Quand on est arrivés au Complexe sportif Claude-Robillard pour la cérémonie d’ouverture du Défi sportif AlterGo, c’était déjà l’heure de la haie d’honneur. Il y avait quelque chose de très beau, et de profondément humain, à voir toutes ces petites mains d’athlètes taper ces grandes mains de bénévoles.

Le Défi sportif AlterGo est une œuvre colossale. Quelques chiffres : 8000 athlètes provenant des volets élite, développement et scolaire, 145 écoles, 26 pays, 1300 bénévoles, 6 lieux de compétition, 15 sports, une file interminable d’autobus, des centaines d’enseignants et d’éducateurs pour accompagner tout ce beau monde. C’est le plus grand événement multisport au Canada.

Colossal, qu’on vous disait, et ça saute aux yeux. Beau aussi, parce que tous ces athlètes ont la particularité de souffrir d’une déficience. Hier, par exemple, ils étaient 1400 à défiler, chacun avec un « trouble invisible » : spectre de l’autisme, déficience intellectuelle ou handicap visuel ou auditif.

Ça n’a rien changé au fait que quelques minutes après le coup d’envoi, ils s’affairaient dans l’une ou l’autre des compétitions, entre deux boîtes de jus de fruits. Et c’est exactement ça, l’idée du Défi sportif : briser les barrières.

« Ils vont rentrer chez eux et ils vont être la star de la famille. Ça arrive une fois par année. Sinon, on pense plus souvent que la personne handicapée a besoin d’aide. Ce soir, ils seront des gagnants, et l’image de gagnants, ils ne l’ont pas souvent. À l’école, on les voit comme différents, ils ont de la difficulté à faire certaines choses, on ne voit pas qu’ils ont des talents et qu’ils sont capables de les exprimer. Ils sont toujours confrontés à leur différence. On veut changer le message. »

Ce sont les mots de Monique Lefebvre. C’est elle qui a eu l’idée de se lancer dans ce projet de fou il y a 36 ans. Ce sera sa dernière édition cette année, elle prendra sa retraite. Elle part sereine, l’organisation est entre bonnes mains, et elle aura contribué à lui donner une direction.

Monique Lefebvre est née de deux parents handicapés, qui étaient eux-mêmes engagés dans le sport. Forcément, cet héritage a forgé la personne qu’elle est devenue. Elle a vite compris la force du sport, mais aussi le stigmate qui entourait les personnes handicapées. Encore jeune, elle a décidé qu’un jour, elle allait changer les choses.

« Quand tes parents sont dans le monde du sport, tu deviens bénévole. Quand j’allais au sport avec mon père, tout le monde disait que c’était fantastique. Mon père faisait entre autres de l’athlétisme en fauteuil. Quelqu’un tenait la chaise, il lançait le javelot, mais ça prenait quelqu’un pour aller le chercher. C’est le travail des enfants. On avait droit à de la crème glacée après ça. »

« Puis j’allais à l’épicerie avec ma mère. Parfois, des enfants venaient lui donner de l’argent. Les parents se disaient, elle a juste un bras, elle fait pitié. Ma mère ne faisait pas pitié. Elle parlait avec les enfants, elle les accueillait, elle avait le tour. Mais quand tes parents reçoivent de l’argent parce qu’ils font pitié, ce n’est pas un éloge. Je me suis dit : “Si, un jour, je peux changer l’image des personnes handicapées, j’aurai fait quelque chose de bien.” »

La naissance du Défi

C’est en 1984 qu’elle a créé le Défi sportif. Elle était alors à l’Association régionale pour le loisir et le sport des personnes handicapées de l’île de Montréal. Elle était atterrie là en 1982, en pleine récession. Les gouvernements réduisaient les subventions, et elle a dû faire preuve d’ingéniosité pour remplir son mandat de promouvoir le sport. En créant l’événement, elle espérait attirer l’attention des commanditaires et combler les besoins de financement.

De par sa nature, l’événement sportif est devenu une cause. Il y a l’enjeu de l’accessibilité, loin d’être réglé. Elle résume ainsi : « Quand on construit, quand on rénove, on pense à tous, pas seulement ceux qui sont dans la norme. » Elle se bat aussi pour que les athlètes handicapés trouvent rapidement comment, et où, exercer leur passion. Simplifier le parcours du combattant, image-t-elle. Pour ce faire, il y a une bonne partie de sa tâche qui relève de la sensibilisation, notamment auprès d’instances gouvernementales.

Une poignée de main à la fois, un message subtil à la fois, elle a convaincu que l’accessibilité aidait tout le monde. Par exemple, une rampe sert autant une personne en fauteuil roulant qu’un aîné qui se déplace avec une canne, qu’un travailleur avec une brouette, qu’un parent avec une poussette, et ainsi de suite.

