Le 15 mai 1991, à 8h30, Yves Laforest est devenu le premier Québécois à gravir l'Everest, près de 10 ans après le premier Canadien.

Le petit grimpeur ne s'est pas éternisé à 8846 mètres. Il a pris deux «rouleaux» de photos. Il a admiré les montagnes enneigées du Népal et du Tibet. Il a lancé ces mots simples dans la radio à l'attention de son équipe restée au camp de base: «Je suis sur le plus haut sommet du monde, j'ai un peu de mal à le croire...»

En tout, il restera 45 minutes au sommet. On ne s'éternise pas sur le toit du monde. Le passage de Laforest dans l'imaginaire québécois sera aussi furtif. Le héros improbable et discret, l'aventurier taciturne et humble disparaîtra 12 ans plus tard dans une ultime expédition. Sa mort est encore aujourd'hui entourée de mystère.

Rick Wilcox se souvient très bien d'Yves Laforest. Ce grimpeur américain était le chef de l'expédition de 1991. C'est lui qui a réuni le groupe de huit alpinistes, tous américains à l'exception de Laforest.

«J'avais connu Yves au Pérou, où il avait réussi de difficiles ascensions en solo. C'était un grimpeur hors pair, raconte Wilcox. On est devenus amis et quand j'ai eu l'idée d'organiser une expédition avec des alpinistes de la Nouvelle-Angleterre, je l'ai invité parce que c'était un gars sérieux et fiable.»

Wilcox, qui a aussi réussi à atteindre le sommet en 1991, rappelle que l'Everest n'était pas aussi couru alors qu'aujourd'hui. «Quand vous regardez nos photos, il n'y a personne. Nous étions seuls. Aujourd'hui, ce serait impossible. Il y a tellement de monde sur l'Everest.»

Yves Laforest était de petit gabarit. Son allure pouvait trancher avec celle des costauds alpinistes américains. «Il pesait 130 livres à tout casser et était très petit. C'était un végétarien, raconte Wilcox. On mangeait plein de viande pour se donner de l'énergie, mais Yves mangeait des noix et du granola.»

L'équipe est restée presque deux mois à l'Everest. L'ascension s'est révélée complexe. Seulement deux fenêtres météo se sont ouvertes. À la première tentative, les grimpeurs ont dû rebrousser chemin quand une tempête s'est levée. La deuxième aura finalement été la bonne.

Dans L'Everest m'a conquis, Laforest raconte ses doutes et ses peurs. Après l'échec de la première tentative, il réfléchit sérieusement à la possibilité d'abandonner. «Yves craignait davantage la montagne que nous, dit Wilcox. Nous la craignions tous, bien sûr: à l'époque, il n'y avait pas encore d'internet, pas de cordes fixes jusqu'au sommet, pas de prévisions météo sur l'Everest. Mais Yves la craignait un peu plus encore. Il était très méticuleux, très précautionneux.»

Photo archives La Presse

La progression ardue d'Yves Laforest entre le camp de base et le camp 1, sur le glacier Khumbu.

Une fin mystérieuse

À son retour au Québec, Yves Laforest a réalisé la ronde d'entrevues de circonstance. Il a acquis une certaine célébrité; on a même construit un char allégorique en son honneur lors de la parade de la Saint-Jean-Baptiste. Mais Laforest a semblé davantage surpris par sa soudaine célébrité qu'épris par elle.

«Il était connu, il était visible, mais ce n'était pas un grand orateur, explique Richard Chartier, un journaliste retraité de La Presse qui a bien connu l'alpiniste. Il a fait quelques conférences, mais ça n'a jamais été un grand succès. Il n'a peut-être pas été reconnu comme il aurait dû l'être. Un gars comme Bernard Voyer, le verbe facile, a eu plus de reconnaissance.»

Laforest est déménagé plus tard dans l'ouest du pays en quête de nouvelles aventures. Son nom est revenu dans les manchettes au Québec en 2003, lorsqu'une expédition à laquelle il participait a tourné à la catastrophe.

«Trois alpinistes aguerris, dont Yves Laforest, premier Québécois à avoir gravi l'Everest, manquent à l'appel depuis samedi, pouvait-on lire en page A6 de La Presse du 6 août 2003. Après avoir atteint le sommet du mont Hope Peak, en Colombie-Britannique, ils auraient tenté de descendre la rivière Incommappleux, d'où ils ne sont pas revenus.»

Le seul survivant se souvient avoir aperçu Yves Laforest accroché à un kayak renversé. Il était conscient. Puis, il ne l'a plus revu. On retrouvera dans les jours suivants les vestes de flottaison ayant appartenu aux aventuriers. Cinq jours après la disparition, la GRC abandonnera les recherches sur la rivière Incommappleux, un cours d'eau sauvage et méconnu.

«C'était un gars méticuleux, qui ne laissait rien au hasard. Pourquoi est-il allé sur une rivière, qui n'était pas son élément? demande Richard Chartier. Je l'ignore.»

Cet hiver-là, une cérémonie a été célébrée à l'oratoire Saint-Joseph en l'honneur des disparus. Le corps d'Yves Laforest n'a jamais été retrouvé. Il avait 47 ans.

«Quand je me rappelle Yves sur l'Everest, je pense à un homme tellement responsable, plein de précautions, lance Rick Wilcox. J'ai été très triste d'apprendre sa disparition. Triste, mais aussi très surpris.»

Photo archives PC

Le retour d'Yves Laforest au Québec, après son exploit, entouré de son père et de sa femme à l'aéroport de Dorval.