Tuktoyaktuk reçoit peu de visiteurs. Le village de l'extrême nord du Canada n'a ni restaurant ni hôtel. En bas, il y a des étendues de neige et en haut, l'immense mer de Beaufort et le pôle Nord. Les touristes sont rares.

La semaine dernière, un Français «hirsute et barbu» a fait irruption dans la bourgade de 500 habitants. Il venait de passer presque trois mois en mer. Il n'avait pas vu l'ombre d'une douche depuis tout ce temps. Pour pimenter la scène, ajoutons que Charles Hedrich arrivait à la rame.

L'aventurier français est parti de l'Alaska le 1er juillet pour sa plus récente aventure, qui consiste à traverser pour la première fois le passage du Nord-Ouest à la rame. Mais malgré la fonte des glaces et des équipements nautiques de plus en plus sophistiqués, le dangereux passage n'a rien perdu de ses pièges.

Vers le milieu de son périple, alors qu'il se voyait cerné par les glaces, Hedrich a dû renoncer à réussir son exploit cet été. Débarqué le 9 septembre à Tuktoyaktuk, il a passé quelques jours à remiser son navire dans la maison d'une Inuit. Il est depuis rentré à Paris et entend finir la traversée la saison prochaine.

«Jusqu'à la fin, je gardais l'espoir de boucler la traversée en une saison. Mais c'est une année avec beaucoup de glace, explique l'aventurier, joint à Paris. J'allais être bloqué. Alors il a fallu se rendre à l'évidence.

«Je n'en prends pas ombrage, Amundsen a mis trois saisons pour franchir le passage», rappelle le Français, en référence au Danois Roald Amundsen, le premier à franchir le passage du Nord-Ouest, en 1906, dans un voilier de 21 m, le Gjøa.

Hedrich a déjà franchi le passage il y a quatre ans, mais à la voile et dans le sens plus habituel qui consiste à voyager d'est en ouest. Cette fois-ci, il est parti de l'Alaska pour rejoindre le Groenland.

Plusieurs expéditions bloquées

Mais alors que plusieurs expéditions avaient pour but de franchir cet été le célèbre passage, la météo s'est montrée capricieuse. Plusieurs Inuits et scientifiques rencontrés par Charles Hedrich lui ont mentionné que la glace avait été plus présente cet été que par les années passées.

Une expédition canadienne qui visait également à franchir le passage à la rame - quoique dans un trajet plus court que celui du Français - a aussi dû renoncer avant terme. Une émission de téléréalité américaine projetait quant à elle de filmer des participants vaincre le passage en motomarine. Ils ont aussi été forcés à l'abandon.

Richard Weber, un explorateur polaire qui vit dans l'Arctique depuis des années, a confirmé dans une entrevue au Vancouver Sun la présence importante de glace. «Ce doit être la saison d'été la plus froide depuis 2000. Le passage du Nord-Ouest est bloqué par la glace.»

Charles Hedrich ne s'en cache pas, il aurait préféré réussir la traversée d'un coup. Mais il voit l'arrêt forcé à Tuktoyaktuk comme une occasion. Il compte y retourner cet hiver, par l'autoroute de Dempster, qui part du Yukon jusqu'à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Puis il va franchir les 200 km restants jusqu'à Tuktoyaktuk en empruntant une route gelée qui n'existe qu'en hiver. «Je veux voir l'hiver là-bas», dit-il.

Il reprendra sa traversée l'été prochain. Déjà, il estime que même tronquée, l'aventure en valait la chandelle. «De tout ce que j'ai pu faire comme expéditions - au pôle Nord, en Antarctique, dans le désert, dans l'Himalaya, lors de mon tour du monde à la voile -, c'est l'expédition où j'ai vu le plus d'animaux, lance Hedrich. Les baleines, les morses, les phoques, les caribous... Il y a là une nature absolument fantastique.»