Brian Orser n'a jamais oublié sa déception des Jeux de Calgary, en 1988. «J'ai eu l'impression d'avoir laissé tomber toute la nation», a rappelé l'ex-champion du monde, il y a quelques semaines à Québec, en marge de la finale du Grand Prix ISU.

Peu de sports sont plus cruels que le patinage artistique. Au plus haut niveau, les athlètes s'entraînent pendant des années dans l'espoir de prendre part aux Jeux olympiques. Ils n'ont ainsi qu'une chance tous les quatre ans, autant dire une ou deux dans toute une carrière, de réaliser leur rêve.

Le Canada a produit de nombreux champions du monde, dans toutes les disciplines, mais nos patineurs n'ont remporté que quatre médailles d'or olympiques. Chez les hommes, pas moins de sept Canadiens ont été champions du monde, mais aucun n'a réussi à triompher aux Olympiques.

Deux fois, en 1988 et 1994, des patineurs ont porté le drapeau canadien aux cérémonies d'ouverture: Orser et Kurt Browning. Tous deux arrivaient aux Jeux dans la peau du favori. Champions du monde en titre, vainqueurs des épreuves préparatoires, ils étaient les meilleurs espoirs du Canada, qui n'avait pas encore l'habitude de collectionner les médailles d'or.

À Calgary, en 1988, le Canada risquait d'être encore «blanchi» en ne remportant pas de médaille d'or chez lui, comme cela avait été le cas à Montréal en 1976. «J'en avais fait ma mission personnelle, a expliqué Orser. Nous étions le seul pays dans cette situation et je voulais vraiment être le premier [à gagner une médaille d'or]. Dans ma tête, je ne me voyais pas autrement que champion olympique. Je n'avais jamais imaginé la défaite.»

Orser n'a pourtant pas gagné, s'inclinant d'un petit dixième de point devant l'Américain Brian Boitano dans la compétition de patinage artistique la plus serrée de l'histoire olympique. Comme c'est souvent le cas, cette deuxième place, tout près de la victoire, était la pire possible pour le Canadien.

Cette nuit-là, il s'est réfugié dans une clinique du village olympique, inconsolable et incapable de trouver le sommeil. «Ça m'a pris au moins 10 ans avant d'être capable de revoir ma performance des Jeux, a-t-il admis. Encore aujourd'hui j'ai un pincement au coeur chaque fois que j'y pense.»

Devenu entraîneur, Orser a mené la Coréenne Kim Yu-Na à la médaille d'or des Jeux de Vancouver. Une sorte de consolation, même s'il avoue que rien ne pourra lui faire oublier sa déception de Calgary.

Le pardon des amateurs

De son côté, Browning a connu encore plus de succès qu'Orser... sauf aux Jeux. Quatre fois champion du monde, premier patineur à réussir un quadruple saut en compétition, il n'a jamais pu faire mieux qu'une cinquième place en trois participations olympiques. Toujours actif à 45 ans sur le circuit professionnel, le patineur se console avec l'amour de ses supporteurs.

«J'ai eu une longue carrière, très publique, avec des hauts et des bas, a rappelé Browning à Québec. Les amateurs ont eu la chance de me connaître et de partager les émotions des victoires et des défaites avec moi. J'aime aller vers les gens, les rencontrer et cela m'a bien servi puisqu'ils m'ont beaucoup aidé à encaisser les coups durs. Les amateurs m'ont toujours pardonné...»

Favori des Jeux de Lillehammer en 1994, après avoir prolongé sa carrière amateur dans l'espoir d'enfin enlever la médaille d'or qui manquait à son palmarès, Browning a gâché toutes ses chances dès le programme court. «L'une des pires performances de toute ma carrière», résume-t-il.

«C'est fini, mes espoirs olympiques sont envolés», avait-il expliqué à la télévision, quelques minutes après la compétition, avant d'ajouter: «Je sais que beaucoup de Canadiens sont tristes et déçus, je suis désolé...»

Négativisme à Nagano

Est-ce le poids de ces exemples qui a fait craquer Jean-Luc Brassard, quelques années plus tard aux Jeux de Nagano?

Porte-drapeau pour le Canada, le skieur acrobatique était encore tout auréolé de la médaille d'or enlevée à Lillehammer quatre ans plus tôt, de ses trois championnats du monde, de ses 43 podiums. Un peu mal à l'aise d'avoir été choisi alors que sa compétition débutait le lendemain des cérémonies d'ouverture, Brassard a déclenché une véritable tempête politique en dénonçant la présence excessive des drapeaux canadiens au village olympique...

«Tout ce qui s'est passé à Nagano a été négatif, a rappelé Brassard récemment. J'étais au coeur d'un conflit sans l'avoir voulu. La moitié du pays m'aimait, l'autre moitié me détestait, tous pour les mauvaises raisons. Je me sentais traqué, je n'avais confiance en personne. Comment aurais-je pu me concentrer sur le ski?»

Seulement quatrième de l'épreuve des bosses, Brassard a vu sa carrière péricliter après les Jeux. La défaite a semé le doute dans son esprit, les blessures s'en sont mêlées et il n'a jamais retrouvé le sommet.

Aujourd'hui, Brassard assure pourtant garder un bon souvenir de ses trois participations olympiques. Et Kurt Browning jure qu'il n'échangerait jamais l'un de ses titres mondiaux contre une médaille olympique.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Jean-Luc Brassard