Isabelle Bernier a toujours couru. Même quand la vie lui envoyait les épreuves les plus difficiles à surmonter. Son prochain défi : la Diagonale des Fous, l’une des courses les plus éprouvantes du monde. Portrait.

Isabelle Bernier court parce que c’est un besoin et qu’elle se sent vraiment « à [sa] place » en enchaînant les kilomètres. Elle court pour méditer, se recentrer, contempler, vivre l’instant, écouter la nature ou rendre hommage à des êtres chers partis trop tôt. Elle court et elle a toujours couru : un peu moins lorsque la vie lui a joué de vilains tours et de manière plus disciplinée depuis près de cinq ans.

Cela a débouché sur deux défis de plus de 100 km en 2018 et un nouveau statut d’ambassadrice élite avec La Clinique du Coureur. « C’est mieux que ce que je m’imaginais quand je m’y suis remise. Chaque matin, c’est toujours un cadeau et une surprise », raconte celle qui participera à la mythique Diagonale des Fous en octobre prochain.

Face au lac Stukely et aux sentiers du mont Orford qui sont devenus ses terrains de jeu favoris, la jeune quadragénaire dévoile un pan de sa vie dont les fils conducteurs ont été les arts et le sport. Elle a développé un goût pour le plein air lorsqu’elle était chez les cadets de l’armée. Elle a parallèlement pratiqué l’athlétisme à l’école secondaire. Mais un parcours, autant lors des courses en sentier que dans la vie, ne se présente jamais sans grosses montées ou virages difficiles à négocier.

« Plus jeune, je ne faisais pas beaucoup de compétitions parce que je n’avais pas vraiment confiance. Je voulais me dépasser et me prouver à moi-même, mais j’avais peur, dit-elle. […] Ensuite, j’ai été vraiment malade dans la vingtaine. J’ai fait beaucoup d’anorexie au début de l’âge adulte, j’ai été hospitalisée et tout ça. J’ai étudié longtemps, mais à travers ça, j’ai dû prendre de courtes pauses. J’ai aussi vécu beaucoup de deuils et j’ai eu deux bébés ensuite. Ç’a été une décennie un peu rock’n'roll, mais j’ai toujours continué à courir un tout petit peu. Au courant de la trentaine, je m’y suis remise tranquillement, mais j’avais vraiment peur de faire de la compétition. On a dû me convaincre d’embarquer là-dedans », dit-elle en souriant.

Lors de la reprise de son entraînement, elle n’a pas tenu plus de 900 m. Quelques années plus tard, elle participait au Relais du lac Memphrémagog. Tranquillement, une idée germe en elle : pourquoi ne pas faire le tour du lac en solo, en 2018, après avoir accompagné son équipe durant 74 km supplémentaires l’année précédente ? Si elle n’est pas autorisée à accomplir l’exploit au cours du relais, elle parcourt finalement les 123 km à la fin du mois d’août dernier. Le temps, 15 h 30 min, est anecdotique par rapport aux objectifs initiaux.

« J’ai perdu mon frère et ma sœur, qui se sont suicidés, et c’était un peu une façon de leur dire au revoir. »

— Isabelle Bernier

« C’était ma motivation intérieure. Ça m’a fait du bien et ç’a été assez émotif. C’était super exigeant par rapport à ce que ça signifiait pour moi.

« Les profits du relais vont à la fondation Christian-Vachon qui aide les enfants dans le besoin en leur donnant des fournitures scolaires. J’étais dans ce cas-là quand je suis arrivée avec mes filles dans la région. Ç’a été des années assez difficiles à essayer de me placer. Ç’a été une ressource fondamentale. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Après qu’elle eut publié un billet sur son blogue, cette performance a été largement relayée par les médias régionaux. Cet écho a eu un effet immédiat puisqu’il lui a été proposé de participer à l’Ultra-Trail Maxi-Race China, épreuve de 105 km. « J’ai eu trois semaines pour être prête, gérer le travail et les enfants. J’étais entraînée avec mon défi, mais je n’avais pas ciblé de faire une course comme ça au mois d’octobre. J’étais quand même relativement au repos, mais ça s’est super bien passé », résume-t-elle.

C’est le moins qu’on puisse dire puisqu’elle a remporté le volet féminin. « Jusqu’à 300 m de la fin, je me demandais si j’étais correcte. J’ai arrêté un camion en disant : “Finish, finish.” Oui, c’était la fin, et j’ai été surprise de gagner. J’étais certaine que quelqu’un m’avait doublée parce que je me suis égarée plusieurs fois. »

Elle espère maintenant que son nouveau rôle d’ambassadrice de La Clinique du Coureur lui ouvrira les portes d’aventures auparavant inaccessibles. La Diagonale des Fous sera le plus grand défi sportif de sa carrière, dit l’enseignante en français et en arts plastiques.

« C’est un projet qui nécessite sûrement un brin de folie. Une chance que j’en ai dans ma valise. »

– Isabelle Bernier

Elle rêve aussi de courir dans le parc de Zion, en Utah, de se rendre en Afrique du Sud et de participer au Mountain Hard Rock 100 dans le Colorado.

« J’ai fait de la suppléance pendant 15 ans. Encore maintenant, je suis à contrat et je n’ai pas de sécurité. C’est un fait que la course est un investissement en temps et en argent. Ce rôle d’ambassadrice est un énorme cadeau, une belle surprise et une reconnaissance en même temps. »

Plus facile avec des mots écrits

Isabelle Bernier ne s’exprime pas que dans les sentiers ou sur la route. Elle a déjà publié neuf livres pour enfants dans lesquels elle aborde la course à pied, évidemment, mais aussi l’estime de soi, l’amour familial ou le déménagement. Elle tient aussi un blogue depuis six ans. Depuis toujours, les mots couchés sur une feuille lui viennent plus facilement que les paroles.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

« À la base, je crois que c’est parce que je trouvais ça difficile de parler. L’écriture est aussi un besoin et c’est une façon tellement formidable de communiquer. J’apprends encore à parler, et j’avoue que je découvre également l’importance de cette richesse. Mon grand rêve, en fait, serait de pouvoir gagner un salaire avec ce que j’écris, ce que je peins ou dessine. Je rêve de faire des partages en conférence ou des ateliers, puis de pouvoir courir partout sur le globe avec mes grandes filles. »

Courir par besoin, pour méditer, se recentrer, contempler, vivre l’instant…

Consultez le blogue d'Isabelle Bernier.