Si vous êtes de ces amateurs de ballon rond qui entrent en transe en regardant les meilleurs joueurs du monde croiser le fer lors de la Ligue des champions ou de grandes rencontres internationales, les plus récents écrits de Declan Hill ont tout pour gâcher votre plaisir.

Le journaliste d'enquête canadien prévient que le soccer «court un danger très sérieux» en raison des efforts d'influents parieurs, en particulier asiatiques, pour infiltrer ce sport au plus haut niveau.

Dans un ouvrage paru la semaine intitulé Comment truquer un match de foot?, cet ex-collaborateur de la CBC et de la BBC affirme notamment avoir été informé à l'avance des résultats de quatre matchs de la Coupe du monde 2006 par un truqueur qu'il désigne sous le pseudonyme de Lee Chin.

L'homme, rencontré à plusieurs reprises au cours d'une enquête longue de quatre ans, lui aurait notamment prédit que le Ghana perdrait contre le Brésil par au moins deux buts, de manière à lui permettre de réaliser un maximum de profits en pariant sur l'écart finale entre les deux équipes.

L'interlocuteur du journaliste, qui refuse de l'identifier nommément pour des raisons de sécurité, se targuait de pouvoir compter sur les services d'un ancien joueur vedette de l'équipe ghanéenne, devenu entraîneur, pour contacter les joueurs de l'équipe nationale et les soudoyer.

L'auteur affirme avoir «pleuré» en voyant les prévisions de M. Chin se confirmer lors du match, ponctué, selon lui, par plusieurs erreurs étonnantes de l'équipe perdante.

Trois autres matchs se terminèrent conformément aux prédictions de M. Chin, souligne M. Hill, qui se rend au Ghana pour en avoir le coeur net. Un des joueurs vedettes confirme que des truqueurs les ont contactés lors de plusieurs compétitions internationales, incluant en Allemagne. Il nie cependant que lui ou ses compatriotes aient pu accepter de l'argent pour perdre.

Durant son passage, il finit par retracer l'ancien entraîneur décrit par Lee Chin, qui reconnaît avoir agi comme intermédiaire pour le riche parieur asiatique en introduisant un troisième homme auprès des joueurs.

«Le moins qu'on puisse dire c'est que toutes les parties, les joueurs, les responsables et les truqueurs s'accordent sur le fait que les parieurs liés au crime organisé contactent régulièrement les équipes pour truquer les matchs dans des championnats internationaux», écrit M. Hill, qui évoque aussi d'autres personnages sulfureux à l'appui de sa thèse sur l'importance de la corruption dans le monde du soccer.

Il cite notamment un autre influent parieur d'origine asiatique, Rajendran Kurusamy, qui a été condamné pour avoir truqué des dizaines de matchs en Malaisie et à Singapour. L'homme, passé maître dans l'art de soudoyer les joueurs, prétend avoir truqué un match de la Coupe du monde 1998 en payant des joueurs camerounais.

Les grandes lignes professionnelles européennes n'échappent pas au fléau, relate l'auteur, qui évoque plusieurs cas de corruption témoignant de l'intérêt des réseaux asiatiques pour le continent. Comme celui de Ye Zheyun, un «investisseur» chinois soupçonné d'avoir voulu soudoyer plusieurs équipes professionnelles belges il y a quelques années.

La semaine dernière, le magazine Der Spiegel a révélé, en écho aux écrits de M. Hill, que des doutes sérieux entouraient deux matchs de la Première ligue allemande tenus en 2005.

Bien qu'il dresse un portrait alarmant de la situation, l'auteur n'a guère trouvé d'interlocuteur conciliant au sein de la Fédération internationale de football, qui se dit confiante de l'efficacité des mesures de sécurité mises en place pour détecter et éviter les truquages. La fédération sportive du Ghana menace de le poursuivre, affirmant que les allégations de corruption touchant l'équipe nationale sont «le fruit de son imagination».

Le journaliste, qui déplore ces réactions, croit que le public risque de finir par perdre intérêt pour le soccer si le phénomène n'est pas endigué. Même si la plupart des amateurs préfèrent, pour l'heure, croire au caractère incorruptible de leurs héros.

«Nous sommes entourés par la corruption et nous ne voulons pas croire que ce terrain de jeu innocent que représente le sport puisse l'être aussi», souligne le journaliste canadien.