Ça devait être rendu environ 9-1 pour les Red Wings en cette triste soirée du 4 décembre 1995 quand le téléphone a sonné dans le vestiaire du Canadien entre la deuxième et la troisième période.

«Dans ce temps-là, j'appelais dans la chambre (du Canadien), se remémore l'agent de Patrick Roy, Robert Sauvé. Je savais que c'était grave et que ça n'allait pas bien. Je lui ai dit laisse faire ça, je m'en viens te chercher, on va aller chez nous.»

Roy venait de se faire compter neuf buts par les Wings de Scotty Bowman quand l'entraîneur Mario Tremblay l'a finalement ramené au banc. Hors de lui, le gardien vedette du Canadien allait repasser devant son entraîneur pour chuchoter au président Ronald Corey, assis derrière le banc, qu'il s'agissait de son dernier match à Montréal.

S'il était introuvable dans le vestiaire après la rencontre, c'est qu'il était déjà chez Robert Sauvé.

Le lendemain à l'aube, le directeur général Réjean Houle annonçait à Sauvé et à Roy que le divorce était inévitable. Ainsi prenait fin la carrière de l'illustre gardien avec le Tricolore qui, quelques jours plus tard, était échangé à l'Avalanche du Colorado.

Robert Sauvé était ému hier, alors qu'il prenait place dans la première rangée à la conférence de presse au Centre Bell pour annoncer le retrait du chandail numéro 33. Un contraste frappant avec son stoïcisme habituel.

«C'est très émotif, oui. Je trouve que c'est une belle journée. À un moment donné, il faut rentrer dans les rangs. Même si un a fait ci, l'autre a fait ça, il faut passer à autre chose. Eux sont très contents et lui est soulagé. L'échange, ça a été une des choses les plus toughs que j'ai eu à vivre. J'étais très, très chum avec Patrick. Il a passé quelques nuits chez moi après ce match. On a été quatre ou cinq jours à ne pas dormir. On essayait d'écrire des discours et parfois, on se regardait tout d'un coup et on partait à brailler tous les deux. On était sur un downer, on était fatigués, c'était un mélange de fatigue et d'adrénaline. Ça m'a fait beaucoup de peine tout ça. Ça a été tough à vivre parce que moi, en plus, je commençais dans le métier.»

Robert Sauvé, qui avait remplacé Pierre Lacroix à la tête de la firme Jandec un an plus tôt quand Lacroix a accepté le poste de DG des Nordiques, ne s'est pas opposé au divorce prononcé par le Canadien.

«On avait rencontré Réjean le lendemain matin du match contre Détroit. Je me rappelle qu'on avait demandé à Réjean qu'elle était la position du Canadien de Montréal. Réjean avait répondu que le Canadien allait procéder à un échange. Je ne sais pas ce qui se serait passé si j'avais dit le contraire, mais nous aussi on trouvait ça correct comme ça. Tu voyais qu'il y avait des choses d'année en année, on le remettait en question. Ça le piquait un peu.

«Ce qu'on avait demandé à Réjean, c'est de faire ça le plus rapidement possible, poursuit Sauvé. Et de jouer pour une équipe compétitive. Il y avait une couple d'équipes dans le portrait mais Pierre (Lacroix) a appelé assez vite. Ce qui a fait déboucher beaucoup le dossier, c'est qu'eux autres voulaient vraiment Jocelyn Thibault, un jeune gardien très prometteur. Dans les circonstances, on a été très chanceux qu'il tombe là, avec les anciens Nordiques, avec Pierre qui était là.»

Ironiquement, Thibault appartenait également à la firme Jandec. «Je ne suis pas allé à Denver pour le premier match de Patrick parce qu'on mettait Patrick dans un avion à l'aéroport et on ramassait Jocelyn dans un autre avion raconte Sauvé. Patrick était vert. Il n'avait pas dormi depuis quelques jours. Mais à travers ces conditions-là, ce qu'il y avait vraiment d'extraordinaire avec lui, c'est qu'il était capable de performer peu importe les situations. Moi, je n'aurais jamais été capable de faire ça. L'histoire à Colorado par la suite, il était dans ma chambre, ça faisait trois ou quatre jours qu'on ne dormait pas. Il est allé devant le filet et il les a toutes arrêtés. Il était blanc comme un drap, gros comme un pique mais sous pression, quand ça brassait, quand tout était négatif, il était capable de performer. C'est spécial.»

On peut imaginer tout le bonheur animer Sauvé hier après-midi en assistant à la réconciliation de Roy avec le Tricolore, après avoir vécu le divorce de l'intérieur.

«Dans ce temps-là, on était souvent ensemble. Ça fait partie de notre boîte. On n'a pas beaucoup de clients, donc tu deviens très proche des gars. Tu vis les deux côtés de la médaille, les heures de gloire et les moments plus difficiles.»

Hier, les moments difficiles ont cédé toute la place à la gloire.