L'histoire du sport, plusieurs fois millénaire, est riche d'épisodes sanglants et meurtriers. Plusieurs philosophes n'hésitent pas à dire que la violence est indispensable à un certain spectacle sportif. Cette violence s'exprime toutefois à l'intérieur de règles de plus en plus nombreuses imposées par l'organisation sportive et par la société. Dans ce deuxième volet de notre série sur la violence dans le sport, nous examinons certains aspects de l'histoire du «contrôle» de cette violence

On présente souvent les Jeux olympiques de l'Antiquité comme l'une des sources du sport moderne, mais les historiens rappellent que les jeux du cirque ont aussi exercé une grande influence. Cela est particulièrement évident dans les sports de combats, mais aussi dans la «mise en scène» d'un spectacle sportif et dans le rôle attribué aux spectateurs.

Le professeur français Stéphane Héas explique: «Les pratiques corporelles comme le pancrace (lutte ancienne) étaient d'une extrême violence, ajoute le sociologue, pouvant aller jusqu'à la mort des protagonistes. Les spectateurs exprimaient ainsi leur propre violence par un mécanisme de transfert qui opère encore de nos jours dans certaines disciplines sportives.»

Héas, avec ses collègues Dominique Bodin et Luc Robène, de l'Université de Rennes, a publié en 2004 Sports et violences en Europe, une vaste analyse qui aborde toutes les dimensions de la question. Alors que certains dénoncent aujourd'hui une «augmentation» de la violence dans les sports, les chercheurs décrivent plutôt l'évidente diminution de la violence physique entre les compétiteurs.

«La société se pacifiant, les activités sportives ont suivi le même cheminement au point que les plus violentes d'entre elles, la boxe par exemple, ont vu leurs effectifs fondre en l'espace d'un siècle, au profit d'activités physiques émergentes qui privilégient l'esthétisme ou la nature», rappelle Héas.

En parallèle, le seuil de tolérance à la violence sportive a beaucoup diminué. Le sport est ainsi un puissant révélateur de nos sociétés et de leurs transformations. Certains auteurs, les Britanniques Elias et Dunning notamment, estiment que les sports modernes participent activement au contrôle de la violence.

Dans un ouvrage classique intitulé Sport et civilisation - La violence maîtrisée, ils rappellent que le sport moderne est né en Angleterre pour parfaire l'éducation des jeunes dans les écoles réservées à l'élite. En s'étendant progressivement au reste de la société, le sport est devenu «un moyen d'apprentissage du contrôle et de l'autocontrôle des pulsions», tout en restant «un espace toléré de débridement des émotions».

Les théories d'Elias et Dunning ont été largement reprises dans l'étude du hooliganisme, particulièrement virulent en Grande-Bretagne dans les années 80. En tentant d'expliquer pourquoi et comment la violence est restée présente dans le sport, alors qu'elle n'était plus tolérée ailleurs, ces auteurs et d'autres ont mis en lumière la dualité du phénomène sportif, une dualité qui est particulièrement évidente au hockey.

Quelle violence au hockey?

Apparu dans la dernière partie du XIXe siècle dans la forme qu'on lui connaît encore aujourd'hui, le hockey a tout de suite été caractérisé par sa violence. La légende veut que le premier match de l'histoire, entre des étudiants de l'Université McGill, ait pris fin par une bagarre avec des patineurs venus les déloger de la glace...

Certains chercheurs attribuent la violence du hockey à l'influence du rugby, que pratiquaient également plusieurs joueurs anglophones. D'autres la lient à la crosse, un sport très populaire à l'époque chez les francophones.

Michel Vigneault a rédigé sa thèse de doctorat sur les origines du hockey et il rappelle que la crosse, un autre sport pratiqué dans un espace clos, était justement à l'époque celui qui attirait les plus grosses foules, en raison notamment des nombreuses bagarres.

L'historien Bill Fitsell, président de la Society for International Hockey Research, estime que même si les relations étaient tendues entre équipes de différentes origines ethniques, les bagarres n'existaient pas à l'origine au hockey. «Les premières règles pénalisant les bagarres ne sont apparues que 40 ans après les débuts du hockey organisé, explique Fitsell. Les bâtons étaient bien plus dangereux que les poings et au moins deux joueurs sont morts au début des années 1900 après avoir reçu des coups à la tête.».

Les incidents du genre ont heureusement pratiquement disparu à partir de la fin des années 70. Les bagarres, par contre, se sont multipliées, on n'a qu'à penser aux Flyers de Philadelphie, les fameux «Broad Street Bullies», deux fois vainqueurs de la Coupe Stanley en 1974 et en 1975. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'y avait qu'une bagarre à tous les cinq matchs dans la LNH au début des années 60. En 1987-1988, il y avait 1,3 bagarre par match!

Si la moyenne est redescendue à environ une bagarre à tous les deux matchs, les dirigeants de la LNH ne songent pas à interdire les bagarres. Le commissaire Gary Bettman l'a encore répété récemment à la suite de la parution d'une série de reportages sur l'ancien bagarreur Derek Boogaard, prétextant que les bagarres demeuraient un exutoire nécessaire au contrôle d'autres gestes «plus violents».

Un code entre les joueurs?

Le journaliste et auteur Adam Gopnik, du New Yorker, a beaucoup écrit sur son amour du hockey et avoue s'être enthousiasmé pour les bagarres quand il était plus jeune à Montréal. Son analyse de la question rejoint celle de Bettman.

«Le plus souvent, écrivait Gopnik récemment, les bagarres ne sont qu'un intermède, avec deux goons qui acceptent de donner un spectacle et se frappent pendant une minute ou deux. Ces bagarres sont disgracieuses et je gagerais qu'en dépit de leur popularité chez certains partisans, il n'y en aura pratiquement plus dans cinq ans.

«D'autres bagarres, qui éclatent dans la passion du moment en raison de griefs sincères d'un joueur envers un autre, témoignent plutôt d'un effort des joueurs pour s'autopolicer. Depuis un siècle maintenant, la possibilité d'engager un combat contre un "vilain" a été et reste ce qui empêche ce joueur de tenter de blesser d'autres adversaires.

«Je ne suis pas vraiment convaincu que cela fonctionne très bien, mais les joueurs ne jurent que par ce code et ce sont eux qui sont sur la glace...», conclut Gopnik.

Le columnist Adam Proteau, de Hockey News, s'est appliqué à démonter cette interprétation dans un livre récent, Fighting the Good Fight. «Les bagarres n'empêchent pas les joueurs salauds de continuer à donner des coups sournois et dangereux, sauf dans les cas les plus exceptionnels», souligne-t-il, tout en estimant que les dirigeants de la LNH refusent d'éliminer les bagarres parce qu'ils estiment qu'elles contribuent au spectacle.

À la fin des années 70, dans une étude très détaillée de la violence au hockey junior, le criminologue Jean Poupart, de l'Université de Montréal, n'expliquait pas différemment les fondements des comportements violents des joueurs. Il soulignait fort justement que leur violence - dans les bagarres notamment -, «trouvait leurs sources dans les politiques de financement, de production et de recrutement des organisations qui gèrent les équipes».

Plus de 30 ans plus tard, il faut convenir que ces sources sont toujours là et que la violence fait encore recette.

Photo: AP

Brent Hughes et Dave Schultz