Sur un ton blagueur, Simon Laporte glisse qu’il ne se serait peut-être pas levé, le 10 novembre 1975, s’il avait su ce qui l’attendait. En prenant la direction du Jardin des Plantes, à Paris, et en y faisant un jogging d’une heure, il a lancé une séquence qui dépasse aujourd’hui les 16 000 jours avec une course à pied d’au moins 6 km.

Depuis cette date, l’homme de 68 ans a parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, disputé des épreuves de 24 ou 48 heures et participé à bon nombre de marathons ou demi-marathons. Mais c’est avant tout cette séquence un peu folle qui le définit en tant que coureur. Avec le recul, son ampleur surprend même le principal intéressé.

À la fin de ma première année, j’ai lu un texte sur un coureur qui en était rendu à 3000 jours. Je me suis dit : “Ça n’a pas d’allure, j’espère ne pas me rendre là.” Finalement, à 3000 jours, j’ai continué. À 4000, j’ai choisi d’aller jusqu’à 10 000. Ça allait bien, alors, j’ai continué.

Simon Laporte

Laporte a longtemps gardé le secret sur ses escapades quotidiennes. Celui qui se définit comme un « homme de chiffres » se rappelle que cela s’est ébruité après 938 jours.

« Je revenais de New York avec une amie. Je voyais l’heure tourner et il était 11 h 30, le soir. Aussitôt qu’on s’est stationnés, près du pont Jacques-Cartier, je lui ai dit : “C’est de valeur, mais il faut que j’aille courir six kilomètres.” Elle m’a regardé aller avec l’air de se dire : “C’est quoi, cette affaire-là ?” Le lendemain, tout le monde savait que je courais six kilomètres chaque jour. »

En près de 44 ans, Laporte a donc couru à des moments improbables, mais aussi dans des lieux qui sortent de l’ordinaire. On l’a vu courir le long d’une voie rapide, lors d’une escale tardive à San Francisco, dans un terminal de l’aéroport d’Honolulu ou dans les ruelles bondées de Hong Kong. Le plus insolite ?

« Il y a quelques années, j’avais fait une croisière en Grèce. Il n’y avait pas vraiment de place pour courir, mais je suis allé sur le pont supérieur où il y avait un anneau de 70 m. Je faisais des allers-retours et j’ai pu faire huit kilomètres comme ça. Ce n’est pas monotone avec le lever de soleil au-dessus de la Méditerranée. C’était beau, mais c’était bizarre. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Depuis le 10 novembre 1975, Simon Laporte a parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, disputé des épreuves de 24 ou 48 heures et participé à bon nombre de marathons ou demi-marathons.

Bien évidemment, la séquence a failli s’arrêter quelques fois. Il n’y a pas eu de blessures importantes, mais des périodes de démotivation, des chutes hivernales et des maladresses sur la route. « Une fois, j’ai donné un coup de pied dans ce que je croyais être une roche. C’était un bout de fer qui dépassait et je suis tombé en pleine face. Je ne m’en suis pas vanté », rigole-t-il.

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Simon Laporte

Il se rappelle aussi la naissance de son premier enfant, lors de la 3880e journée de sa série, en 1986. « Ma femme perd les eaux à 5 h 30 le matin et, évidemment, je n’avais pas encore couru. On arrive à l’hôpital, c’est long, et je n’ai pas toujours pas couru en après-midi. J’ai eu un frisson qui m’a parcouru et disons que je n’aurais pas eu le courage de lui dire que j’allais courir à 23 h 30. Finalement, l’accouchement a eu lieu à 17 h 10 et je suis allé courir à 20 h. J’étais relax. Nos autres enfants ont eu la bonté de naître le matin ! »

Le premier à l’international

Laporte se classe à la première place parmi les coureurs internationaux actifs, selon la United States Running Streak Association et Streak Runners International. Au moment de son inscription, il a bien fallu transmettre des preuves sous la forme d’articles de journaux, de trophées ou de références. Heureusement, il garde tout ça à portée de main.

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Simon Laporte conserve précieusement une preuve de ses sorties quotidiennes dans un calendrier. Il entretient ainsi la plus longue séquence active parmi les coureurs internationaux, selon la United States Running Streak Association et Streak Runners International.

Après l’entrevue, il se saisit du calendrier de 1975 où il a noté les détails de chacune des courses. Il établit aussi des objectifs pour chaque année. À la fin des années 70, il a déjà parcouru plus de 10 000 km au cours d’une même année. En 2019, le volume s’établit à 4267 km.

Quand nos enfants étaient jeunes, je courais avant qu’ils se lèvent. Je revenais pour le déjeuner et j’étais là quand ils partaient. J’ai gardé le même horaire parce qu’on ne sait pas ce qui va arriver le soir.

Simon Laporte

« On se débarrasse de ça et on n’en parle plus pour la journée. Avec le commerce, s’il y a une urgence à 17 h 30 et que je m’en vais courir, ça ne marche pas », dit le propriétaire de quatre succursales Kubota.

Toujours selon la United States Running Streak Association, le Britannique Ron Hill, qui a couru quotidiennement entre 1964 et 2017, possède la plus longue séquence à l’extérieur des États-Unis. Du côté américain, cinq coureurs actifs ont dépassé le cap des 45 ans. Jusqu’où ira le résidant de Notre-Dame-des-Prairies dans la région de Lanaudière ? On lui lance le chiffre audacieux de 20 000 jours qu’il atteindrait le 13 août… 2030.

« C’est un beau chiffre, mais l’objectif reste de courir six kilomètres demain matin. Il faut vraiment avoir une philosophie au jour le jour. Ça fait plus de 43 ans que je vis au jour le jour, de toute façon. Tu le fais et tu l’apprécies. En plus, je bats mon record tous les jours. »