La deuxième période faisait rage, le 24 février dernier, quand Jonathan Drouin a reçu la rondelle. L'ailier gauche des Mooseheads de Halifax se trouvait à quelques mètres du filet du Titan d'Acadie-Bathurst.

Le Québécois, probablement le joueur le moins costaud sur la glace, a commencé par se débarrasser du centre du Titan. Une, deux, trois feintes et Christophe Lalancette était dans la brume. Une autre feinte a eu raison d'un défenseur. Le tir raté de Drouin s'est retrouvé de l'autre côté du but. Il a traversé la patinoire et saisi son propre retour en plaquant Lalancette. Quelques feintes plus tard, il livrait une passe à son coéquipier qui n'a eu qu'à enfiler le but.

Il s'agissait d'un tricot d'anthologie. La séquence n'a pas duré 20 secondes. Elle est néanmoins devenue emblématique de Jonathan Drouin, qui a fini sa soirée avec un but, trois mentions d'aide et la première étoile. Le jeu met en évidence la vision exceptionnelle et les mains habiles de l'ailier gauche. Mais selon son entraîneur, il traduit aussi le caractère de battant du joueur de 18 ans.

«Sur sa présence d'avant, il avait raté un jeu à trois contre un. Il est revenu au banc et il était fâché. Je le voyais, je le savais, raconte l'entraîneur-chef des Mooseheads, Dominique Ducharme. Il voulait retourner sur la glace, remettre les pendules à l'heure. Je savais qu'en le renvoyant vite, il y aurait des flammèches. Il est fier, c'est un compétiteur.»

Le hockey sur le tard

Jonathan Drouin est aujourd'hui le meilleur espoir québécois au repêchage. Il a terminé la saison de 49 matchs avec une impressionnante récolte de 41 buts et 64 aides. Il a été nommé joueur de l'année dans la Ligue canadienne de hockey et joueur le plus utile à son équipe dans la LHJMQ. Il a gagné la Coupe Memorial avec les Mooseheads. Ses exploits font oublier ses modestes 5'10.

Son histoire est celle d'une ascension fulgurante. Drouin a commencé à jouer au hockey sur le tard. «Il avait 7 ans et demi, précise son père, Serge. On a tout de suite vu qu'il avait du talent. Mais on a surtout remarqué qu'il aimait vraiment, vraiment le hockey.»

Le jeune originaire des Laurentides a donné ses premiers coups de patin sur la patinoire d'Huberdeau, au sud de Mont-Tremblant. Il jouait au hockey depuis moins de deux ans lorsqu'il s'est retrouvé dans un match contre les Lions du Lac-Saint-Louis.

Un des dirigeants des Lions se rappelle l'épisode. «Je pense qu'il avait marqué neuf buts. On n'en revenait pas, alors on lui a demandé de venir jouer dans notre équipe, se souvient Erasmo «Raz» Saltarelli. On a tout de suite remarqué sa passion pour le hockey. L'été, au camp, je l'ai déjà vu passer huit heures sur la glace sans pause. Il voulait toujours gagner, être le meilleur, réussir. Il ne prenait pas de jours de congé. Il voulait toujours être sur la patinoire.»

Drouin a donc rejoint les Lions. La famille a refait son nid à Dollard-des-Ormeaux. Le jeune joueur étudiait à Pierrefonds, en anglais. L'espoir a en effet complété toutes ses études dans cette langue. «Ma mère était anglophone, alors on pouvait l'envoyer à l'école en anglais», précise Serge Drouin, qui travaille dans un Centre-jeunesse, tout comme la mère de Jonathan, Brigitte.

Serge Drouin a gardé son emploi dans les Laurentides. «J'ai fait beaucoup de voiture», rappelle-t-il.

Les sacrifices ont porté leurs fruits. L'ailier gauche a été sélectionné au deuxième rang lors du repêchage 2011 de la LHJMQ. Nathan McKinnon a été repêché juste devant lui. Les deux se sont rejoints chez les Mooseheads.

Tout s'est bousculé. En l'espace de quelques mois, il a intégré Équipe Canada junior et fait le saut dans le junior majeur. Drouin est le premier hockeyeur à avoir joué la même année au niveau midget AAA, dans le junior majeur ainsi qu'aux Championnats du monde des moins de 17 ans, 18 ans et 20 ans.

Un gars ordinaire

En Nouvelle-Écosse, Jonathan Drouin a atterri dans une famille d'accueil québécoise. Sébastien Bilodeau, un militaire en poste à Halifax, Katie St-Martin et leurs enfants ont accueilli le hockeyeur sous leur toit.

«C'est un garçon très sérieux, très à son affaire, très axé sur le hockey, énumère Katie St-Martin. Il ne se mêlait pas beaucoup et était très solitaire. Il regardait beaucoup de vidéos de hockey. Ce n'est pas un gars avec une grosse tête. Il est très terre-à-terre. Au début, pour mes enfants, c'était «Drouin». Ils étaient gênés devant lui; c'est une petite star à Halifax. Mais c'est vite devenu «Jo».»

En entrevue, Jonathan Drouin peut sembler éteint. Son père le décrit comme «humble, travailleur et sérieux». «C'est un bon petit gars», glisse sa mère. On est loin de la rock star. «Jo» est un gars ordinaire. Un gars ordinaire avec un sérieux talent au hockey.

«Quand on a vu son jeu contre le Titan, nous, on n'était vraiment pas surpris. Les gens s'excitaient, mais nous, on l'a vu faire ce genre de jeux depuis qu'il a 9 ans, raconte Erasmo Saltarelli. Il a toujours voulu être le meilleur sur la glace. Plus souvent qu'autrement, il a réussi à l'être.»

L'ascension fulgurante de «Jo» va connaître une autre étape demain lorsque, à Newark, au New Jersey, il sera vraisemblablement le premier Québécois repêché.

Certains osent le comparer à Pavel Datsyuk. Jonathan Drouin sourit à cette mention. La comparaison est, bien sûr, prématurée. Personne ne sait s'il parviendra à déployer tout son talent dans la Ligue nationale, s'il pourra hausser son jeu. Personne ne sait si un jour, contre les meilleurs joueurs de hockey du monde, il réussira d'autres petits miracles comme celui du 24 février dernier.

Personne ne sait. Sauf que ceux qui l'ont côtoyé au fil des ans n'en doutent pas une seconde.