Qui aurait cru une chose pareille possible ? Partout au Québec, des gens se passionnent pour une équipe de Toronto. Le parcours des Raptors en séries éliminatoires de la NBA génère un buzz étonnant. Les exploits de Kawhi Leonard sont vus, revus et commentés.

Notre lien avec Toronto a changé. Au début des années 80, on regardait la métropole du Canada de haut, on notait ses travers, on disait qu’elle fermait tôt le soir. Sur le plan sportif, les Maple Leafs ne faisaient pas le poids face au Canadien. Et les Blue Jays s’immisçaient à peine dans le sentier ouvert par les Expos en 1969.

Le basket ? Personne ne pensait qu’une équipe atterrirait un jour au Canada. En fait, on croyait plutôt aux chances que la Ligue nationale de football s’établisse à Montréal, un projet longtemps caressé par des leaders de la ville.

Aujourd’hui, Toronto aligne des équipes dans trois des quatre grands sports nord-américains. Et la présence des Raptors et des Blue Jays dans notre propre paysage sportif est de plus en plus marquée.

Les deux clubs ont des milliers de fans au Québec, un phénomène récent.

Lorsque les Expos sont partis pour Washington, nos allégeances de baseball ne se sont pas automatiquement transférées sur les Blue Jays. Mais ils ont bien joué leurs cartes pour les cultiver.

Et les Raptors profitent aujourd’hui de ce lien moins tourmenté que nous entretenons avec les équipes sportives de la Ville Reine.

Quel a été le tournant ? Une date-clé : le 10 septembre 2013. Ce jour-là, Paul Beeston, le président des Blue Jays, a annoncé que son équipe disputerait deux matchs préparatoires à Montréal au printemps suivant. Le baseball majeur reviendrait au Stade olympique après neuf années d’absence. À cette occasion, Beeston a aussi appuyé le retour des Expos.

Sans ce coup de pouce, la possibilité de revoir un jour les Z’Amours n’aurait pas autant progressé. Pour Beeston, le fait que Toronto appuie ainsi Montréal était en quelque sorte un retour d’ascenseur : « Si Charles Bronfman n’avait pas obtenu une concession pour Montréal à la fin des années 60, Toronto n’aurait peut-être pas eu la sienne quelques années plus tard », avait-il expliqué.

En confiant le poste de directeur général au Montréalais Alex Anthopoulos et en embauchant plus tard le receveur Russell Martin, les Blue Jays ont raffermi leurs liens avec le Québec. Et ils ont obtenu du succès sur le terrain. À Montréal aussi, on s’est passionné pour le « bat flip » de Jose Bautista durant les séries éliminatoires de 2015.

Et voilà qu’aujourd’hui, ils alignent Vladimir Guerrero fils Le jour de son baptême du feu dans les majeures, il s’est présenté au Rogers Centre avec, sur le dos, le chandail des Expos jadis porté par son père. Un beau clin d’œil.

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L’impact des Raptors sur le développement et la popularité du basketball au Canada est phénoménal. Au point où l’équipe nationale des moins de 19 ans a remporté le championnat mondial en 2017. Au prochain repêchage de la NBA, R.J. Barrett, un Torontois qui a joué à l’Université Duke cette saison, devrait être sélectionné parmi les trois premiers. Le Montréalais Luguentz Dort est aussi très bien évalué.

L’équipe nationale pourrait aussi se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo l’été prochain, ce qui serait une première depuis ceux de Sydney en 2000. En cas de réussite, une médaille sera possible si tous les meilleurs joueurs sont du rendez-vous. Cela augmenterait encore la visibilité du basket au pays.

À Montréal, l’idée d’obtenir une équipe de la NBA a été mise de l’avant l’automne dernier par l’avocat Michael Fortier et l’actuel président de l’Impact, Kevin Gilmore.

Les chances que le projet aboutisse sont minces. Mais quand on observe l’intérêt des jeunes pour le basket, on se dit que rien n’est impossible à plus long terme. Ce sport a le vent dans les voiles.

Et qui sait si le succès des Raptors n’ouvrira pas la voie à une équipe montréalaise dans la NBA, comme celui des Expos au début des années 70 a contribué à la naissance des Blue Jays.

Nous n’en sommes évidemment pas là. Pour l’instant, contentons-nous de savourer les performances des Raptors, qui disputent une série enlevante aux Bucks de Milwaukee.

Cette demi-finale est plus spectaculaire que ne l’ont été les deux de la LNH. Je n’aurais jamais pensé m’enthousiasmer autant pour une série de la NBA.

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Au hockey, les Maple Leafs sont plus sympathiques qu’à l’époque où ils livraient une rude bataille au Canadien. Après des années de petite misère, ils forment avec Auston Matthews et Mitch Marner une équipe spectaculaire, malgré leurs difficultés en séries éliminatoires.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Avec Auston Matthews et Mitch Marner, les Maple Leafs constituent « une équipe spectaculaire, malgré leurs difficultés en séries éliminatoires », écrit notre chroniqueur.

En nommant l’an dernier un directeur général aussi jeune que Kyle Dubas (32 ans le jour de son entrée en poste), ils ont balayé cette réputation d’organisation super conservatrice qui leur a si longtemps collé à la peau. Le nouveau patron incarne à lui seul les tendances émergentes du circuit. Il n’a jamais joué dans la Ligue nationale, mais il est un spécialiste des statistiques avancées. Qui aurait cru les Leafs capables d’autant d’audace ?

Il faut maintenant souhaiter qu’au football, les Argonauts — tout comme les Alouettes — connaissent du succès sur le terrain et aux guichets. Pour s’épanouir, la Ligue canadienne a besoin de concessions fortes dans ses deux villes les plus importantes.

Et au soccer, espérons que l’Impact raffermira sa place dans notre écosystème sportif. Les modestes assistances cette saison démontrent qu’il s’agit d’un lourd défi. L’ancien vice-président Richard Legendre rêvait d’un « stade plein » à tous les matchs dès 2015. On en est loin.

Alors bravo à Toronto pour ses succès sportifs, mais il ne faudrait tout de même pas que, dans 10 ans, son équipe de Major League Soccer devienne notre favorite par défaut. Le feuilleton des Expos (et des Nordiques) nous le rappelle trop bien : il faut s’assurer de l’essor de nos équipes. Car le jour où une d’elles nous quitte, c’est difficile de la retrouver.