Quand Joachim Alcine a commencé à boxer, c'était envers et contre tous. Contre ses parents, d'abord, qui ne voulaient rien entendre de ce sport. Mais une mère est une mère. Et aujourd'hui, elle prie pour ce fils devenu champion : « Pour qu'il gagne, pour qu'il tienne la ceinture.!»

La question vient, chargée d'anxiété : «Allez-vous prendre une photo?» demande Gracieuse Alcine. Lorsqu'elle entend la réponse - celle qu'elle craignait -, elle court dans sa chambre enfiler une robe de soirée. Elle s'assoit ensuite dans le salon, bien prête à parler de son fils, le boxeur, le champion.

«Le combat de Joachim, non, je n'irai pas le voir, dit Gracieuse Alcine, qui a décoré sa maison du quartier Saint-Michel de portraits de son fils les gants aux poings, en pose guerrière. Je n'aime pas aller le voir, j'ai très peur. Je prie pour lui, mais je ne suis jamais allée le regarder boxer.»

Contrairement à bien des champions, Joachim Alcine n'est pas «né sur un ring». Il est né à Haïti, un pays rongé par la pauvreté et alors miné par des années de dictature. Il est né dans une famille droite, qui a immigré au Québec en 1985 pour offrir un futur à ses enfants. Il est né dans une famille pour qui le sport, ce n'était pas un «vrai métier».

«Quand il a commencé à aller au gymnase, adolescent, je l'ai découragé, dit Gracieuse Alcine dans un mélange de créole et de français. Pour moi, la boxe, c'était dangereux. Je lui disais de se concentrer sur ses études. Mais Joachim a fait à sa tête. Il est têtu.»

Même aujourd'hui, son fils devenu champion du monde, elle lui demande encore «quand il a va faire son cégep...»

Boxe en cachette

Trente dollars. Voilà ce dont Joachim Alcine avait besoin quand il a commencé à s'entraîner au Centre Claude-Robillard à l'âge de 17 ans. Trente dollars que le jeune de Saint-Michel n'avait pas, pour payer l'abonnement au gym.

«Je ne pouvais pas demander à mes parents, se rappelle celui qui défendra son titre de champion du monde, demain soir. Je savais qu'avec eux ce serait non''. Alors, même si mon meilleur ami avait commencé à s'entraîner, j'ai dû attendre un mois de plus. Pour trouver l'argent.»

À cette époque, celle où Joachim faisait tourner les têtes au gymnase, ses parents ignoraient qu'il boxait. Il allait au club de boxe comme d'autres vont boire des bières au parc, en douce. «Au début, il s'entraînait en cachette», se rappelle sa petite soeur, Judith.

«Ses parents ne l'ont jamais vu boxer amateur. Même lors de ses premiers combats pro, ils n'étaient pas là, note son ancien entraîneur, Mike Moffa. Après, son père est venu assister aux plus importants combats. Mais jamais sa mère.»

L'ami perdu

Celui qui a encouragé Joachim à boxer s'appelle Blaise Mayemba. Les deux étaient de bons amis, et avaient décidé de s'entraîner ensemble. «Blaise était plus vieux que Joachim de deux ans, raconte le grand frère du boxeur, Astrel Alcine. Boxer, c'était son rêve. Il est passé pro avant Joachim. Mais il n'a jamais eu le même succès que mon frère. Joachim était patient, il travaillait dur et ça marchait bien.»

Même après avoir cessé de boxer, Blaise a continué de suivre les progrès de son ami, de ce jeune Montréalais d'origine haïtienne qui s'est fait connaître en envoyant Stéphane Ouellett à la retraite en 2004 par un K.-O. au premier round.

Puis, Blaise Mayemba est mort dans un accident de moto au Congo, juste avant que son ami Joachim ne devienne champion du monde en battant Travis Simms il y a un an. «C'était comme un frère pour moi, dit Joachim Alcine. Il est mort un jour avant ma fête. Je sais que si Blaise a fait ses devoirs, on va se revoir à la réincarnation. J'y crois, je crois à la Bible. J'ai l'espérance qu'on va se recroiser.»

Maintenant, Joachim Alcine entre sur le ring avec des shorts où deux paires d'initiales sont brodées. Celles de Dave Campanile, son second entraîneur aujourd'hui décédé, sur une jambe. Celles de Blaise Mayemba sur l'autre.

C'est une façon de remercier ceux qui l'ont poussé à persévérer et ont cru en lui. Il se battra un peu pour eux demain soir. Pour sa famille et sa mère aussi. Car si elle n'a jamais trop apprécié qu'il soit boxeur, Joachim admet que c'est grâce à elle et son père qu'il est aujourd'hui cet athlète si sérieux, si dédié à son sport. «Un gars droit comme ça, ça ne se peut pas», dit Mike Moffa.

«Ma mère a beaucoup travaillé pour nous, se rappelle Joachim. Elle se levait à 5 h du matin pour aller travailler à la manufacture, et se couchait à minuit après s'être occupé des enfants. C'est une femme très forte, qui mérite aujourd'hui tous les cadeaux du monde.»

Ce soir, à la veille du combat qui opposera son fils au redoutable Daniel Santos, elle priera pour lui. «Je vais prier pour sa santé, pour qu'il gagne, dit Gracieuse Alcine. Et aussi, pour qu'il tienne la ceinture. Parce qu'il a travaillé tellement fort pour la gagner.»

Le combat de championnat du monde WBA des super mi-moyens entre Joachim Alcine (30-0, 19 K.-O.) et Daniel Santos (31-3, 22 K.-O.) aura lieu demain soir au Parc Jarry.