Nos chroniqueurs ont une opinion divergente sur la question. Débat.

Oui, Montréal est une ville de sports

Dans les années 80, la vie était simple.

Prenez la télévision. Chez nous, on regardait quatre postes : Radio-Canada, Télé-Métropole, TQS et Radio-Québec.

Un jour, mes parents sont revenus à la maison avec une surprise. Un Jerrold. Une étrange boîte brune qui, une fois branchée au téléviseur, nous permettait de capter de nouvelles chaînes. MusiquePlus est entrée dans ma vie. Les émissions jeunesse de Radio-Québec en sont sorties.

Quelques années plus tard, mes parents sont arrivés avec une autre surprise. Une télécommande. Avec un terminal Vidéoway. Les nouvelles chaînes se répandaient comme des poux dans une classe de maternelle.

Aujourd’hui, mon abonnement me donne droit à une centaine de postes. Plus YouTube. Plus Netflix. Plus DAZN, qui me permet de regarder en direct des compétitions de fléchettes ou des matchs de soccer du Japon (sans blague).

Et les quatre postes traditionnels ? Le choix est si vaste que, forcément, on leur consacre moins de temps.

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Ce phénomène porte un nom : la fragmentation du marché. Ça n’affecte pas que l’industrie de la télévision. Pensez à l’explosion de l’offre de restaurants. De fromages. De vins. De bières.

Et de sports.

Car oui, la vie sportive montréalaise a grandement évolué depuis 1989. À l’époque, c’était simple. Deux sports se partageaient la manchette : le hockey et le baseball.

Le hockey occupe encore une grande place. Avec raison. Le Canadien est deuxième parmi les équipes qui attirent le plus de spectateurs au monde (après les Blackhawks). Plusieurs se plaignent de sa domination dans l’espace médiatique. Ce n’est toutefois pas un fait unique à Montréal. C’est le cas un peu partout. Entre autres avec les Cowboys à Dallas. Les Cardinals à St. Louis. Les Canucks à Vancouver. Le PSG à Paris. Le FC Barcelone en Catalogne.

Le Canadien fait donc de l’ombre aux autres sports. Tellement qu’il éclipse une de nos plus belles richesses : la très grande offre sportive de Montréal. Une des meilleures au monde.

Oui, oui. Au monde.

Il est vrai que Montréal n’a pas de club de la NFL, de la NBA ou du baseball majeur (pour le moment). Que Cleveland, Phoenix et Minneapolis en ont. Mais Montréal possède un bouquet d’évènements internationaux qui suscite l’envie partout en Amérique du Nord. Depuis 18 mois, la ville a présenté avec succès : 

– les Championnats du monde de gymnastique (une première en Amérique du Nord depuis 2003) ;

– un Grand Prix de F1 (200 000 spectateurs) ;

– la Coupe Rogers de tennis (170 000 spectateurs) ;

– le Grand Prix cycliste de Montréal (une des trois courses UCI sur le continent) ;

– les Championnats du monde de patinage de vitesse sur courte piste (pour la troisième fois depuis 2002) ;

– le Marathon international de Montréal (25 000 participants) ;

– la Coupe Fed de tennis ;

– la Série mondiale de plongeon ;

– quatre matchs du baseball majeur (100 000 spectateurs).

Et l’hiver prochain, le Centre Bell sera l’hôte des Championnats du monde de patinage artistique, la compétition la plus prestigieuse de cette discipline.

Attendez, c’est seulement la liste des évènements ponctuels.

Il faut ajouter les galas de boxe, les rencontres de l’Impact, des Alouettes, du Rocket de Laval, des équipes de sport universitaire, du Royal (ultimate frisbee) et des Canadiennes, jadis le club de hockey féminin le plus populaire sur la planète.

Ça fait beaucoup, beaucoup, beaucoup de billets à vendre pour un marché de 3 millions de personnes.

Les partisans sont ensuite montrés du doigt. On leur reproche de soutenir leur équipe seulement lorsqu’elle gagne. Je les comprends. Les Montréalais se sont habitués à l’excellence. À applaudir l’élite mondiale à longueur d’année.

C’est comme avec la télévision. Lorsqu’une chaîne offre des émissions de moindre qualité, les téléspectateurs changent de poste. Parce que, contrairement à avant, ils ont maintenant l’embarras du choix. Ainsi réagissent les Montréalais lorsque leurs clubs enchaînent les défaites. Leur dollar-loisir va ailleurs. Tout simplement.

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À la fin des années 80, l’offre sportive dans mon quartier était simple. Les cours de natation au printemps, le baseball l’été, le hockey ou le patinage artistique l’hiver.

