lequel il insiste énormément, s’affiche autant sur ses équipements sportifs que sur sa voiture garée devant l’école. « Tous les élèves savent que je fais ça. Et quand on vient dans mon bureau, on s’en rend bien compte. »

La passion n’est pas nouvelle pour celui qui fait autant des triathlons sprints que de la distance olympique ou des Ironman. L’an dernier, à Kona (Hawaii), il a participé à son 50e Ironman en 30 ans de pratique.

Tout a démarré avec un reportage qu’il a vu à la télévision dans les années 80. Il se revoit avec son dictionnaire anglais-français en train de lire la seule revue spécialisée. Il repense aussi à ses premiers triathlons à Montréal et à son premier voyage à Kona, en 1989.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Aux derniers Championnats du monde d’Ironman, le directeur au secondaire a connu des moments extrêmement difficiles, terminant l'épreuve en 10 h 18 min, soit près d’une heure de plus que son temps réalisé l’année précédente.

Tu penses que tu es bon jusqu’à ce que tu côtoies les meilleurs [au monde].

Pierre Heynemand, triathlonien

« La première année, j’avais mal géré mon effort à vélo, et après 70 km, j’ai frappé le mur. Je m’alignais dans la catégorie professionnelle et je m’en allais là-bas pour performer. Dans ma tête de petit Québécois qui n’a pas internet, peu d’informations et peu de notions d’entraînement, j’y allais pour gagner. Mais je n’étais pas prêt. »

Marqué par cet épisode, mais aussi limité dans ses déplacements par son ancien poste d’enseignant, le quinquagénaire a mis du temps, beaucoup de temps, à retourner à Kona. Il ne s’est réconcilié avec les Championnats du monde qu’en 2010. Au fil du temps, l’endroit est cependant devenu « un passage obligé » où il s’en va faire un « pèlerinage ».

Lors des huit dernières années, seule 2015 fait figure d’exception. En revenant à vélo de son chalet, 10 jours avant l’épreuve, il s’est fait heurter par une voiture. Il s’en est sorti avec une mâchoire et quatre côtes brisées. La suite aurait pu être tout aussi dramatique.

« Quand j’étais à l’hôpital, j’avais l’impression de ne pas être malade et de prendre la place d’une autre personne. Rapidement, j’ai voulu sortir de là alors que, avec le recul, je sais qu’il faut rester sous observation après un impact. J’ai fait des crises d’embolie pulmonaire à quatre reprises. Au quatrième épisode, j’ai dit à mon épouse Christine : “Dis aux enfants que je les aime.” Ça n’allait pas bien, je ne pensais jamais revenir de là. »

Celui qui se décrit comme « têtu en tabarnouche » a repris l’activité physique dès qu’il a pu. Son objectif a vite été trouvé : retourner à Hawaii l’année suivante. « J’ai recommencé en faisant des push-ups sur le mur et je faisais de la musculation avec une conserve de pâte de tomates, détaille-t-il. Il n’était pas question que je reste avec des séquelles. »

Au printemps 2016, il a atteint un premier objectif en participant à une course de 10 km. « Juste mettre un dossard, vous auriez dû voir la satisfaction que j’avais. » L’automne venu, il a gagné son pari en se rendant à Kona où il a terminé sur le podium.

« Tous mes temps libres »

Quand Pierre Heynemand n’est pas à l’école, les chances sont très grandes de le retrouver sur un vélo, à la course ou en train de nager dans la rivière L’Assomption lors de la belle période. À l’aube comme au crépuscule, le triathlon occupe son emploi du temps.

« C’est tous mes temps libres, soit autour de 1200 heures d’entraînement par année ou 22, 23 heures par semaine », explique celui qui a déjà été membre du conseil d’administration de Triathlon Québec. « À Hawaii, avant les Championnats du monde, je peux faire jusqu’à 50 heures, mais il y a beaucoup de millage contemplatif aussi. »

En plus de 30 ans et avec des milliers d’heures d’entraînement dans le corps, il a participé à plus de 300 épreuves au Canada, aux États-Unis ou en Europe. Avec, chaque fois, ce sentiment si distinct au bout de l’effort.

« Tu vas tellement loin dans tes ressources au niveau alimentaire et dans l’endurance qu’il y a un gros rush de satisfaction à la fin. Il ne faut jamais tenir un Ironman pour acquis. Les Ironman faciles, ça n’existe pas. »

Les Championnats du monde le lui ont rappelé.