Tranquillement, une grande feuille commence à émerger de l’énorme imprimante. C’est une carte topographique d’une région éloignée du parc national de Kluane, au Yukon, qui se déploie peu à peu. Elle sera essentielle pour naviguer sur cette terre inhabitée, entre torrents et montagnes.

Dans la boutique Aux quatre points cardinaux, située à l’angle des rues Ontario et Saint-Hubert, la randonneuse se sent déjà un peu au Yukon.

La boutique existe depuis maintenant 31 ans. Il pourrait y avoir des changements en vue : les propriétaires, François Damien et Sylvie Lavoie, viennent de la mettre en vente. Ils espèrent ardemment que le nouveau propriétaire poursuivra leur œuvre.

« Ç’a a été notre bébé », lance M. Damien, au poste en cette journée de canicule dans la boutique de cartes, de guides et de GPS.

Le couple s’est lancé dans l’aventure en 1988 avec une subvention de 16 000 $, étalée sur deux ans, en vertu du programme Jeunes Entrepreneurs. Dès le départ, M. Damien et Mme Lavoie ont loué un local au 551, rue Ontario Est. Ils ont rapidement acheté le bâtiment.

« En haut de nous, il y avait des junkies, se rappelle M. Damien. J’étais monté à deux ou trois reprises pour régler des problèmes : ça s’injectait dans l’appartement, ça sautait, les lumières pétaient en bas. J’ai donné le choix au propriétaire : si tu ne me vends pas la bâtisse, on s’en va. Il a vendu. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

François Damien, copropriétaire d’Aux quatre points cardinaux, toujours au poste après 31 ans

Le couple a acheté un deuxième bâtiment pour agrandir la boutique, puis un troisième. C’est tout l’ensemble qui est maintenant à vendre.

« La vente au détail, ce n’est pas toujours facile, il faut se renouveler, avoir de nouvelles idées, explique M. Damien. Mais nous avons eu des incidents, des problèmes de santé au cours des dernières années. Je suis fatigué. »

Les deux enfants du couple ne sont pas désireux de reprendre la boutique. « Il faut du sang neuf, quelqu’un qui a une belle énergie, qui va apporter des idées. »

Un groupe est intéressé par la boutique, des discussions sont en cours.

M. Damien insiste : la situation financière de la boutique est excellente, tout comme les prévisions. « Je considère qu’on a une belle clientèle à 98 ou 99 % », affirme-t-il.

Il soutient que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le marché de la carte géographique en papier va plutôt bien. « Les gens aiment encore le papier, déclare-t-il. Ils veulent une idée d’ensemble, ce que le GPS n’offre pas. »

Il se souvient d’un bon ami qui avait décidé de n’apporter que son téléphone intelligent au cours d’un voyage commun en Sicile. « Le matin, on regardait la carte de la Sicile en papier et le monsieur était là autour de nous pour regarder ce qu’on allait faire dans la journée », se rappelle M. Damien en riant.

Le plus beau chemin

Le GPS et le téléphone intelligent ont d’autres désavantages : ils peuvent se briser, la batterie peut se vider au moment le plus inopportun, et ils ont tendance à suggérer uniquement le chemin le plus rapide entre le point A et le point B.

J’ai récemment été de San Francisco à San Diego, en Californie. Avoir eu un GPS, il m’aurait fait passer sur l’autoroute. Je n’aurais pas vu la route 1. C’est sûr que suivre la mer, c’est plus long, mais c’est plus beau.

François Damien

Les fabricants de cartes en papier ne s’y trompent pas. « S’il n’y avait pas d’intérêt, Michelin ne ferait plus de cartes, observe M. Damien. National Geographic fait des cartes partout dans le monde. C’est qu’il y a une demande. »

C’est également le cas pour les guides de voyage en papier, en dépit de la venue des livres électroniques. « Au début des années 2000, même les représentants des guides en papier avaient très peur… mais ils sont encore là aujourd’hui. Et la concurrence est féroce entre les éditeurs de guides parce qu’il y a une demande. »

Il explique que les guides de voyage en papier sont plus faciles à consulter que les guides électroniques. En outre, il est possible de souligner et d’annoter un guide en papier. Enfin, personne ne craint de se faire voler un bon vieux guide en papier lorsqu’on le laisse sur sa serviette de plage.

M. Damien admet que les changements dans l’industrie lui ont quand même procuré une certaine inquiétude. Le couple a cependant réagi au cours des années, notamment en commençant à offrir des appareils GPS, mais aussi en se dotant d’une grande imprimante pour offrir des cartes topographiques à la demande, sur place.

« On a été des précurseurs. »

La boutique offre également des globes terrestres, des cartes marines et des cartes murales. La vitalité de ce dernier marché ne se dément pas.

« Les gens aiment ça, épingler là où ils sont allés. J’ai une carte murale chez moi depuis plus de 20 ans et les gens s’arrêtent encore devant. Si j’avais une toile avec des fleurs, je ne suis pas sûr qu’ils s’y arrêteraient encore. »