C'est l'histoire de 900 fous qui se sont donné rendez-vous dans le désert du Maroc pour un ultra-trail de l'extrême: 246 kilomètres dans les dunes, en totale autonomie. Parmi eux, un Québécois de 39 ans. Bienvenue au 27e Marathon des sables, qui a pris fin hier.

Il est 6h ce matin-là et il ne fait pas encore jour. Laurent Jugant est mal réveillé. Il bougonne. Il a mal partout. Au dos, aux épaules, aux mollets. Et on ne parle même pas de ses pieds tout cloqués qu'il a soignés lui-même avec une paire de ciseaux et «un bout de sparadrap». Il dit qu'il ressemble à «un blessé de guerre». L'étape de la veille, 81 kilomètres de chemins bossus et de dévers qui ribouldinguent, lui a fait mal. «Je savais que j'allais vivre là quelque chose d'exceptionnel, mais pas à ce point, franchement...»

Les Bédouins ont donc raison, il faut être un peu fou, un peu «majnoun» comme ils disent, pour vouloir souffrir autant dans un lieu où l'on vient habituellement prendre du plaisir. À moins que cette souffrance-là, ces pieds en sang, ce ventre qui crie famine, cette bouche déshydratée, ces crampes qui bloquent les mollets, ces yeux qui piquent, cette peau qui brûle sous le soleil, ne renforcent encore le plaisir de se perdre pendant six jours dans les sables du désert, seul et autosuffisant. «C'est vrai qu'on est peu fous», se marre celui qui est serveur à Montréal dans la vraie vie. Dans la vraie vie, justement, quiconque aurait les pieds dans cet état-là filerait directement chez le docteur. Ici, «tu as le droit de souffrir, mais tu le gardes pour toi.»

C'est cela, le Marathon des sables. 246 kilomètres dans le désert à parcourir en six étapes, où il fait plus de 40 degrés parfois. Le tout en totale autonomie, ce qui signifie que chaque concurrent doit trimballer son sac à dos pendant toute l'épreuve. «Les meilleurs ont des sacs de 7 kg. Le mien fait 11 kg, et pourtant je n'ai rien. Juste de la bouffe». La «bouffe»? Des produits lyophilisés sur lesquels celui qui porte le dossard 939 a noté au marqueur la valeur en calories: «Ce sachet-là, c'est 490 calories.»

Le coureur tient également à nous montrer là où il dort le soir après chaque épreuve. Il s'agit d'une simple bâche noire à l'intérieur de laquelle on a installé un minuscule tapis au sol. «Il y a des cailloux, des trous. Je ne vous raconte pas mes articulations.»

Le bal des survivants

Et ces conditions, c'est pareil pour tout le monde. «Regarde le mec là-bas, c'est le Jordanien Salameh Al Aqrah, une vraie star. Et t'as vu où il dort? Comme moi, comme tout le monde, quasiment à même le sol. T'as beau être un champion, tu n'es pas VIP ici.»

Salameh Al Aqrah, c'est ce petit bonhomme tout frêle qui a remporté le 27e Marathon des sables en 19 heures et 59 minutes. Laurent Jugant, lui, a terminé 55e, en 30 heures et 29 minutes. «Pas mal, hein?»

Derrière, c'est le bal des survivants, une autre course dans la course. Pour tous ceux-là, aussi méritants que les premiers, le but c'est de terminer coûte que coûte. Tout passe sur le visage de ces rescapés. Le bonheur, la douleur, la souffrance, la délivrance, la rédemption, la contemplation. Et tout ça, tous ces sacrifices, pour pas un kopeck. «Juste le plaisir de courir et d'aller au bout, coupe Laurent Jugant. Je voulais me prouver que je pouvais faire des choses étonnantes.» Il marque un silence, puis reprend: «Je pense que je vais m'en rappeler toute ma vie».

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L'AUTRE COURSE CONTRE LA MONTRE

Chaque matin, après le départ des coureurs, c'est une autre course-la-montre qui commence. Pour les organisateurs cette fois. «Il faut démonter l'ensemble du bivouac et le déplacer 20 ou 30 kilomètres plus loin sur la prochaine arrivée, explique Patrick Bauer, directeur de course. On travaille un peu comme un grand cirque, on est également itinérants, mais dans des conditions extrêmes. Ce déménagement express se fait parfois sous une tempête de sable, ou une nuée d'orages». Le Marathon des sables, c'est environ 450 personnes pour l'encadrement général, 300 tentes berbères et sahariennes, 120 000 litres d'eau en bouteilles, 100 véhicules, deuxhélicoptères, et un véritable hôpital ambulant composé de 52 membres: des infirmiers, des docteurs, des anesthésistes, des chirurgiens et même un dentiste.