Au fond, explique-t-elle, tout est une question de reconnaissance. Le mot revient d’ailleurs souvent dans la conversation, comme s’il était l’objectif ultime qui chapeaute tous les autres.

L’accessibilité ? Une question de reconnaissance. Le financement du Défi sportif ? Une question de reconnaissance. L’estime de soi ? Évidemment, une question de reconnaissance.

« Les personnes handicapées ont des droits, mais n’ont pas les moyens d’assumer leurs droits. Une loi existe au Québec pour rendre les choses accessibles, mais ça ne va pas vite. Le jour où on va reconnaître une personne handicapée comme égale, il va y avoir beaucoup de changements. »

« On a pitié de ces personnes-là. On les voit toujours de façon inférieure. On donne des formations pour changer les mentalités, et les gens qui y vont n’y vont pas avec joie. Ça leur est imposé. Dans la perception, les malaises sont encore très présents. La reconnaissance du Défi sportif va venir quand on va lui donner ses lettres de noblesse. Quand on servira les personnes handicapées comme les personnes non handicapées. »

En attendant ce jour auquel Mme Lefebvre aura contribué, les athlètes continueront d’aller chercher leur médaille. Ils continueront de l’apporter à l’école pendant des jours, pour la montrer à tout le monde. Ils continueront de demander à leur professeur d’éducation physique à quel moment commence l’entraînement pour le Défi sportif.

Et ils continueront de côtoyer d’autres athlètes en handisport qui leur rappelleront qu’ils ne sont pas seuls, et qu’ensemble, ils peuvent changer les perceptions.

C’est probablement ça, le plus beau. Et ça commence parfois avec une simple tape dans la main.

Le Défi sportif AlterGo se poursuit jusqu’à dimanche.

La logistique

N’importe quel événement sportif demande une organisation impressionnante. Imaginez quand on ajoute le fait que tous les athlètes ont un handicap. Maxime Gagnon, PDG d’AlterGo, explique : « L’accessibilité est le grand défi, avoir des plateaux accessibles. On va adapter une douche, des hôtels. Les hôtels sont fous de joie quand ils ont quatre chambres accessibles. J’en ai besoin de 100. Qu’est-ce qu’on fait ? On met des blocs sous les lits pour que les lève-personnes entrent. On enlève des meubles, des portes de salle de bains. C’est tout ce qui se passe en coulisses. Ça prend des autobus adaptés, des camions pour les bagages. Tu ne viens pas juste jouer au basket, tu as besoin de ton fauteuil roulant. C’est cette ampleur que le Défi sportif prend. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Quelque 8000 jeunes athlètes participent au Défi sportif AlterGo.

Le financement

Depuis 24 ans, c’est à Maxime Gagnon de concrétiser les idées de Monique Lefebvre. Pour y arriver, il a besoin d’argent, 500 000 $ pour être plus précis. Or, il aura le grand défi l’an prochain de remplacer son commanditaire principal. « Hydro-Québec se retire des commandites sportives, pour nous, c’est majeur. C’est 135 000 $ qu’il faut trouver. C’est difficile pour une cause comme la nôtre. Tu as le Canadien, l’Impact, les Alouettes, le sport amateur, et après le sport pour personnes handicapées. » À noter que le Défi sportif AlterGo présente aussi un volet élite, avec le World Open de boccia, le Championnat canadien de curling en fauteuil roulant, la Classique Chantal Petitclerc de para-athlétisme ou le camp de sélection de l’équipe canadienne de développement de hockey luge.

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Le Défi sportif AlterGo, c’est aussi 145 écoles, 26 pays représentés et 1300 bénévoles.

Valérie Plante

Plusieurs dignitaires étaient à la cérémonie d’ouverture, dont la ministre déléguée à l’Éducation Isabelle Charest, le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant, la mairesse de Montréal Valérie Plante, les porte-parole Jean-Marie Lapointe et Chantal Petitclerc, ainsi que le gouverneur Yvon Deschamps et sa conjointe Judi Richards. « J’ai eu la chance d’honorer Monique Lefebvre à l’hôtel de ville pour saluer son travail, a dit Mme Plante. Ça vient du cœur. Je me donne une mission personnelle de pouvoir encore plus valoriser le travail de cette organisation-là. C’est de l’huile de bras, des gens qui y croient. On a des événements sportifs fantastiques à Montréal, c’en est un très beau. »

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La ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, et la mairesse de Montréal, Valérie Plante, ont participé hier à la cérémonie d’ouverture du Défi sportif AlterGo.