En 1987, un parent a proposé une nouvelle activité : le basketball. Un ovni dans nos vies. Personne ne savait jouer. Les panneaux de basket du gymnase étaient d’un blanc immaculé ; visiblement, ils avaient peu servi.

Une initiative à la fois, la pratique de l’activité physique s’est elle aussi fragmentée. Et c’est sur ses plateaux sportifs que Montréal se montre aujourd’hui sous son jour le plus dynamique.

De 5 h à 23 h. Tous les jours. Dans la neige, sur l’eau, la glace ou le gazon.

Regardez autour de vous. Les Montréalais bougent. Ça grouille de monde au centre aquatique de Pointe-Claire. À l’aréna de Dollard-des-Ormeaux. Sous le dôme de l’Université Concordia. Au tout nouveau, tout beau Stade de soccer de Montréal. Sur les pistes cyclables le long du fleuve. Sur les sentiers de course et de ski de fond du mont Royal.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Des fondeurs observent le centre-ville de Montréal à partir du mont Royal.

Comme le papa-basket de mon enfance, des gens améliorent la vie de leur quartier en lançant des initiatives géniales. Résultat : les microcosmes sportifs se multiplient. La voile au lac Saint-Louis. Le handball à Ahuntsic. La crosse à Westmount. Le cricket au parc Jarry. L’escrime au collège Brébeuf. L’haltérophilie à Côte-Saint-Paul. Le patinage sur courte piste à LaSalle.

Les inscriptions au baseball explosent. Faute de terrains, des enfants sont placés sur des listes d’attente. Les patineurs artistiques cherchent des heures de glace comme si c’était de l’or au Klondike. Les joueurs de tennis savent que la réservation d’un court, c’est comme une visite à la clinique : le « sans rendez-vous » existe, mais on n’en a jamais profité.

Le monde a changé. Montréal aussi. Pour le mieux. 

Maintenant, si les Expos pouvaient revenir...

Non, Montréal n’est pas une ville de sports

Quand j’ai lu la chronique d’Alexandre Pratt sur les foules décevantes au stade Saputo, je l’ai appelé pour le sonder sur une chronique que je souhaitais écrire depuis longtemps.

« Salut, Alex, après t’avoir lu, je me suis souvenu que Montréal n’est pas une vraie ville de sports, et… »

Et ça donne ce petit débat dans votre Presse du samedi entre lui et moi !

Bon, Alex a élargi l’angle d’analyse quant au mot « sport » – il inclut tout ce qui n’est pas dans le giron des sports d’équipe majeurs en Amérique du Nord ET il inclut les Montréalais qui FONT du sport –, mais permettez que je saute dans la mêlée…

Montréal n’est pas une ville de sports. Montréal est la ville du Canadien de Montréal.

Le slogan du Canadien de Montréal d’il y a quelques années l’a bien résumé : la ville est hockey. Mais je crois que même ce slogan est trompeur : la ville est Canadien.

Si Montréal était une ville de sports, l’avenir des Alouettes ne se discuterait pas avec un point d’interrogation : leur survie est en cause, pour la deuxième fois.

Si Montréal était une ville de sports, les dirigeants de l’Impact de Montréal ne définiraient pas leurs défis de marketing en termes de l’ombre énorme du Canadien de Montréal.

Si Montréal était une ville de sports, personne ne se demanderait si le 91,9 va survivre. La question de l’avenir de cette radio sportive ne se poserait pas, vu le bassin d’auditeurs dans la région de Montréal.

Si Montréal était une ville de sports, les Expos ne seraient jamais partis, vu notre bassin de population.

Et faut-il souligner l’échec de nos clubs de hockey junior ?

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Le cas de l’Impact est particulièrement intéressant pour plaider la cause de Montréal comme monoculture sportive. Voici un club dynamique, propriété de Montréalais enracinés dans leur communauté, qui évolue dans une ligue en pleine croissance. Le soccer est un sport de masse (180 000 joueurs de 21 ans et moins), pratiqué été comme hiver par des gars et des filles. Et la base de fans de l’Impact est passionnée.

Mais les assistances au stade Saputo sont décevantes, comme l’a souligné Alexandre dans sa chronique de mardi. Pas catastrophiques, mais décevantes.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

« Les assistances au stade Saputo sont décevantes », écrit notre chroniqueur.

