Des milliers de gens passent devant chaque jour. Certains s'arrêtent pour boire à cette fontaine publique particulière. De style Art déco, elle ressemble un peu à une pierre tombale et, dans un sens, c'en est une.

Des milliers de gens passent devant chaque jour, mais bien peu remarquent l'inscription dans la pierre: Rubenstein. Et la plaque de l'autre côté: Louis Rubenstein, 1862-1931, conseiller municipal, champion mondial de patinage artistique...

 

Le modeste monument se trouve à l'angle de l'avenue du Parc et de l'avenue du Mont-Royal, sur le coin sud-est. Il s'agit du seul monument érigé en l'honneur d'un Juif à Montréal, selon mon collègue John Kalbfleisch, de The Gazette, qui connaît bien le sujet (M. Kalbfleisch en connaît beaucoup plus, en tout cas, que les cinq fonctionnaires municipaux qui ont joué au ping-pong avec moi pendant quelques jours...).

Louis Rubenstein, donc, fils d'immigrants polonais qui ont fait fortune dans l'industrie du vêtement, un domaine que les dynamiques Juifs de Montréal ont dominé et dominent toujours. Nous ne devons pas oublier l'énorme contribution des Juifs dans le développement de notre ville.

Mais le jeune Louis était athlétique et sportif. Champion patineur de Montréal, puis du Canada, puis des États-Unis, il s'est rendu en Russie tsariste, en 1890, pour y disputer le championnat du monde.

À son arrivée, les autorités russes ont confisqué son passeport, l'ont confiné à son hôtel et lui ont fait savoir qu'il ne pourrait participer à la compétition parce qu'il était juif, un point c'est tout. Ce n'était pas une bonne idée d'être juif en Russie à cette époque, nous dit M. Kalbfleisch. Pas seulement à cette époque, pourrait-on ajouter...

Louis Rubenstein, qui a avoué plus tard avoir pensé à la Sibérie, a donc contacté l'ambassade d'Angleterre - le Canada n'avait pas d'ambassade en Russie à l'époque - et les Brits sont venus à sa rescousse. Sous la pression de l'ambassadeur anglais, Sir Robert Morier, les Russes ont remis son passeport au Montréalais et, toujours sous pression, l'ont autorisé à participer à la compétition de Saint-Pétersbourg.

Rubenstein a tellement dominé, même contre les patineurs russes, que les juges n'ont eu d'autre choix que de lui accorder la médaille d'or. Mais, quelques jours plus tard, on lui a appris qu'un patineur russe avait déposé une réclamation et qu'il n'était plus le champion. Retour des Brits. Les Russes ont finalement cédé: Louis Rubenstein a de nouveau été couronné champion du monde et on lui a recommandé de quitter la Russie le plus tôt possible.

Les archives de The Gazette nous apprennent qu'il a été accueilli par une foule en délire à sa descente du train, à Montréal, en mars 1890. Il avait 28 ans.

Louis Rubenstein a ensuite été conseiller municipal du district Saint-Louis, où se trouve son monument. Il a occupé le poste jusqu'à sa mort, en 1931.

Il est toujours demeuré un sportif passionné. Il a fondé et dirigé plusieurs associations et fédérations sportives, dont celles du cyclisme et des quilles, un sport qui allait devenir très populaire à Montréal et dans lequel il excellait. Et il a toujours travaillé dans l'entreprise familiale.

Alors si vous entrez au parc Jeanne-Mance par le coin du Parc et Mont-Royal, vous êtes accueilli par un petit monument, de l'eau à boire et par Louis Rubenstein, un grand Montréalais.

 

Photo: Archives La Presse