À TVA Sports, l’Impact récolterait autour de 100 000 téléspectateurs par match. Pour une chaîne spécialisée, c’est un bon score, qui se compare à celui d’un récent match de tennis de l’étoile canadienne Shapovalov (170 000 contre Federer, à Miami). Mais on est loin des cotes d’écoute du CH : un match de saison « régulière » sans histoire réunit facilement entre 600 000 et 700 000 personnes. Le point de presse de fin de saison de Marc Bergevin, DG du CH, a rallié 115 000 personnes sur les deux chaînes sportives !

Pour Bernard Brisset, ex-directeur des pages sportives au Journal de Montréal, ex-vice-président aux communications du Canadien de Montréal et directeur des communications des Nordiques, l’engouement des Québécois pour le Canadien est affaire de culture : c’est dans nos gènes, inscrit dans nos histoires familiales… Ce qui n’est pas le cas des Alouettes ou de l’Impact.

« Montréal s’intéresse d’abord et avant tout au Canadien, dit-il. Même en juillet. À la télé, dans une série Boston-Caroline, on trouve le moyen de parler des intouchables du Canadien. À Montréal, c’est CH-CH-CH. Et si tu n’en parles pas, tes cotes d’écoute baissent… »

Si vous vous demandiez pourquoi, un 27 juillet, les tribunes téléphoniques et les bulletins sportifs trouvent le moyen de parler du Canadien qui est encore à deux mois de son début de saison, c’est pour ce qu’évoque Bernard Brisset : parce que ça intéresse plus le public que les prouesses offensives de Nacho Piatti…

« Beaucoup d’enfants ont joué au soccer, beaucoup de gens sont liés au soccer. Mais cet intérêt ne se traduit pas dans un intérêt proportionnel pour l’Impact », ajoute Bernard Brisset.

Pour lui, LA ville de sports au Québec est… Québec.

« Les gens de Québec sont passionnés pour les Remparts de la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Ils appuient les Remparts comme si c’était un club de la LNH, ils appuient le Rouge et Or de la ligue de football universitaire comme s’il s’agissait d’un club professionnel. Et ils appuient de belle façon leur club de baseball mineur, les Capitales. Québec est une grande ville de sports. »

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, ARCHIVES LE SOLEIL

Des partisans du Rouge et Or encouragent leurs favoris.

Je suis d’accord. Allumez la radio à Québec et cet intérêt se reflète dans le commentaire sportif et dans les tribunes téléphoniques. Les gens veulent parler des Remparts, du Rouge et Or, des Capitales. Et à Québec, on se croirait parfois dans une ville possédant une franchise de la NFL : les matchs de football professionnel y sont décortiqués à la radio avec le même zèle que les matchs de la LNH.

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Mon collègue Alexandre énumère toute une série d’événements sportifs qui rallient les Montréalais, allant du Grand Prix de F1 au tournoi de tennis de la Coupe Rogers en passant par le Grand Prix cycliste de Montréal…

Vrai. Sauf que ce sont des rendez-vous événementiels. Une semaine, un week-end et puis s’en va…

Pour la passion, pour l’intérêt soutenu, il n’y a qu’un sport qui intéresse vraiment les Montréalais : c’est le Canadien, le Canadien est à la fois hockey, culture et événement (même en juillet). Les autres sports sont des amours passagères pour les Montréalais.

Ce n’est ni bien ni mal, remarquez. Mais ça dit quelque chose sur la fertilité relative du sol montréalais pour autre chose que le hockey…

Prenez le baseball. À voir l’intérêt mi-figue, mi-raisin des Montréalais pour l’Impact et pour les Alouettes, il faudra m’expliquer un jour par quel miracle du Saint-Esprit les Expos 2.0 pourraient intéresser les Montréalais davantage que dans leur première mouture…

Surtout que de 1969 à 2002 – j’exclus les deux dernières saisons du club en garde partagée avec Porto Rico –, les Expos ont toujours attiré moins de spectateurs que la moyenne des autres équipes de leur ligue…

Sauf lors de six saisons : ces six saisons étaient des années fastes, quand le club était excitant et concurrentiel, notamment de 1979 à 1983. Et en 1994, l’année où les Expos avaient un club super excitant qui était 1er de la division Est quand le lock-out a été décrété, eh bien, les Expos étaient 11es sur 14 au chapitre des assistances. Onzièmes !

Je sais, je sais : les matchs hors concours du baseball majeur, début avril, remplissent le Stade olympique depuis quelques années, c’est un bel événement. Mais les premiers matchs des Expos étaient également très courus. C’est en mai, juin, juillet, août et septembre que ça se gâtait…

Montréal n’est pas une ville de sports. C’est une ville qui aime le Canadien de Montréal.